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Nos Lecteurs ont la Parole

Faut-il s’en réjouir ou bien pleurer ?

Le 17 mai 2020, le gouvernement décidait l’annulation du baccalauréat libanais, pour cause de coronavirus. Durant la même séance, il décrétait le déconfinement.

« La santé de nos enfants passe avant toute autre considération », nous avait-on asséné quelques instants plus tard.

La justification de la décision gouvernementale par un postulat « sacré » la rend, à mon sens, quelque peu douteuse. Aussi, a-t-elle été mise à mal, le soir même, par la diffusion, sur les réseaux sociaux, d’images de regroupements de jeunes fêtant l’événement sans se soucier des recommandations sanitaires de lutte contre le virus.

Passant outre la manipulation linguistique qui établit un faux rapport de cause à effet entre la décision et sa prétendue motivation profonde, je me permettrai de critiquer la décision elle-même, sans toucher, bien entendu, au postulat.

D’abord, elle n’aurait pas dû coïncider avec le début du déconfinement. La réaction des jeunes, nous l’avons vu, a vite fait de mettre en évidence le paradoxe de cette concomitance.

Ensuite, pourquoi cette décision hâtive, au milieu du mois de mai, sachant que la plupart de nos élèves, surtout ceux de l’enseignement public, n’avaient presque rien fait de leur programme ?

N’aurait-il pas été plus sage d’attendre pour décider ?

Ne pouvait-on pas assurer quelques semaines de cours aux élèves de terminale, dans le strict respect des consignes de sécurité sanitaire ?

Peut-être auriez-vous été acculés à prendre la même décision plus tard, mais vous auriez, au moins, essayé de sauver un tant soit peu le niveau du diplôme. Et, à ce moment-là, vous auriez obtenu l’adhésion des plus irréductibles.

Mesdames et Messieurs les décideurs, vous avez choisi la solution de facilité, la solution qui vous a valu les applaudissements des intéressés et la popularité tant souhaitée.

Non, ce n’est pas comme cela que vous deviez traduire votre souci de préserver la santé des enfants du Liban. Sachez que dans quelques années, ceux-là mêmes qui se sont réjouis de votre décision la maudiront parce qu’ils auront compris que leur diplôme ne peut pas leur ouvrir les portes du succès. Mais il sera alors trop tard et il ne servira plus à rien de pleurer.

Par ailleurs, et toujours sur la base du postulat précité, nous avons entendu répéter, à l’attention des élèves des autres classes : « Je les ai très bien compris et ils m’ont eux aussi très bien compris, ils seront tous satisfaits, je maintiendrai ma position coûte que coûte », insinuant qu’ils réussiront tous leur année scolaire. Et d’ajouter dans la mêlée : « Notre but est de former de bons citoyens. »

Former de bons citoyens en leur donnant l’exemple qu’ils peuvent obtenir leurs diplômes ou passer de classe sans l’avoir mérité, simplement parce qu’ils auront haussé le ton !? Bons citoyens, dites-vous ?!

De toute façon, voilà plusieurs années que l’éducation est malmenée, consciemment ou inconsciemment, par certains de ceux qui ont ou avaient mandat de la défendre.

Imputant leurs échecs personnels aux programmes scolaires de 1997, ils les ont accusés de tous les maux et ont choisi, délibérément ou par ignorance, de négliger l’œuvre de plus de 400 éducateurs sélectionnés par leurs institutions parmi les meilleurs dans les deux secteurs public et privé, et d’ignorer les commentaires hautement élogieux des organisations internationales la concernant. C’est ainsi qu’ils se sont permis, tour à tour, la réduction de l’année scolaire à vingt-cinq semaines, alors qu’elle avait été fixée à trente-six, par un consensus éducatif national ; puis la suppression arbitraire de certains chapitres, pour alléger le programme qui, bien sûr, devenait trop lourd pour une année amputée de onze semaines. Ils ont même solennellement exigé l’adoption de méthodes interactives et l’insertion de matières artistiques dans les nouveaux programmes, qui n’ont pas encore vu le jour, sans qu’aucun de ceux ou celles qu’ils ont nommés à des postes-clés, pour leur allégeance politique, n’ait eu l’idée de leur chuchoter que tout cela figurait déjà dans les programmes incriminés.

Messieurs les décideurs,

Avez-vous seulement pensé à les survoler, pour vous assurer que ce sont bien eux la source de tous les problèmes ? Avez-vous songé à vérifier s’ils étaient bien appliqués ? N’aurait-il pas mieux valu parrainer ces programmes décriés, le plus souvent pour des raisons étrangères à l’éducation, et veiller à leur mise en application, de la manière qui serve le mieux les intérêts des enfants libanais ?

Mesdames et Messieurs les décideurs, on ne bâtit pas un État avec de la surenchère.

Voici qu’après les banques, l’éducation, ce second pilier de la survie du Liban, vient de tomber. Et vous en êtes responsables.

Mais, en ces jours de décadence, peut-on encore s’en étonner ?

Enseignante et directrice retraitée de l’Université libanaise

Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « courrier » n’engagent que leurs auteurs et ne reflètent pas nécessairement le point de vue de L’Orient-Le Jour. Merci de limiter vos textes à un millier de mots ou environ 6 000 caractères, espace compris.

Le 17 mai 2020, le gouvernement décidait l’annulation du baccalauréat libanais, pour cause de coronavirus. Durant la même séance, il décrétait le déconfinement.« La santé de nos enfants passe avant toute autre considération », nous avait-on asséné quelques instants plus tard.La justification de la décision gouvernementale par un postulat « sacré »...

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