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Ce blanc douloureux

Se loger, scolariser leurs enfants, nourrir leur famille, couvrir leurs dépenses médicales et, quand ils le pouvaient, penser à leurs vieux jours. Voilà à quoi les ménages libanais moyens, comme tous les ménages du monde, consacraient leurs salaires dans un pays où déjà ils ne voyaient presque pas de retour sur leurs impôts en termes de service public. Il leur faut désormais choisir. Sachant qu’a priori le sacrifice de tout poste de dépense signe leur entrée en indigence, leur perte de dignité et de confiance, leur dépendance à l’aide d’autrui, leur renoncement à tout rêve d’avenir. Entre hold-up et malgérance bancaire et étatique, tout cela nous valant pour la première fois d’être mis au ban des nations, l’effondrement économique inédit que nous vivons rebat les constantes de notre culture et de notre société. Une fois de plus, ce petit pays formé d’un émouvant tissu de survivants, voué bon gré mal gré à offrir un refuge aux populations menacées de la région, traverse une crise existentielle qui remet en question son identité et ses valeurs.

La pauvreté est source de zizanie, dit un proverbe de chez nous. La zizanie au sein des familles se projette sur les communautés, les vieux contentieux refaisant jour. Les clans, davantage féodaux que confessionnels, resserrent leurs liens avec leur zaïm dont ils attendent, comme aux temps ancestraux, la solution à leurs problèmes. Sauf que le zaïm, lui, tire sa force et sa légitimité de sa piétaille, roi nu sur les épaules duquel son peuple a jeté une abaya devenue trop lourde, magicien d’Oz dépourvu de pouvoir à part celui de piller un État qui n’a plus rien à donner. Mais cette espèce connaît ses ouailles et sait jouer sur leur corde sensible pour se maintenir au pouvoir. Quelques promesses, quelques tapes paternelles sur l’épaule ou quelques insultes viriles, quelques encouragements éculés pour compenser, et les revoilà en selle, preux chevaliers pétaradant leur fierté et brandissant leurs étendards, prêts à tuer pour mériter leur appartenance.

Page blanche, donc. De ce blanc douloureux et mortel de fer chauffé. Quelle histoire allons-nous écrire ou réécrire sur les décombres du pays perdu dont pourtant nous sentons encore la pulsation sous nos pieds? Combien de temps encore, alors que nous avons largement franchi le nouveau millénaire, pourra durer cette conception passionnelle et héréditaire de la politique ne reposant que sur l’amour, la haine et le transfert de virilité ? Deviendrons-nous, sous la tutelle du Hezbollah, une société guerrière aveuglément vouée au martyre pour des causes étrangères à ses intérêts ? N’aurons-nous pas le droit de vivre décemment nos vies terrestres plutôt que les brûler pour des paradis de propagande? Transformerons-nous notre belle mosaïque, notre généreuse diversité en un pigeonnier où chaque communauté vivra petitement dans sa case? Produirons-nous – alors que nous avons bénéficié, même au plus fort de la guerre, d’une qualité d’enseignement exemplaire – une nouvelle génération inculte, vulnérable à toutes les influences, soumise à la descendance des mêmes cupides habitués à traiter leurs suiveurs en vermine ?

Quel choix avons-nous aujourd’hui, sans moyens, humiliés par les banques, soumis de facto à un pouvoir aussi arrogant qu’incapable, pour nous remettre sur pied ? Le peuple de la fête et de la joie de vivre traîne sa tristesse par les rues, larmes aux yeux d’impuissance et d’amertume, éternel orphelin d’un État qui ne s’est jamais soucié de lui. Viendra un temps où l’entraide ne suffira plus… Mais l’histoire nous a appris que rien ne dure. Après ce creux, nous remonterons la vague d’une manière ou d’une autre. Il nous faut dès à présent ramasser notre courage qui est le contraire de la désertion et œuvrer à créer des entreprises, coopératives, n’importe, qui procurent du travail au plus grand nombre. Il nous faut étonner une fois de plus, séduire, produire avec les moyens du bord, inventer un avenir et y croire, verser notre écot, même petit, à une humanité ébranlée par la pandémie qui nous a relativement épargnés. Formons des projets et nous serons aidés.

Se loger, scolariser leurs enfants, nourrir leur famille, couvrir leurs dépenses médicales et, quand ils le pouvaient, penser à leurs vieux jours. Voilà à quoi les ménages libanais moyens, comme tous les ménages du monde, consacraient leurs salaires dans un pays où déjà ils ne voyaient presque pas de retour sur leurs impôts en termes de service public. Il leur faut désormais choisir....

commentaires (7)

Nous avons bien gardé un pied dans La Nature et sommes la seule espèce qui tue, en toute conscience, par avidité, pour le plaisir, massivement, et donc, non pas, ou seulement, par la nécessité de la survie. Endoctrinnés de toutes sortes de saintes écritures dont il n'est nul besoin pour avoir un compas moral. L'Histoire nous l'enseigne. Le "progrès humain" n'est autre que de nature purement technique.

Lillie Beth

18 h 05, le 13 juin 2020

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Commentaires (7)

  • Nous avons bien gardé un pied dans La Nature et sommes la seule espèce qui tue, en toute conscience, par avidité, pour le plaisir, massivement, et donc, non pas, ou seulement, par la nécessité de la survie. Endoctrinnés de toutes sortes de saintes écritures dont il n'est nul besoin pour avoir un compas moral. L'Histoire nous l'enseigne. Le "progrès humain" n'est autre que de nature purement technique.

    Lillie Beth

    18 h 05, le 13 juin 2020

  • C'est justement cette" belle "mosaïque et cette diversité qui nous ont menés à l'État désastreux dans lequel on patauge depuis des décennies. Les guerres civiles sont la preuve irréfutable que le slogan du vivre ensemble est une imposture qui perdure mais qui doit cesse au plus vite . Le17 octobre dernier et surtout ce funeste 6 juin nous ont confirmé que pour avoir la paix définitive il faudra que chaque communauté soit indépendante de l'autre géographiquement ainsi que dans la gouvernance et l'administration qui conviendraient à chacune Se "cantonner " est la solution .

    Hitti arlette

    14 h 02, le 11 juin 2020

  • Merci Fifi de dire les mots qui guérissent et qui donnent force et courage

    ERWAN CREATIONS 01 - MCD

    09 h 34, le 11 juin 2020

  • ""La pauvreté est source de zizanie, dit un proverbe de chez nous. La zizanie au sein des familles se projette…"" Quand les reproches remontent à l’enfance, et même au-delà… Quand les querelles d’indivision parfois sanglantes font surgir d’autres disputes. La haine chez nous est asymptomatique, très contagieuse. Les "" Zaïms"" on les déteste le temps de la misère, pour les aimer lors des élections. Triste, le pays de débrouillardise … C. F.

    L'ARCHIPEL LIBANAIS

    09 h 15, le 11 juin 2020

  • ...""produire avec les moyens du bord""… Encore faut-il avoir les moyens.

    L'ARCHIPEL LIBANAIS

    08 h 53, le 11 juin 2020

  • Un vrai plaisir de vous lire ... Merci.

    Remy Martin

    08 h 44, le 11 juin 2020

  • le LIban est sorti vivant (mais dénaturé) d'une guerre innommable ;la jeunesse n'a qu'une haine:la guerre! elle fera tout pour avancer vers la démocratie ,la justice, la stabilité meme si pour cela il faut trimer toute une vie car elle le fera dans la solidarité qui est la seule chance pour l'humanité à venir;J.P

    Petmezakis Jacqueline

    07 h 53, le 11 juin 2020

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