Dans la salle des pas perdus au Palais de justice de Beyrouth, un groupe d’avocats, endossant leurs robes, discutent entre eux des événements qui ont marqué la manifestation de samedi à laquelle avaient appelé des groupes de la contestation au centre-ville de Beyrouth. Le rassemblement qui rappelle-t-on avait commencé pacifiquement avait vite dégénéré et une triple scène de discorde sur fond de tensions communautaires s’était prolongée jusque tard dans la nuit : des jeunes de Khandak al-Ghamik se sont accrochés avec des manifestants à la place des Martyrs, des groupes chiites de Chiyah ont affronté d’autres chrétiens de Aïn el-Remmaneh et des habitants de Barbour s’en sont pris à ceux de Corniche Mazraa. Ces tensions communautaires avaient failli ressusciter le spectre de la guerre civile. « Non à la guerre », lance Nawal Assaf, avocate. Répondant à l’appel lancé par les présidents des ordres des professions libérales et des universités privées pour un rassemblement placé sous le thème du « renforcement de la paix civile et du rejet de la discorde », elle est venue exprimer son mécontentement face aux scènes de violence observées samedi. « Le confessionnalisme et le sectarisme générés par la guerre civile a porté atteinte au concept de citoyenneté qui s’est disloqué, ajoute-t-elle. Les nouvelles générations ont grandi dans la peur de l’autre. On vient aujourd’hui remuer le couteau dans la plaie, en attisant la fibre confessionnelle de manière à anéantir la nation et la citoyenneté. J’espère que les responsables politiques auront un sursaut de conscience et qu’ils œuvreront enfin pour l’édification de l’État de droit. »
Plus loin dans la salle des pas perdus, deux médecins en blouse blanche attendent le début de l’événement. Habib Ezéchiel, président de la Société libanaise de médecine générale, ne cache pas sa frustration. « L’image du Liban n’est pas celle de la discorde ni des scènes vécues le week-end dernier, martèle-t-il. Nous sommes venus montrer la vraie image du pays, l’image à laquelle nous aspirons, celle d’un pays pacifique où les Libanais peuvent vivre en sécurité et où ils sont égaux devant la loi. »
À 13 heures, un médecin et une ingénieure déposent une gerbe de fleurs dans la salle, « en hommage aux martyrs de la justice et de la nation ». Puis, guidés par le bâtonnier de Beyrouth Melhem Khalaf, les participants se rendent à pied vers le Musée de Beyrouth, où une gerbe de fleurs est également posée devant le monument du Soldat inconnu.
Un pays-message par choix
« Nous ne permettrons plus d’être plongés dans des conflits absurdes, ni dans des processus de dégradation et d’effondrement, encore moins dans la provocation », lance Melhem Khalaf, au nom des organisateurs. À L’Orient-Le Jour, il affirme que « pour contrer les images de samedi, il faudrait montrer une autre image, celle d’une communauté civile présente et consciente que ce pays a un message ». « Ce pays-message est basé sur le vivre-ensemble, ajoute-t-il. Ce n’est pas un accident de l’histoire. C’est un choix de vie que nous sommes en train de manifester pour donner de l’espoir aux gens venus aujourd’hui à cette place symbolique, mais aussi pour poser les jalons du deuxième centenaire du Liban. On ne fera pas tomber l’espérance dans ce pays. Ce message d’espoir et d’espérance, nous le devons comme un choix de vie, non seulement pour nous-mêmes, mais pour l’humanité qui a besoin de savoir comment gérer une diversité dans l’unité. »
Le père Khalil Chalfoun, président de l’Université la Sagesse, explique que ce rassemblement « est une prise de position contre toute sorte de violence civile », soulignant que les scènes de samedi soir « donnent l’impression de revenir au début de la guerre civile ». « C’est une prise de position pour ne plus revivre ce que nous avons vécu il y a plus de trente ans et pour dépasser toute forme de haine confessionnelle dans le respect des croyances des uns et des autres, insiste-t-il. Nous espérons que toute forme de manifestation sera en faveur de la justice et que nous puissions appuyer tout effort d’indépendance de la justice pour servir la vérité. Un pays qui ne respecte pas la justice ne peut pas former des citoyens responsables. »
Pour le président de l’ordre des médecins de Beyrouth, Charaf Abou Charaf, nous « n’avons d’autres choix que de nous entraider pacifiquement pour sortir du gouffre dans lequel nous nous enlisons ». « Nous refusons de revenir à la guerre de 1975, comme nous refusons les guerres confessionnelles », renchérit de son côté la présidente de l’ordre des infirmières et infirmiers du Liban, Myrna Doumit.
Mohammad Kassem, du comité de coordination syndicale des enseignants, insiste : « Quarante-cinq années d’attente pour la vraie unité nationale, la réforme et la lutte contre la corruption nous suffisent. Nous sommes en train de payer le prix de toutes les pratiques exercées depuis 1975. » Appelant les jeunes à « rejeter la discorde confessionnelle », il affirme que les Libanais « ont une chance en or pour sortir le pays de ses crises ». « Nous sommes à la croisée de chemins, soit nous édifions le Liban en nous basant sur les slogans de l’intifada du 17 octobre, soit nous continuerons de nous enliser dans une crise économique, sociale et sécuritaire », conclut-il.
LES PROVOCATEURS SONT TOUJOURS LES MEMES. HEZBOBERRIOTES...
12 h 39, le 10 juin 2020