L’alerte a été chaude, très chaude… Déjà en équilibre instable, le pays a été à deux doigts de basculer samedi dernier non pas dans l’abîme, mais dans l’enfer. Il aura suffi de deux impardonnables atteintes à des symboles religieux – l’un sunnite, l’autre chrétien –, de quelques slogans sectaires devenus monnaie courante depuis le soulèvement d’octobre – « chiites, chiites, chiites… » –, pour que la rue, ou plutôt les rues s’enflamment et fassent revivre aux Libanais d’un âge certain les funestes moments du début de la guerre de 1975-1976.
La secousse de ce 6 juin aura apporté la confirmation d’une lapalissade : il demeure excessivement facile, au Liban, de rallumer rapidement les feux de la discorde. Il suffit de quelques mots réveillant les démons des sensibilités populaires, accompagnés d’une petite escapade de miliciens excités dans des quartiers de l’autre faction d’en face, pour que le dérapage soit déclenché. Les sentiments d’allégeance communautaire, voire clanique et régionale, restent en effet profondément enracinés dans le tissu social libanais de sorte qu’ils resurgissent instinctivement et naturellement à la moindre alerte.
Nombre d’observateurs avertis n’hésitent pas à percevoir dans les événements de samedi un « avertissement » à peine voilé du tandem chiite : « Si vous remettez sur le tapis les armes du Hezbollah et la résolution onusienne 1559, nous pouvons rapidement replonger le pays dans le chaos sécuritaire. » Du coup, des porte-étendards de la société civile s’empressent de saisir la balle au vol pour rebondir sur ce chantage milicien et prôner ce dont ils sont peu ou prou convaincus, à savoir qu’il est inopportun d’aborder le problème posé par l’arsenal militaire et le positionnement stratégique du parti pro-iranien.
Certes, la solution à la question de l’armement du Hezbollah dépend du bon vouloir du guide suprême de la révolution iranienne, comme l’implique le document définissant la doctrine politique du parti chiite. Mais dire qu’il ne faut pas évoquer cette question épineuse afin d’éviter les débordements semblables à ceux du 6 juin est une assertion qui est démentie par les faits et la réalité sur le terrain. Lors du soulèvement de l’automne 2019, les hommes de main du tandem chiite s’étaient en effet livrés à de multiples agressions, actes de violence et bastonnades visant les participants au mouvement de fronde, aussi bien dans la capitale que dans les régions périphériques (à prédominance chiite), alors que nul à l’époque n’avait mis sur le tapis le contentieux avec le Hezbollah. Cela apporte la preuve que ce comportement agressif n’est pas lié au dossier des armes illégales, mais qu’il est plutôt en rapport avec le positionnement que chacune des deux formations chiites veut se forger sur l’échiquier politique local. Il s’agit pour elles de s’imposer en tant que telles, d’imposer leur propre identité communautaire, afin d’obtenir dans une étape ultérieure une redéfinition de leur place dans le système politique.
Parallèlement à ces considérations conjoncturelles, vouloir occulter – par complaisance ou opportunisme – la principale cause de l’effondrement actuel, en l’occurrence l’arsenal et la ligne de conduite du Hezbollah, revient à commettre une grosse erreur stratégique, ou tout au moins à pratiquer la politique de l’autruche. L’équation sur ce plan est évidente : la lutte contre la corruption ne saurait être menée à son terme, le redressement et une réelle bonne gouvernance ne peuvent être mis sur les rails et un changement significatif au niveau d’une partie de la classe politique ne pourrait intervenir si l’obstacle majeur que constitue le projet transnational du Hezbollah n’est pas levé.
Tant que le parti pro-iranien ne sera pas revenu politiquement et idéologiquement au Liban, tant qu’il ne se sera pas libanisé dans sa ligne de conduite en coupant le cordon ombilical avec les pasdaran et le guide suprême de la révolution iranienne, il continuera à faire obstruction à la bonne gouvernance et à l’édification d’un État central digne de ce nom, quels que soient les hommes au pouvoir. Son alignement inconditionnel sur le régime des mollahs à Téhéran, au service d’un projet transcendant les pays, est incompatible avec l’édification d’un État capable d’exercer souverainement tous ses pouvoirs.
Ceux qui prônent un changement sérieux se doivent, dans un souci de cohérence, de poser ce problème de fond de manière claire et sans entourloupe, même s’il faut attendre qu’un bouleversement de la donne régionale pave la voie à la réalisation des objectifs escomptés… Car dans l’attente de ce jour J, il faut avoir initié en amont le « build up » nécessaire, susceptible de préparer le terrain à l’opération de salut. Si l’on désire récolter un jour les fruits, il faut au préalable avoir semé les graines et enraciné les plants avec minutie.
commentaires (7)
Pour en finir avec le Hezbollah et ses armes, il faut que le feu vert soit donné aux Israeliens par les Américains avec l'accord des Russes. Ce feu vert viendra le jour où le régime des Mollahs en Iran sera terminé. Pour quand? on ne sait pas. Mais ce temps viendra. Entre temps, il ne faut rien espérer au Liban à part des guerres et le chaos qui va avec. Exactement comme en Syrie.
Achkar Carlos
20 h 10, le 09 juin 2020