Une employée de maison éthiopienne avec sa valise, sur le trottoir, devant l'ambassade d'Ethiopie, à Hazmieh. Photo Joao Sousa 189193
Il est 10h30 du matin lorsque Meseret, 20 ans, débarque en pleurs devant l’ambassade d’Éthiopie à Hazmieh. Arrivée avec une valise dans chaque main et 20 000 LL en poche, la jeune femme n’a pas de passeport ni les moyens de se payer un billet d’avion pour rentrer chez elle. « Je travaillais chez une dame qui m’a mise à la porte et qui a gardé mes papiers. Je dormais dernièrement chez une amie. Je ne veux plus travailler ici, je veux juste rentrer chez moi », confie la jeune femme, arrivée au Liban il y a deux ans. Une de ses compatriotes essaie de la consoler et lui tend un billet de 20 000 LL qu’elle accepte en essuyant les larmes qui ne cessent de couler. Meseret n’ose pas appeler sa famille en Éthiopie de peur de l’inquiéter et se résigne à attendre que l’ambassade veuille bien l’aider.
La jeune femme fait partie de ces milliers de travailleuses domestiques qui souhaitent rentrer chez elles, à cause de la crise du dollar d’abord. Payées dans la monnaie nationale depuis que le billet vert est de plus en plus difficilement trouvable au Liban, alors que la promesse d’embauche était basée sur un salaire en dollars, les employées de maison touchent la moitié, voire le tiers, de leur salaire initial. Quand elles ont toujours un travail... Car la crise économique conjuguée à la pandémie de Covid-19 a drastiquement réduit les opportunités d’emploi pour celles qui ne travaillent pas pour une famille.Meseret a rejoint jeudi une dizaine d’autres femmes qui sont contraintes de camper, depuis plusieurs jours, sur le trottoir devant leur ambassade, au milieu de leurs sacs et valises. Parmi ces femmes, des journalières comme Meseret ou des employées de maison mises à la porte, et donc à la rue, par des employeurs incapables de les payer. Des femmes qui pensaient pouvoir trouver secours auprès de leur ambassade. « Mon employeuse m’a demandé de partir. Elle ne me payait plus depuis huit mois. Je vais dormir ici ce soir », confie une Éthiopienne croisée sur place. Une autre jeune femme, frêle et visiblement sous le choc, vient de débarquer en taxi, avec ses valises. Son employeur vient tout juste de la congédier. Contrairement à la plupart de ses compatriotes rassemblées sur ce trottoir, elle a pu récupérer son passeport.
Des migrantes éthiopiennes en pleine détresse campent devant leur ambassade. Photo Joao Soussa
Mercredi, 35 Éthiopiennes installées devant l’ambassade depuis plusieurs jours ont finalement été prises en charge, au beau milieu de la nuit, par le ministère du Travail et installées dans un hôtel de Beyrouth. C’est que les images du calvaire de ces jeunes femmes commençaient à beaucoup circuler sur les réseaux sociaux et dans les médias...
Il n’est pas clair pour l’instant si les jeunes femmes qui ont débarqué jeudi matin devant l’ambassade d’Éthiopie seront également aidées par les autorités ou si elles devront se résoudre à dormir dans la rue.
Le consul éthiopien n’était pour sa part pas disponible pour un commentaire à ce sujet.Interrogée par L’Orient-Le Jour, la ministre du Travail Lamia Yammine a indiqué que les employées de maison secourues mercredi ont été soumises à des tests de dépistage du Covid-19. Une fois les résultats connus, elles seront hébergées par l’association caritative Caritas, en attendant d’être fixées sur leur sort. « Ces femmes sont supposées rentrer chez elles mais leur ambassade n’est pas coopérative. Quant aux employeurs, ils refusent de s’acquitter des frais du voyage », explique la ministre. Le vol de rapatriement vers Addis Abeba est facturé 1 450 dollars, dont 680 pour le billet d’avion et 770 pour l’hôtel où les employées de maison devront observer une quarantaine de 14 jours, selon un communiqué de la compagnie aérienne Ethiopian Airlines publié mercredi sur Facebook. La date du vol de rapatriement n’a pas encore été annoncée. Les tarifs affichés par Ethiopian Airlines ont suscité une vague de commentaires indignés sur les réseaux sociaux, de la part des travailleuses migrantes mais aussi de leurs employeurs. Le 21 mai, des dizaines de travailleurs éthiopiens avaient regagné leur pays dans des vols organisés pour leur rapatriement.
« Concernant les migrantes qui sont là de manière illégale, nous nous réunissons aujourd’hui avec l’Organisation internationale pour les migrations pour voir ce qui peut être fait, explique encore Lamia Yammine à L’OLJ. Nous sommes en contact avec l’ambassade d’Éthiopie et le ministère des Affaires étrangères est en train de nous aider, mais il faut que l’ambassade assume ses responsabilités », ajoute-t-elle.
Problème humanitaire
Mohana Ishac, avocate au sein de l’association Kafa pour la lutte contre la violence faite aux femmes, met en garde contre « un véritable problème humanitaire si ces migrantes ne sont pas rapatriées d’urgence et gratuitement, car elles n’ont tout simplement pas les moyens de payer ». « Les gens sont maintenant au courant du problème vécu par les Éthiopiennes car elles campent devant l’ambassade, mais la situation est catastrophique pour l’ensemble des employées de maison dans le pays », déplore l’avocate.
Quelque 250 000 employés de maison étrangers sont employés au Liban selon le système de parrainage appelé “kafala”, qui les prive des dispositions du droit de travail, dont 144 986 employées éthiopiennes, selon les chiffres du ministère du Travail publiés en novembre 2018.
« Certaines n’ont plus d’endroit où dormir, car leurs employeurs les mettent à la porte quand ils n’arrivent plus à les payer. D’autres n’ont plus de papiers en règle à cause du système de kafala. Elles ne travaillent plus depuis des mois et vivent dans la misère », déplore Mme Ishak qui met en garde contre les risques encourus par ces femmes. « Certaines des employées de maison sont sans abri, d’autres sont tentées par le suicide ou risquent de contracter des maladies dont le Covid-19 », dit-elle.
Des milliers d'employées de maison souhaitent rentrer chez elles à cause de la crise du dollar et de la pandémie. Photo Joao Soussa
Dans un communiqué publié mercredi, l’ONG Amnesty International a dénoncé la situation catastrophique des employées de maison abandonnées par les familles qui les employaient et appelé les autorités à leur venir en aide. « Nous demandons au ministère de l’Intérieur d’annoncer les détails du processus de rapatriement et de coordonner avec les consulats et ambassades concernés pour aider les migrants qui souhaitent rentrer chez eux, qu’ils soient en possession de leurs papiers ou non, souligne Amnesty International. Ces femmes font partie des personnes les plus marginalisées de la société et subissent de plein fouet la crise économique, exacerbée par le Covid-19. Le gouvernement libanais ne peut ignorer leur sort », ajoute le texte.
commentaires (20)
Ne peux t on trouver un moyen de pression sur l’ambassade d’Ethiopie .c’est tout de meme a eux de rapatrier leurs ressortissantes. Il n’ont qu’a prendre exemple sur bien d’autres pays. Si eux negligent ainsi leurs compatriotes , ils permettent donc des abus et des injustices sur pkace. On devrait appeler l’Ethiopie devant un Tribunal . Le Liban a reussi a rapatrier les siens meme avec ses petits moyens. A l’Ethiopie d’en faire autant. Alors, Faisons tous une manifestation devant leur Ambassade.
Marie-Hélène
15 h 15, le 06 juin 2020