L’Association des banques du Liban (ABL) a dévoilé hier des propositions alternatives à celles du plan de redressement adopté fin avril par le gouvernement, qu’elle a continué de critiquer à l’occasion d’une réunion élargie de la commission parlementaire des Finances et du Budget consacrée au sujet. Cette réunion avait initialement été programmée une semaine plus tôt avant d’être reportée, à la veille des quatre jours de « reconfinement » décrétés par l’exécutif alors refroidi par une hausse des cas de contaminations en plein contexte d’épidémie du coronavirus. Compilées dans un document de 46 pages que L’Orient-Le jour a consulté, ces mesures adoptent une orientation radicalement différente de celles préconisées dans la stratégie élaborée par l’exécutif et qui s’étend sur une première phase de cinq ans. C’est d’ailleurs avec cette dernière sous le bras que les négociateurs nommés par le gouvernement ont entamé il y a une semaine les négociations officielles avec le Fonds monétaire international (FMI) à qui le Liban a formellement adressé au début du mois une demande d’aide financière.
Le déblocage de cette aide et la mise en œuvre du plan sont de plus deux atouts que l’exécutif aimerait bien avoir dans son jeu au moment des discussions qu’il doit mener avec les créanciers du pays avec qui il doit négocier la restructuration de la dette publique qui a atteint 92,2 milliards de dollars à fin février, pour un ratio de 176 % du PIB – d’après ses estimations. Selon un communiqué du ministère des Finances hier, quatre réunions entre les différents groupes de négociateurs et les équipes du FMI ont déjà eu lieu en visioconférence – Covid-19 oblige – depuis mercredi dernier.
Le ministre des Finances, Ghazi Wazni, était accompagné hier par celui de l’Énergie et de l’Eau, Raymond Ghajar, pour une séance probablement consacrée à la réforme du secteur de l’électricité et qui devrait se poursuivre aujourd’hui. Ghazi Wazni a répété que les discussions avaient été « positives » jusqu’ici, alors que plusieurs voix citées lundi par Reuters – dont l’ancien ministre du Travail, l’avocat Camille Abousleiman, et l’ancien vice-gouverneur de la Banque du Liban, Nasser Saïdi – ont estimé que le plan préparé par l’exécutif était très « léger » au niveau des réformes incluses et « ne s’attaquait pas aux problèmes profonds du pays ».
Restructurer uniquement la dette externe
Un avis que martèle également l’ABL depuis au moins l’adoption définitive du plan, bien que le point d’orgue de son opposition porte davantage sur son orientation globale. L’association a d’ailleurs mandaté la semaine dernière une nouvelle société de conseil, Global Sovereign Advisory (GSA), pour la représenter lors des négociations concernant la restructuration de la dette publique.
L’exécutif consacre en effet une importante partie de son plan à la restructuration du secteur bancaire – notamment par un bail-in, une ponction sur des dépôts en échanges d’actions au sein des banques – et de la Banque du Liban (BDL), dont il a estimé les pertes totales respectives à 186 000 milliards et 171 000 milliards de livres (selon les chiffres de la version définitive et en considérant un taux de change à 3 500 livres pour un dollar). Des montants que l’ABL conteste. Or, pour l’exécutif, une partie de ces pertes englobent celles liées à la dette publique sur laquelle la Banque centrale et les banques du pays avaient massivement investi et que le gouvernement prévoit donc de restructurer après avoir fait défaut en mars dernier sur ses obligations en devises. Officiellement, le défaut sur la dette en livres n’a pas été annoncé même si ce scénario devrait se produire.
Enfin, bien que loin d’être succint, le volet du plan consacré aux réformes n’a toutefois pas été vraiment détaillé, notamment en terme de calendrier et d’objectifs. Certains pans, comme celui de la réforme cruciale de l’électricité, sont de plus encore incomplets. Identifiées de longue date, une grande partie de ces réformes (lutte contre la corruption et l’évasion fiscale, réforme de l’électricité, etc.), figuraient en tête de liste des engagements des précédents gouvernements ces dernières, notamment vis-à-vis des soutiens du pays présents lors de la conférence de Paris d’avril 2018 (la CEDRE) et qui attendent toujours leur mise en œuvre.
Une brèche dans laquelle l’ABL s’est logiquement engouffrée pour faire valoir sa vision des choses, considérant, selon les termes de son président Salim Sfeir dans un entretien accordé hier à Reuters, que la mise en œuvre du plan provoquerait « une catastrophe socio-économique » dans le pays déjà étranglé par la grave crise économique et financière qu’il traverse. Une conjoncture par ailleurs aggravée par les restrictions illégales adoptées depuis la fin de l’été dernier par les banques pour tenter de limiter la circulation de devises hors du secteur et qui comptent parmi les facteurs qui ont contribué à déprécier la livre par rapport au dollar sur le marché des changes.
Outre l’injonction de lancer les réformes attendues avant toute autre considération, l’Association propose de de limiter la restructuration à la dette externe, c’est-à-dire celle, en livres et en dollars, détenue par des investisseurs non résidents, qui s’élève à « 16 % de la dette totale » et de ne pas faire défaut sur la dette interne, soit celle en livres ou en dollars due essentiellement aux banques du pays et à la BDL. L’ABL considère en effet que le FMI sera plus enclin à fournir une aide financière au Liban si le secteur bancaire n’est pas restructuré et reste capable de financer l’économie. Elle estime en outre l’aide externe nécessaire jusqu’en 2024 pour redémarrer le pays à 8 milliards de dollars, contre 10 milliards dans le plan du gouvernement. Le fait d’épargner le secteur bancaire contribuera en outre à un retour plus rapide de la croissance, poursuit l’Association, avec un PIB à +2,1 % dès 2021, alors que le plan du gouvernement ne prévoit pas d’amélioration avant 2022 (+1,6 %).
Inspiration du plan Hayek/Charvet
Les divergences entre l’ABL et l’exécutif sont également visibles au niveau des mesures fiscales proposées. Alors que le plan du gouvernement avait pris le parti de limiter dans un premier temps l’adoption de nouveaux impôts et taxes ou la hausse de ceux existants, l’ABL prend le contrepied en suggérant par exemple d’augmenter directement certaines charges, comme la TVA, dès 2021. En contrepartie, l’Association suggère de façon assez surprenante de créer un « revenu universel » supposé soulager les classes les plus défavorisées, sans toutefois en préciser le montant.
Ce point n’est d’ailleurs pas le seul qui n’est pas détaillé dans le document consulté par L’OLJ. L’ABL ne précise pas comment elle compte faire passer le ratio dette/PIB de 170 % en 2020, selon ses propres calculs, à 72,5 % en 2030 sans restructurer le secteur bancaire ni faire de bail-in, ou de ponction sèche. Pour rappel, le plan du gouvernement vise, lui, un ratio de 68,5 % d’ici à dix ans. Pour la portion de dette détenue par la BDL, l’ABL suggère de créer un « fonds de désendettement de la dette du gouvernement » qui va gérer les actifs de l’État « à hauteur de 40 milliards de dollars », sans pour autant l’en déposséder. Mais les contours de cette structure, qui semble s’inspirer de celle imaginée par l’ex-secrétaire général du Haut Conseil pour la privatisation, Ziad Hayek, et un ancien dirigeant de banque française, Gérard Charvet, dans un plan alternatif publié en avril et actualisé hier, n’ont été qu’esquissés dans le plan de l’ABL. Le gouvernement a d’ailleurs lui aussi intégré une structure semblable dans sa propre stratégie.
Reste à savoir si les pistes envisagées par les banques seront retenues. Une perspective que semble soutenir une partie des députés menés par le président de la commission des Finances, Ibrahim Kanaan, qui a une nouvelle fois fait part hier de ses réserves vis-à-vis du plan de l’exécutif. L’une d’entre elles concerne l’évaluation des pertes qui fait, selon lui, « l’objet d’importantes divergences ». Le député a en outre annoncé la création d’une « une commission à laquelle participeront la BDL, l’ABL, les organismes économiques et le ministère des Finances » afin d’unifier tous les chiffres à disposition. Pour rappel, l’exécutif a annoncé il y a environ un mois sa décision de mandater trois cabinets internationaux pour auditer les comptes de la BDL. Le gouverneur de la Banque centrale, dont le nom revient souvent dans les discussions portant sur la crise et les pistes pour redresser le pays, s’est, lui, entretenu hier avec le président du Parlement, Nabih Berry, à l’occasion d’une réunion inattendue entre les deux hommes à Aïn el-Tiné consacrée à l’évolution des discussions entre le Liban et le FMI (voir par ailleurs).
commentaires (6)
perdre le role historique des banques ? C deja fait et pas seulement a cause de la crise du Liban mais de la transformation du systeme financier/economique mondial ET Regional surtout. Le PLUS Grave est de faire payer le peuple-deposants en tete alors que les SEULS VRAIS coupables ont deja convoyes et transferes leurs butins a l'etranger ET resteront libres comme le vent. AH ! COMME UN MBS EST SOUHAITE EXISTER CHEZ NOUS !
Gaby SIOUFI
12 h 16, le 26 mai 2020