Le symbole des contradictions et de la supercherie « à la libanaise »… C’est sous cet angle que l’on pourrait qualifier le cabinet Diab, au terme de la période de grâce de cent jours qu’il avait réclamée, à compter du vote de confiance, le 11 février dernier.
Supercherie, d’abord… Le nouveau gouvernement avait été présenté comme un cabinet d’indépendants. D’emblée, il est apparu que les principales formations du 8 Mars sont directement représentées au sein de l’équipe ministérielle, sans compter les ministres proches du pilier de l’ancien appareil sécuritaire libano-syrien de triste mémoire.
Contradictions et tromperies, ensuite… Dans ses premières déclarations, le chef du gouvernement s’était pratiquement engagé à se faire l’écho des aspirations du soulèvement populaire. En tête de ces revendications, l’indépendance de la justice et la fin du clientélisme dans l’exercice du pouvoir. Pour le premier point, force est de rappeler que la ministre concernée s’était positionnée en représentant du mouvement de contestation. Mais son premier acte politique aura été de bloquer, puis de fragmenter, les nominations judiciaires décidées pour la première fois de façon autonome par le Conseil supérieur de la magistrature.
Quant au clientélisme, le Premier ministre n’a pas tardé à s’y engouffrer en exigeant la désignation de « son » candidat au poste de mohafez de Beyrouth, dédaignant de façon effrontée l’avis du président de la République, du métropolite de Beyrouth et d’une très large faction de personnalités et notables de la communauté orthodoxe. Hassane Diab a innové en la matière en se livrant à un clientélisme individuel ramené à sa propre personne, faisant fi des pratiques et normes en vigueur depuis des lustres… Sans compter sa position cavalière, pour le moins qu’on puisse dire, à l’égard de la démarche du chef de l’État dans cette affaire. Il aura fallu une médiation de l’ombre pour désamorcer la crise, la candidate de Diab s’étant elle-même retiré de la course.
Mais il y a plus grave. Des contradictions – et de taille – sont perceptibles dans certaines mesures à caractère stratégique prônées par le cabinet Diab. Tel est le cas du programme de redressement économique au centre des négociations avec le FMI. Il est notamment question de réduire le nombre d’établissements bancaires de moitié. Mais, dans le même temps, le document présenté au FMI fait état de l’intention de l’exécutif de créer cinq nouvelles banques ! Si le cabinet estime que le nombre de banques est trop élevé, pourquoi en créer cinq nouvelles ? Est-ce pour permettre aux mentors de Hassane Diab, et surtout à leurs prête-noms, de contrôler le secteur bancaire? N’est-ce pas là une nouvelle forme de partage du gâteau, défendue avec acharnement par ceux-là mêmes qui accusent les actuels propriétaires de banques de « copinage politique » ?
Notre propos n’a nullement pour objet de prendre la défense des propriétaires ou des directeurs de banques. L’enjeu dépasse de très loin ce volet personnel. Depuis les lendemains de l’indépendance du Liban, plus précisément depuis la rupture de l’union douanière avec la Syrie en mars 1950, le Liban a opté pour l’économie libre. Le secteur bancaire a constitué dans ce cadre, et continue de représenter, le principal élément moteur de l’économie libanaise. Or, à la lecture du programme économique du cabinet Diab, le lecteur acquiert la nette impression qu’il existe une volonté (politique, à n’en point douter) de briser le secteur bancaire en lui faisant assumer, avec les déposants, les frais du déficit public provoqué, on ne le rappellera jamais suffisamment, par l’État et ses parrains locaux.
Certains conseillers du Premier ministre soulignent que ce n’est pas le système bancaire qui est défaillant, mais les banquiers qui le géraient. Un tel argument relève de considérations d’ordre purement technique et pourrait donner lieu à d’interminables discussions entre experts. Il pèche cependant par omission : il occulte les véritables causes de la dette publique, dont la principale réside dans les multiples crocs-en-jambe effectués régulièrement, depuis le début des années 90, par le Hezbollah afin de saboter toute entreprise de redressement et de stabilisation politico-économique. Entre les attaques stériles contre Israël, la longue occupation du centre-ville, la contrebande aux frontières avec la Syrie, les impasses constitutionnelles, le court-circuitage des recettes douanières et le torpillage des relations avec les pays du Golfe, la liste est longue.
L’attitude qui vise à réduire les causes de la crise à la gestion des propriétaires de banques est non seulement réductrice et en contradiction avec l’objectif de redressement affiché par le cabinet Diab, mais elle est surtout suspecte, d’autant que dans leurs discours, les dirigeants du Hezbollah se posent pratiquement, d’une manière à peine voilée, en parrains du programme du gouvernement, lequel est soutenu, de surcroît, avec engouement par ceux qui font preuve de complaisance envers le parti chiite.
Le leader du PSP Walid Joumblatt ne s’y est pas trompé en mettant en garde contre « l’esprit baassiste » qui semble dicter la façon de penser de certains membres de la délégation qui négocie avec le FMI ; un « esprit baassiste » qui « détruit la formule libanaise fondée sur le pluralisme, laquelle remonte à Fakhreddine et aux missions » occidentales. Dans le contexte géopolitique régional actuel, dont le Hezbollah est le principal cheval de bataille, les sérieuses appréhensions exprimées sur ce plan n’ont toujours pas reçu de réponses convaincantes. La grande question reste ainsi de savoir s’il existe une volonté politique, voire idéologique, de modifier le visage du Liban, et sa traditionnelle vocation économique libérale.
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"Pour qui sonne le glas ?" Ernest Hemingway - 1940. Pour le Liban, libre, indépendant, souverain de Fakhreddine II, de Clémenceau, de Béchara el-Khoury, de Riad el-Solh, de Camille Chamoun, de Fouad Chéhab... Il s'appelle désormais le Persograd iranien sur la Méditerranée.
Un Libanais
13 h 51, le 19 mai 2020