Dans les jours suivant la publication, le 28 avril, d’une circulaire de la Banque du Liban (n° 553) imposant aux changeurs de ne pas vendre de dollars à plus de 3 200 livres sur le marché, plusieurs dizaines de changeurs, agréés par la BDL ou illégaux, avaient été arrêtés. La parité officielle de 1 507,5 livres est encore appliquée pour une partie des transactions bancaires, qui ont été drastiquement restreintes par les banques depuis plusieurs mois, sur fond de grave crise économique et financière.
Selon plusieurs sources concordantes, les changeurs opérant dans la légalité ont « signé un engagement consistant à ne plus manipuler le taux de change puis ont été libérés, tandis que les changeurs illégaux ont été déférés » devant la justice. Le 7 mai dernier, le dossier avait déjà changé d’ampleur avec l’arrestation du président du syndicat des changeurs (agréés), Mahmoud Mrad, à la demande du procureur général financier, le juge Ali Ibrahim, qui l’accuse d’avoir manipulé le taux de change dollar/livre libanaise. Selon une source proche du dossier contactée par L’Orient-Le Jour, l’enquête visant à déterminer la responsabilité du syndicaliste, toujours écroué, est en cours. Les chefs d’inculpation n’ont pas encore été révélés.
Quatre jours plus tard, le procureur financier auditionnait deux importants agents, Michel et Ramez Mecattaf – qui ont un lien de parenté mais dirigent deux importantes sociétés de change indépendantes l’une de l’autre –, dans le cadre de l’arrestation de Mahmoud Mrad. Selon nos informations, Michel Mecattaf a été libéré sous caution d'élection de domicile, tandis que Ramez Mecattaf est toujours en garde-à-vue. Enfin, jeudi après-midi, c’est Mazen Hamdane, le directeur des opérations monétaires à la Banque du Liban (aussi appelé département trésorerie), que le juge Ibrahim faisait arrêter.
Levée du secret sur des opérations de la BDL
Quelques heures plus tard, la LBCI avait précisé que des interrogatoires et des confrontations menées avec des changeurs « pendant deux jours » avaient permis au magistrat d’établir que Mazen Hamdane avait vendu des dollars à des changeurs de catégorie A (ceux qui peuvent emprunter et exporter des devises) à un taux de 3 200 livres, ce qui les contraignait à les revendre plus cher. Une affirmation que nous n’avons pas pu confirmer. Le nom du responsable de la BDL aurait enfin été mis sur la table après « qu’un certain nombre de changeurs ont déclaré que ce dernier avait servi d’intermédiaire pour racheter des dollars ».
Selon le site de la BDL, le rôle de M. Hamdane est de « promouvoir la monnaie nationale » et de « gérer les opérations relatives à l’émission de la monnaie nationale », soit donc de vendre de la livre et d’acheter des dollars.
Selon nos propres sources, deux versions s’opposent : une première selon laquelle Mazen Hamdane avait pour mission de racheter autant de dollars que possible pour le compte de la BDL afin que cette dernière puisse les réinjecter dans le secteur bancaire, mais qu’il en aurait également vendu au passage à un taux supérieur à 3 200 livres ; une autre qui balaye purement et simplement ces accusations, estimant que Mazen Hamdan n’a rien à se reprocher.
Ce n’est que vendredi après-midi que le service de presse de la BDL a fini par réagir, indiquant que la commission d’enquête spéciale (aussi appelée commission spéciale d’investigation, CSI) avait « levé le secret » sur les opérations ayant eu lieu entre la Banque centrale et les agents de change sur la période allant du 8 avril dernier au 5 mai.
Créée par la loi 318 de 2001 sur le blanchiment d’argent, cette autorité indépendante dispose notamment du pouvoir exclusif de lever le secret bancaire dans des enquêtes liées à des opérations de blanchiment d’argent. Dans son communiqué, la BDL précise que les informations relatives à cette période vont être transmises au procureur général près la Cour de cassation Ghassan Oueidate.
La Banque centrale a en outre précisé avoir vendu pour 12 705 000 dollars sur cette période aux agents de change, contre des livres mais sans préciser à quel taux. Sur ce total, 470 000 dollars ont été vendus aux changeurs de catégorie B, qui sont uniquement autorisés à traiter avec le marché local. Dans le même temps, la BDL a affirmé avoir acheté 11 300 000 dollars aux changeurs contre son équivalent en livres (sans aucune précision du taux là non plus). Il n’y a pas eu d’autres transactions depuis le 5 mai, est-il assuré dans le communiqué. Elle ajoute enfin « qu’au vu de ces montants », la BDL ne peut être tenue responsable de la dépréciation de la livre sur le marché secondaire sur cette période pendant laquelle le taux de change est passé de moins de 3 000 livres pour un dollar à plus de 4 000. La Banque centrale n’a pas non plus donné d’indications sur le niveau de devises qu’elle injectait en temps normal. C’est dans ce contexte quelque peu tendu que le ministère des Télécoms avait publié, fin avril, une décision appelant à supprimer 28 applications (dont lbpexchange, lebaneselira et dollarnow), disponibles sur le Play Store (Android), qui relaient l’évolution du taux de change dans le pays.
Financement des importations
Courant avril, plusieurs sources concordantes (banquiers et changeurs) avaient confirmé à L’Orient-Le Jour que la Banque centrale avait injecté plusieurs millions de dollars en espèces sur le marché secondaire. Le montant de 20 millions de dollars avait été évoqué, sans pour autant être confirmé. Cette injection avait eu lieu au lendemain de la publication d’une nouvelle circulaire (n° 551) imposant aux agences spécialisées dans les transferts d’argent de payer les montants envoyés à leurs clients au Liban en livres libanaises, peu importe la devise dans laquelle ces transferts auraient été initialement effectués. Les agents de change agréés sont, pour leur part, majoritairement fermés depuis fin avril, suite à l’ordre de grève lancé quelques jours plus tôt par leur syndicat, d’abord pour protester contre la mainmise des agents illégaux sur le marché secondaire, puis pour protester contre l’arrestation de leurs confrères.
Dans son communiqué, la BDL indique enfin qu’elle va fournir des dollars aux importateurs via le secteur bancaire à 3 200 livres « dans le but de diminuer les prix des denrées alimentaires » qui ont enregistré une forte hausse ces deux dernières semaines, notamment en raison de la dépréciation de la livre. Cette mesure avait déjà été évoquée au cours de la semaine par le ministre de l’Économie et du Commerce, Raoul Nehmé, mais également par le président du syndicat des commerçants de Baalbeck, Hussein Awada, qui s’était exprimé en marge d’un déplacement de Mazen Hamdane dans le caza où la BDL possède une antenne.
La Banque centrale souligne enfin qu’elle va continuer à subventionner les importations jugées stratégiques (blé, carburant, médicaments, matières premières pour l’industrie pharmaceutique et matériel médical) en fournissant une partie des dollars demandés par ces filières contre des livres au taux officiel, conformément aux mécanismes mis en place par les circulaires concernées (n° 530 et n° 535 adoptées à l’automne dernier). Elle assure également qu’elle s’emploie à financer les besoins en matières premières des industriels qui ont récemment dénoncé l’absence de solutions mises à leur disposition par les autorités.
commentaires (6)
AVEC LA BENEDICTION DE CEUX QUI POUSSENT DES CRIS HYSTERIQUES COMME POUDRE AUX YEUX. CA FAIT L,AFFAIRE DES PREDATEURS BANQUIERS ET LA LEUR.
LA LIBRE EXPRESSION
14 h 50, le 16 mai 2020