Quelque 28 applications, qui proposaient une estimation quotidienne du taux de change avec le dollar sur le marché secondaire, sont désormais interdites au Liban. C’est un décret du ministère des Télécommunications, adressé aux fournisseurs d’internet, le 30 avril dernier, qui en a décidé ainsi. Ces applications sont en effet accusées d’encourager la spéculation en affichant des taux surévalués, participant ainsi à la dépréciation de la monnaie nationale.

Depuis fin avril en effet, la livre accélère sa dégringolade face à un billet vert qui s'échange à plus de 4 200 livres libanaises au marché noir. La parité officielle étant, elle, toujours fixée à 1507,5 livres libanaises le dollar. Pour tenter de limiter cette chute, la Banque du Liban a, dans un premier temps, ordonné le plafonnement du taux sur le marché secondaire à 3 200 livres le dollar.

La réponse du syndicat des changeurs ne s’est pas fait attendre : celui-ci a lancé un ordre de grève générale très suivie, contraignant les Libanais désireux de se procurer des dollars à se tourner vers le marché noir. Ce qui n’a fait que renforcer les pressions sur la livre.

C’est alors que le procureur général financier a demandé l'arrestation du président du syndicat des agents de change agréés, Mahmoud Mrad,  l’accusant de participer à la manipulation du taux de change.

En parallèle, les Forces de sécurité, via leur unité de la cybercriminalité, ont saisi le Procureur général. Celui-ci a ordonné au Ministère des Télécommunications de prendre les mesures nécessaires pour bloquer les applications de change.

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« J’ai été convoqué par le Bureau de lutte contre les crimes financiers et le blanchiment d’argent, où l’on m’a alors dit que, n’étant pas un changeur agréé, je n’avais pas le droit de communiquer sur les taux. J’ai dû m’engager par écrit à retirer mon application en ligne », explique, sous couvert d’anonymat, un développeur derrière l’une de ces applications qui se défend toute volonté spéculative.

« J’ai commencé à développer l’application en novembre. J’avais moi-même besoin d’échanger de l’argent quotidiennement et je ne m’y retrouvais pas, chaque changeur pratiquant des prix différents. D’où l’idée de cette application, qui fournissait une estimation quotidienne de la parité sur le marché secondaire. Le but était purement informatif : l’application était gratuite et je n’ai tiré aucun profit », continue-t-il. Le succès a d’ailleurs été immédiat : l’application a été téléchargée plus de 1.000 fois et comptait entre 600 et 700 utilisateurs par jour.

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Pour de nombreux Libanais, ces applications constituent un outil indispensable au quotidien : « Ce n’est pas parce qu’on casse son thermomètre qu’on n’est plus malade », relève un importateur de matériaux de construction, sous couvert d’anonymat, qui explique utiliser cet outil depuis le début de la crise. « Il me donnait le taux quotidien à appliquer lorsqu’un client voulait me payer en livres libanaises ». Privé de cette « boussole », le commerçant refuse les paiements en livres. « Je ne sais pas si les accusations de manipulation des taux sont avérées, mais la vraie responsabilité revient au gouvernement qui a laissé le désordre régner sur le marché de change depuis le début de la crise et ne fournit pas d’outil centralisé pour s’y retrouver », dénonce-t-il.

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Si, selon l’avocat Charbel Kareh, l’article 126 de la nouvelle loi de transaction numérique n°81/2018 autorise le procureur général à interdire un site pendant une durée de 30 jours, pour Mohammed Najem, directeur de SMEX, une ONG de défense des droits de l’Homme en ligne, le bannissement de ces applications s’inscrit dans contexte global d’atteintes croissantes contre la liberté d’expression et d’information : « C’est une limitation claire de la libre circulation de l’information, que l’on soit d’accord ou non avec les taux affichés. Depuis octobre 2019, l’Etat renforce le contrôle de l’espace civique. Le monde numérique est en cela en première ligne », dénonce-t-il.

Firebase bloqué par erreur

Google's Firebase Realtime database a été bloquée pendant quatre jours par Ogero. La plateforme, qui permet aux développeurs de mettre aux points rapidement des applications, est utilisée par nombreuses start-ups et entreprises de la Tech au Liban. « À cause de cette erreur, toutes les applications qui étaient connectées à Firebase ont cessé de fonctionner. Cela a impacté de nombreuses entreprises pendant plusieurs jours, je n’ai moi-même pas pu accéder à deux autres projets sur lesquels je travaillais, qui n’ont rien à voir avec les taux de change », continue le développeur. « C’est comme bloquer l’autoroute menant à une ville pour empêcher quelques personnes de rentrer chez elles », explique Mohammed Najem.