Les voies de passage illégales entre le Liban et la Syrie et les scandales sur la contrebande florissante entre les deux pays sont de nouveau au cœur de l’actualité. L’intervention remarquée du chef des Forces libanaises, Samir Geagea, sur le perron de Baabda mercredi dernier, qui s’était abstenu de donner quitus au plan de redressement économique présenté par le gouvernement avant de voir l’exécutif s’attaquer notamment au sempiternel problème de la contrebande, a relancé le débat sur le trafic illégal qui occasionne des pertes au Liban évaluées à près de 200 millions de dollars par an, selon les estimations avancées par le chef des FL. Hier, et à l’issue d’un reportage diffusé jeudi soir par la chaîne MTV dévoilant les dessous de la contrebande de farine et de mazout acheminés en Syrie – deux produits pour lesquels la Banque du Liban a mis en place un système pour faciliter le financement des importations–, M. Geagea a saisi l’occasion de ces nouvelles révélations pour présenter une note d’information à la justice. Il a indiqué avoir également appelé les ministres des Finances, de l’Énergie et de l’Économie à faire le nécessaire pour couper court à ce trou béant qui contribue largement à grever le Trésor. La question de la contrebande a été de nouveau évoquée jeudi soir par le secrétaire adjoint américain aux Affaires du Proche-Orient, David Schenker, qui, lors d’un entretien sur la chaîne locale d’information LBCI, a souligné la nécessité pour l’État libanais de juguler ce fléau, l’une des « réformes structurelles » que Washington attend du gouvernement libanais.
C’est probablement l’une des raisons qui auraient fait réagir hier Hassan Fadlallah, député du Hezbollah, qui, lors d’une conférence de presse, a tenu à rappeler le « combat » que mène son parti depuis des années contre la corruption, appelant les magistrats à se soulever contre ce fléau et contre les ingérences politiques qui rendent caduque toute lutte en ce sens. C’est, dira un analyste proche du parti chiite, « une manière pour le parti de se désister en jetant la balle dans le camp de la justice au lieu de prendre le taureau par les cornes et de nommer publiquement ceux qui ont trempé dans la corruption ».
Parmi les dossiers évoqués par M. Fadlallah, celui du trafic illicite à la frontière, que le parti chiite affirme souhaiter voir réprimé par l’État, occultant totalement le fait que son parti met à profit depuis des années des voies militaires pour acheminer armes et combattants, un fait dont le Hezb ne se cache pas d’ailleurs. « Nous invitons vivement le gouvernement libanais à prendre toutes les mesures nécessaires pour faire cesser la contrebande », a-t-il dit lors d’un entretien avec L’Orient-Le Jour. « C’est à l’État et non au Hezbollah de le faire », a renchéri Mohammad Afif Naboulsi, porte-parole du Hezbollah.
Hier, le Rassemblement des propriétaires de minoteries sont montés au créneau pour dénoncer à leur tour l’œuvre des contrebandiers de farine, faisant référence, eux aussi, au reportage de la MTV. Dans un communiqué, le rassemblement a indiqué faire de son mieux pour contrôler les commerçants, reconnaissant toutefois leur impuissance à surveiller leurs activités sur l’ensemble du territoire, une « tâche rendue plus difficile dans le contexte de crise politique, économique et sociale », précise le communiqué qui invite l’État à sévir pour mettre fin à ce trafic. Une exhortation qui fait écho à celle formulée par M. Geagea. « Réprimer la contrebande ne nécessite pas beaucoup de sophistication, encore moins d’études et de plans de travail. Il suffit d’une simple décision de l’État, et les voies de passage illégales seront fermées », avait lancé le chef des FL mercredi, soulignant que l’armée et les forces de l’ordre connaissent parfaitement tous ces accès illicites vers la Syrie.
Trafic de personnes
Ayant renforcé sa présence en plusieurs endroits de la frontière, notamment depuis l’épisode de l’infiltration d’islamistes radicaux de l’État islamique au Liban depuis le pays voisin, l’armée s’est avérée incapable de gérer une frontière-passoire de 360 km et reconnaît implicitement la difficulté de surveiller près de 150 points de passage illégaux entre le Liban et la Syrie. Ces voies d’accès illégales, opératoires depuis des décennies sans qu’aucun gouvernement n’ait réussi, ou voulu, les colmater, constituent une source d’inquiétude d’autant plus grande qu’elles permettent, en plus du trafic de marchandises, d’exfiltrer dans les deux sens des personnes, ce qui constitue un trafic risqué en temps de propagation du Covid-19.
D’après un témoignage livré à L’OLJ par une jeune Libano-Syrienne qui vient juste de retourner au Liban, celle-ci affirme avoir été « acheminée par la voie militaire réservée au Hezbollah, moyennant le prix de 600 000 LL ». Un prix revu à la baisse du fait de ses relations avec des gens proches du régime. « Une autre dame, qui n’était pas aussi bien pistonnée que moi, a dû payer 1 200 000 LL pour le trajet », confie-t-elle. Interrogé, le porte-parole du Hezbollah dément ces allégations, assurant qu’elles sont complètement « infondées ». Selon une source proche du parti chiite, cette dame a dû « confondre entre un des multiples accès illégaux qui relient le Liban à la Syrie, et la voie militaire consacrée aux cadres et combattants du Hezbollah et aux personnalités proches du régime syrien ». « Ce moyen d’accès au Liban est placé sous le haut commandement de Ali Mamlouk (chef de la Sécurité nationale syrienne et homme de confiance de Bachar el-Assad). Toute personne qui passe par cette voie doit avoir une autorisation signée par le général Mamlouk. Il est impossible que ce dernier ait pu consentir à acheminer des civils par cette route », confie la source, soulignant avoir elle-même déjà emprunté cette voie et témoigné de la rigidité du système de contrôle.
N’empêche, ajoute la source du Hezbollah, il est temps que l’État agisse et puisse mettre un terme à ce chaos qui sévit à la frontière. « L’armée connaît point par point ces passages et n’a qu’à faire voler des drones pour terrifier les contrebandiers. »
D’après le récit d’une personne qui se rend régulièrement en Syrie, un des commerçants libanais qu’elle connaît importait de la marchandise de luxe de l’étranger via le port de Beyrouth, officiellement destinée à la Syrie et qui est donc exemptée de taxe. « Une fois en Syrie, la marchandise fait demi-tour et est ramenée au Liban par les voies de passage illégales. Ce trafic doit absolument cesser », dit-elle à L’OLJ. D’après un autre témoignage livré par une personne qui a également requis l’anonymat, nombreux sont les commerçants qui recourent à ce moyen. « Certains ne prennent même pas la peine d’aller jusqu’en Syrie. Ils parviennent à un point proche de la frontière où ils arrivent à manipuler les papiers justificatifs. »
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Le jour où les divers "opposants" et le Hezbollah laisseront vraiment l'Etat agir sur tout le territoire, tout ira mieux, même pour eux ! Irène Saïd
Irene Said
21 h 17, le 09 mai 2020