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Du fuel dans le pain

Mettez un tigre dans votre moteur. Ce slogan lancé vers le milieu du siècle dernier par la société pétrolière Esso et qui popularisait, en animation couleurs, l’image d’un performant et néanmoins sympathique félin demeure à ce jour une des plus percutantes trouvailles de la création publicitaire. Les temps ont changé cependant et ils n’ont franchement rien de sympathique, ces insatiables carnassiers qui s’acharnent à dévorer jusqu’au dernier morceau de chair subsistant sur les os de la République. C’est à ces loups aux dents beaucoup trop longues, à ces requins naviguant imperturbablement en eaux troubles, que l’on doit chacun des ratés, et finalement la désastreuse panne d’une mécanique libanaise que la légende disait increvable.


En y mettant pas mal de bonne volonté, on pourrait trouver quelque mérite au plan de redressement économique et financier concocté par le cabinet Hassane Diab qui écope, il est vrai, d’un fort lourd héritage. Avant même d’en venir cependant au bien-fondé des chiffres avancés ou projetés, c’est à un problème de confiance décliné sur trois paliers que continue de faire face, trois mois après sa formation, le gouvernement.


Dût le système en souffrir de sa dignité, la priorité ne va guère à l’Assemblée nationale, même s’il lui est demandé d’approuver un train de lois relatives au programme de sauvetage. Du moment en effet que la sacro-sainte immunité des ministres et députés ne risque pas d’être mise en cause, la majorité parlementaire n’est pas près de renier son enfant. Dès lors, et en toute logique, c’est surtout en arpentant la rue locale et les boulevards internationaux que Diab doit s’efforcer de convaincre les sceptiques. Pour asseoir sa crédibilité auprès d’un peuple dépossédé et hanté par le spectre de la famine, il lui faudra faire preuve d’audace, de détermination et, par-dessus tout, de sens des urgences.


Avant que de tirer des plans sur la comète, c’est au plus pressé qu’il faut aller en effet. C’est dans l’immédiat qu’il faut colmater les énormes fuites criblant la plomberie nationale, et par où continuent de se perdre les deniers publics. Le tigre dans le carburant frelaté alimentant depuis des années les rares centrales électriques ? Un véritable poison à haute teneur de soufre, fruit de transactions plus que douteuses et qui encrasse aussi bien les poumons des Libanais que les chaudières des turbines. On vient seulement de découvrir le puant pot aux roses, des comparses seront peut-être sanctionnés, mais qui donc s’attaquera aux suprêmes gestionnaires de l’arnaque ? Qui démontera, noms à l’appui, la tentaculaire mafia de l’électricité, responsable de la moitié de la dette et alliant hauts responsables de l’Énergie, importateurs de fuel et protecteurs de générateurs de quartier ?


Êtes-vous seulement surpris, Monsieur le Premier ministre, de voir les plus impliqués dans ce scandaleux dossier (et qui figurent en bonne place parmi les parrains de votre gouvernement) se montrer aussi les plus bruyants à dénoncer la corruption ? N’avez-vous donc pas sursauté en regardant hier un député du parrain en chef, le Hezbollah, renchérir d’outrance et dénoncer la contrebande qui sévit aux points d’entrée légaux et illégaux du pays, au nez et à la barbe des douanes ? N’est-ce pas de vous que se moquent en premier lieu ceux qui escroquent l’État, à l’heure où vous vous répandez en promesses de réforme ; qui vont jusqu’à faire illicitement commerce, en Syrie, de bonne farine libanaise ; qui, dans toute l’acception du terme, ôtent le pain de la bouche de vos concitoyens ?


Issa GORAIEB

igor@lorientlejour.com

Mettez un tigre dans votre moteur. Ce slogan lancé vers le milieu du siècle dernier par la société pétrolière Esso et qui popularisait, en animation couleurs, l’image d’un performant et néanmoins sympathique félin demeure à ce jour une des plus percutantes trouvailles de la création publicitaire. Les temps ont changé cependant et ils n’ont franchement rien de...