Rechercher
Rechercher

Société - Contestation

Un seul cri dans la rue : « C’est la révolution de la faim »

À Zouk, comme dans beaucoup d’autres régions, les manifestants ont bravé la peur du coronavirus pour crier leur souffrance du fait de la dégradation sans précédent de la situation socio-économique.

« Ton salaire ne vaut plus que 180 dollars », « Le taux de change à 4 500 » ou encore « Qu’est-ce que tu attends ? » : les slogans de la « révolution de la faim ». Photo Michel Sayegh

« Ton salaire ne vaut plus que 180 dollars, qu’est-ce que tu attends ? » ou encore « Ton salaire = deux boîtes de lait ». Les slogans brandis sur des banderoles à Zouk Mosbeh donnent le ton du mouvement de contestation qui a repris de plus belle hier, redynamisé par la dégradation économique galopante alors qu’il s’était nettement calmé depuis l’arrivée du coronavirus au Liban et le confinement mis en place pour freiner la pandémie. Des manifestations se sont produites dans pratiquement toutes les régions mais l’épicentre se trouvait à Zouk Mosbeh, à l’endroit même où de grandes manifestations avaient eu lieu lors de la contestation du 17 octobre. Sur place, une centaine d’irréductibles déterminés et, face à eux, un nombre impressionnant de soldats. Durant des heures, une course-poursuite incessante a opposé les manifestants à l’armée, les premiers coupant tantôt l’autoroute, tantôt se rétractant à la suite des pressions exercées par la troupe.



Un garçon courant devant des conteneurs incendiés, dans le centre-ville de Beyrouth. Photo Joao Sousa

Les manifestants hier ne venaient pas que de Zouk ou du Kesrouan, mais aussi de Jal el-Dib où les voitures s’étaient constituées en convois, ainsi que de Beyrouth ou de Jbeil. Fait marquant, la violence est montée d’un cran par rapport aux manifestations d’avant le coronavirus. Toute bienveillance a disparu envers l’armée, qui a vu accroître l’agressivité à son encontre. « Ne savez-vous pas que votre salaire ne vaut plus rien et ne suffit plus à nourrir votre famille ? Pourquoi acceptez-vous d’être instrumentalisés contre nous ? » criaient régulièrement les manifestants aux soldats.

L’image émanant des manifestations de Zouk est celle d’une bombe prête à exploser. Tous les protestataires prennent acte de la montée des violences, voire l’assument. « C’est désormais une révolution de la faim », s’exclame un jeune homme. « Et ce n’est pas près de s’arrêter, affirme Walid, un homme d’une cinquantaine d’années. Nous n’avons plus le choix, je suis certain que les autorités seront surprises par les foules qui vont investir la rue. Il est possible de patienter dans toutes les situations, mais pas contre la faim. »

Les témoignages récoltés sur place sont poignants. Gina, une jeune femme de 25 ans, qui vient de terminer ses études générales de médecine, explique sa présence sur les lieux. « J’ai un emploi, c’est vrai, mais mon salaire ne vaut plus que 200 dollars, lance-t-elle amèrement. Et voilà qu’un soldat, dont le salaire est tout aussi dévalué, me donne des coups et me dit de sortir de la rue ! »

Lire aussi

« Je ne vends rien, mais à quoi bon vendre ? »

Serge est un étudiant de 23 ans qui finançait ses études en donnant des sessions d’entraînement sportif. « Mon travail s’est interrompu et je n’ai aucun filet de sécurité, dit-il. Il est inévitable que les manifestations reprennent, même si les gens ont encore peur du coronavirus. »



À Zouk, des blocages de routes à intervalles réguliers, entrecoupés de courses-poursuites avec l’armée. Photo Michel Sayegh

Johaina, la cinquantaine, possède une boutique à Zouk. « Ma boutique est fermée depuis le confinement, mais c’est du pareil au même, confie-t-elle, en agitant un grand drapeau libanais. J’allais en tout cas écouler ma marchandise à perte, avec la flambée des prix et le taux de change en chute libre. Et les prix du marché sont exorbitants ! Pour un carton d’œufs et du fromage en boîte aujourd’hui, j’ai dû casquer 25 000 livres ! Où cela va-t-il s’arrêter ? »

Mireille, une mère de trois enfants, est inquiète pour sa famille. « Mon fils a déjà son diplôme en poche mais que va-t-il en faire dans ce pays, se demande-t-elle. Les forces politiques ont tout volé et gaspillé, et veulent mettre la main sur nos dépôts pour compenser les pertes. Peut-on se taire face à cela ? »

« Je suis avec eux »

Une clameur monte un peu plus loin. Roberto, un manifestant endurci, est embarqué par les soldats. Il ne sera finalement pas arrêté, mais ne décolère pas pour autant. « Ce pays ne leur appartient pas, il nous appartient à nous ! » crie-t-il. Comme tous les autres contestataires, il est sûr que ce mouvement est là pour durer. Et les protestataires ont usé hier de toute leur ingéniosité pour prouver le sérieux de leurs intentions et contourner le mur de soldats face à eux : ils s’échappaient par la moindre brèche pour se diriger vers Nahr el-Kalb, et couper, même brièvement, l’autoroute, avant d’être rappelés à l’ordre par les militaires, avec plus ou moins de brutalité, les coups pleuvant à certains moments.

Ces multiples blocages de routes ont considérablement ralenti le trafic. Mais rares sont les automobilistes, déjà sur leurs nerfs, qui s’en sont formalisés, et beaucoup saluaient les manifestants d’un geste de la main ou klaxonnaient en signe de soutien. Une quinzaine d’automobilistes sondés par L’OLJ se disent satisfaits de la reprise de la contestation. « Je rentre du travail, et ce retard ne me dérange absolument pas », affirme Jeannot, la cinquantaine.

« Ils ont raison, lance un jeune homme qui assure vouloir se joindre aux manifestants à la première occasion. Plus personne ne peut se nourrir. » Une jeune mère de famille, en voiture avec ses enfants, répond avec le sourire : « Je suis avec eux et je partage leurs revendications. »

Lire aussi

Cinq taux pour une livre en chute libre

Face à la détermination des manifestants, les inquiétudes liées au coronavirus semblent loin. Beaucoup de manifestants portent des masques et emploient régulièrement une solution hydroalcoolique pour se nettoyer les mains, d’autres sont plus négligents. Mais pour tous, la pandémie n’est plus une excuse pour se laisser « mourir de faim », comme l’assurent plusieurs d’entre eux.

Et les manifestants commencent à prévoir la suite. Bachir, un contestataire de la première heure à Zouk, pense que le mouvement doit se poursuivre. « Il est vrai que dans les hautes sphères du pouvoir, le jeu des intérêts bat son plein, affirme-t-il. Mais les préoccupations du peuple sont ailleurs. Et nous tenons à l’indépendance de ce mouvement de contestation. »



Des dizaines de manifestants rassemblés dans le centre-ville hier. Photo Joao Sousa

Les nèfles du jardin de Siniora

Le mouvement de contestation ne s’est pas limité à Zouk : dans plusieurs autres régions du pays, comme à Beyrouth, Jbeil, Naamé, Nabatiyé, ou dans le Akkar, les contestataires ont tenté par tous les moyens de bloquer les axes routiers devant les automobilistes, ce qui a, par moments, provoqué des tensions avec les forces de l’ordre déployées en nombre. Une manifestation était prévue en soirée devant le siège de la Banque centrale à Hamra. Dans le centre-ville de Beyrouth, un petit groupe de manifestants s’étaient rassemblés vers midi, sous haute surveillance des forces armées, selon notre photographe sur place João Sousa. Des échauffourées mineures ont opposé les protestataires aux agents présents. Un peu plus loin, sur la voie express du Ring, des manifestants ont bloqué la route en incendiant des conteneurs de déchets avant de se voir rapidement évacués par les forces armées.

À Naamé, au sud de la capitale, les contestataires ont également fermé brièvement les voies. À Nabatiyé, au Liban-Sud, des dizaines de personnes se sont rassemblées devant le sérail au son de chants révolutionnaires, bloquant la route, selon des vidéos publiées sur le groupe Facebook Akhbar al-Saha.

À Saïda, une vingtaine de jeunes ont organisé un sit-in près de la place du marché de primeurs de la localité, au cours duquel ils ont protesté contre l’inflation et les répercussions de la crise, rapporte notre correspondant Mountasser Abdallah. Dans la localité, d’autres contestataires ont décidé de cueillir des nèfles, dont c’est la saison, sur les terres de l’ancien Premier ministre Fouad Siniora, originaire de la ville et accusé de corruption, et de les distribuer à des familles de la région. Les jeunes gens, qui ont appelé leur action « Campagne de restitution des fonds volés », ont affirmé avoir cueilli 25 kilos de nèfles, d’une valeur totale de 100 000 livres, et laissé sur place un message à l’ancien Premier ministre, lui disant qu’ils « déduisaient cette somme des 11 milliards de dollars qu’il doit au peuple libanais ».

Dans la Békaa, des blocs ont été installés sur la route de Marj, afin d’empêcher toute circulation, selon notre correspondante Sarah Abdallah, tandis que la route de Taalabaya-Saadnayel a été bloquée. Dans le Akkar, au Liban-Nord, les routes de Biré et Mouhammara ont été coupées.

Enfin, à Tripoli, des appels ont été lancés par deux contestataires (généralement controversés), Rabih Zein et Ahmad Bakich, pour un rassemblement en soirée sur la place al-Nour, selon notre correspondante Ornella Antar. Les organisateurs appellent les gens à manifester devant les maisons des députés et des leaders de la ville, et disent « descendre pour mourir ». Un avant-goût de ce qui attend ce mouvement.

---

D’où est partie la première étincelle dimanche soir ?

Tout le monde s’y attendait : la crise économique et financière qui a lourdement frappé le pays a inéluctablement conduit au déchaînement de la rue comme on a pu le voir hier dans diverses régions.
Il est difficile pour l’heure de savoir exactement d’où est partie la première étincelle et comment s’est agencée la logistique pour rassembler autant de monde et dans des localités aussi éloignées les unes des autres, alors que le confinement est toujours de vigueur. Pour les révolutionnaires du Metn, ce seraient eux qui auraient donné le mot d’ordre aux autres groupuscules régionaux qui, alertés, ont répondu à l’appel. C’est ce qu’explique Hicham Bou Ghannam, un activiste rodé aux mouvements de rue et connu dans les milieux protestataires de Zalka et Jal el-Dib.
« Nous étions assis avec quelques amis et nous avons pris la décision spontanément », raconte le jeune homme. Composés d’une vingtaine de personnes au départ, ils ont commencé à couper dimanche soir les axes routiers à Zalka, à l’aide de pneus enflammés. Une heure plus tard, et grâce à une alerte postée sur Facebook, plusieurs dizaines de manifestants les ont rejoints.
Entre-temps, le groupe du Metn, qui est également « connecté » à des groupes dans d’autres régions, a donné le signal aux autres. La mobilisation a eu alors un effet boule de neige. La contagion a atteint ainsi des régions telles que Taalabaya, Baalbeck, Saïda, Tripoli, Aramoun et même la banlieue sud de Beyrouth où les jeunes du quartier de Laylaki se sont également mobilisés.
Si le groupe du Metn se targue d’avoir enclenché le mouvement, la réalité serait toutefois autre à en croire Zeina Hélou, chercheuse et activiste au sein de Beyrouth Madinati. Selon elle, le mouvement a démarré dimanche soir dans la région de Naamé, une région au sud de la capitale où l’opposition est bien implantée. La vague a ensuite atteint le centre de Beyrouth pour ensuite s’étendre aux autres régions.
« Je pense qu’il y a eu au départ un mot d’ordre partisan, dans les rangs de la pseudo-opposition formée par le tandem PSP-Futur. Les autres mouvements ont ensuite suivi », affirme Mme Hélou, qui laisse entendre que la résurgence des protestations serait ainsi liée aux remous suscités par la tentative de limogeage du gouverneur de la Banque centrale, Riad Salamé, que le PSP et le Futur ont défendu bec et ongles.
Aucun des grands groupes actifs naguère omniprésents dans le mouvement de contestation n’ont donné signe de vie. Des mouvements comme Li Haqqi, principalement implanté dans le Chouf et à Beyrouth, n’ont pas rejoint les protestataires, principalement du fait des risques encourus en temps de crise sanitaire.


« Ton salaire ne vaut plus que 180 dollars, qu’est-ce que tu attends ? » ou encore « Ton salaire = deux boîtes de lait ». Les slogans brandis sur des banderoles à Zouk Mosbeh donnent le ton du mouvement de contestation qui a repris de plus belle hier, redynamisé par la dégradation économique galopante alors qu’il s’était nettement calmé depuis l’arrivée du...

commentaires (5)

PRIERE LIRE LA MECHE DE LA REVOLUTION BRULE. MERCI.

LA LIBRE EXPRESSION

13 h 49, le 28 avril 2020

Tous les commentaires

Commentaires (5)

  • PRIERE LIRE LA MECHE DE LA REVOLUTION BRULE. MERCI.

    LA LIBRE EXPRESSION

    13 h 49, le 28 avril 2020

  • LR TITRE DIT TOUT, LES RESPONSABLES SONT LES PREDATEURS BANQUIERS PAR LEURS AGISSEMENTS UNILATERAUX ET ILLEGAUX ET LE GOUVERNEMENT QUI AU LIEU DE RECUPERER LES MONTANTS VOLES DES ESCROCS BIEN CONNUS VEUT PUISER DANS LES ECONOMIES D,UNE VIE DES DEPOSANTS.LE MECHE DE LA REVOLUTION BRULE.

    LA LIBRE EXPRESSION

    09 h 19, le 28 avril 2020

  • J’appréhende ce moment où les gens affamés commenceront à faire leurs courses avec des mitraillettes au lieu de cartes de paiement qui ne valent plus rien...

    Gros Gnon

    08 h 02, le 28 avril 2020

  • Nous sommes tous dans la même situation , nos salaires réduits de quart , nos enfants sans salaires , Mais reste quand même une question : récidive du scénario de 1992 juste Au come back de M . Hariri et aux montées en flèche des positions de ses alliés. Ils manipulent eventuellement les gens pauvres Ou poussent leurs partisans dans les rues . Triste pays .

    Lecteurs OLJ 2 / BLF

    07 h 35, le 28 avril 2020

  • Révolution de la faim Certes, mais aussi Révolution de la fin. La fin de l’espoir? Ou la fin de la misère ? Chaque chose a une fin en espérant que ca soit la fin de la faim Courage.

    LE FRANCOPHONE

    04 h 10, le 28 avril 2020

Retour en haut