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Société - Reportage

« Je ne vends rien, mais à quoi bon vendre ? »

La première phase du déconfinement a commencé hier dans la désillusion. Dans les boutiques, les clients se font rares, alors que les prix continuent de flamber, compte tenu du taux de change du dollar sur le marché noir.

Un ouvrier coupant des tubes métalliques devant son usine. Mahmoud Zayyat/AFP

Derrière le comptoir d’un magasin de pièces de rechange usagées pour des véhicules 4x4, à Jdeidé, un cinquantenaire, masque chirurgical bien en place sur le visage, joue avec son téléphone mobile. C’est son premier jour de travail depuis la mobilisation générale entrée en vigueur le 16 mars dernier. Son collègue, assis trois chaises plus loin, fixe pensivement l’écran de son ordinateur. Il ajuste son masque, avant de disparaître dans une salle adjacente.

Avec la première phase de déconfinement lancée hier, le magasin que Charbel gère figure au nombre des négoces autorisés à ouvrir de 8h à 17h, mais uniquement les lundis, mardis et mercredis, au même titre que les professions libérales manuelles (charpentiers, plombiers, couturiers, électriciens, garagistes, vitriers, carreleurs, etc.), conformément à la circulaire du ministère de l’Intérieur. Les commerces de détail comme les boutiques d’habillement, de meubles, de jouets et les fleuristes pourront rouvrir leurs portes les jeudis, vendredis et samedis, de 8h à 17h, sachant que les centres commerciaux de plus de 100m² resteront fermés jusqu’à la quatrième phase du déconfinement. Pour leur part, les supermarchés et les magasins d’alimentation ouvrent désormais jusqu’à 21h, le couvre-feu ayant été retardé d’une heure. La circulation alternée des voitures est maintenue.

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La lumière est faible dans le magasin où sont exposées des jantes et des pneus. Aucun client n’est en vue. D’ailleurs, la circulation est faible dans cette région réputée pourtant pour ses nombreux garages de voitures et usines.

« Je n’ai rien vendu et je ne vais rien vendre », lance Charbel sur un ton de défi. Il se lève, effectue quelques pas, se rassied et reprend : « Depuis ce matin, je reçois des appels de gens qui veulent passer des commandes. Mais je ne veux pas vendre. Je ne donne de la marchandise qu’aux propriétaires de garages qui collaborent avec moi. D’ailleurs, notre stock est presque épuisé, mais nous ne comptons pas remédier au problème. Pourquoi le faire, alors que les banques n’ouvrent pas aux commerces des lignes de crédit et que le taux de change du dollar sur le marché noir ne cesse d’augmenter ? Nous resterons toujours perdants. C’est pourquoi je ne livre la marchandise qu’à mes clients, en bonne foi, quitte à être réglé ultérieurement. »

Balayant la salle d’un regard nostalgique, il explique que depuis le 17 octobre, date à laquelle le mouvement de protestation populaire a commencé, le travail a beaucoup régressé. « Aujourd’hui (hier), nous avons ouvert juste pour faire le ménage, poursuit-il. Mieux vaut mettre la clé sous la porte. D’ailleurs les propriétaires ne tarderont pas à le faire. Mais cela veut dire aussi que sept familles seront sans ressources financières. Je regrette d’être rentré au Liban, il y a dix ans. »

Des prix selon le mode de paiement

La circulation sur l’autoroute menant vers Nahr el-Mott est fluide. Les voitures sont nombreuses, mais des deux côtés de la route, les négoces sont en leur majorité fermés. Dans un magasin d’appareils électroménagers, quelques employés s’affairent. L’entrée principale est fermée. Une porte située dans une ruelle latérale mène à l’arrière de la salle d’exposition. Pour ce magasin, la vente en ligne bat des records depuis le début du confinement. « Les Libanais se sont habitués à cette forme d’achats, confie le directeur de la salle. J’ai l’impression aussi que les gens veulent investir leur argent dans des objets utiles, puisque de toute façon ils ne peuvent pas le retirer de la banque. »

Bien que les prix soient fixés en livres, « ils sont changés tous les jours, en fonction du taux du change du dollar », précise-t-il. D’ailleurs, si un client, qui a fait le déplacement, désire régler sa facture en dollars, il a droit à deux options. Ainsi, le taux de change du dollar est fixé à 1 515 LL s’il désire payer par carte de crédit, et à celui du marché noir s’il veut payer en espèces. Un appareil tarifié à 900 000 LL peut ainsi coûter au client entre 225 et 600 dollars selon le mode de paiement !

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Du côté de Furn el-Chebback, la circulation est un peu plus dense, même si les négoces sont fermés. Seuls les bureaux de transfert d’argent – qui vendent aussi des téléphones mobiles –

sont ouverts ainsi que les magasins d’alimentation. Ici également, les clients ne se pointent pas en masse. « Ils ne viennent que pour transférer l’argent, regrette Afif, le gérant. Ils n’achètent rien. »

Plus haut, vers Hazmieh, le propriétaire d’une lunetterie se tourne les pouces. « Depuis le début du confinement, j’ouvre tous les jours quelques heures, dit-il. Mais le travail va mal. Et si je vends, je suis toujours perdant, parce que le prix de la marchandise ne cesse d’augmenter. Mais je me dis qu’heureusement j’ai un peu d’argent liquide, ce qui me permet d’acheter de quoi manger à mes enfants. J’ai atteint le stade où je ne pense plus à la continuité du commerce, mais à assurer de la nourriture à ma famille. » Excédé, il poursuit sur sa lancée : « La révolution doit revenir avec force. Et ceux qui n’étaient pas descendus la première fois doivent le faire maintenant. Ce que nous vivons est une vraie catastrophe. »

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Coronavirus : trois cas détectés

Le Liban a enregistré hier trois nouveaux cas de contamination au Covid-19, selon le dernier bilan du ministère de la Santé, alors qu’aucun nouveau décès n’est à déplorer. Au total, 24 décès ont été recensés sur le bilan total de 710 cas depuis l’apparition du virus le 21 février. Actuellement, 541 personnes sont toujours positives au Covid-19, dont 44 se trouvent dans un état critique. Un total de 145 personnes ont guéri du virus.

Par ailleurs, les campagnes de tests pour le nouveau coronavirus qui devaient avoir lieu hier dans plusieurs régions du Liban, dans le cadre de la stratégie de dépistage lancée par le ministère de la Santé, ont été reportées à aujourd’hui en raison des blocages de routes, a annoncé le ministre de la Santé, Hamad Hassan.

Il a exprimé l’espoir que les équipes de travail déployées par son ministère ne seront pas prises pour cibles, « étant donné la nature essentielle de leur travail d’évaluation de la situation de l’épidémie au Liban ».


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