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Nos Lecteurs ont la Parole

Rapide rétrospective d’un soulèvement

Cela fait un peu plus de six mois que le Liban a basculé. Le 17 octobre dernier, l’impossible est devenu envisageable. Retour sur une période courte, où tout m’a semblé rapide et lent à la fois, désespérant et plein d’espoir, où tout a changé, sans avoir fondamentalement changé encore.

* 17 octobre 2019 - 18 décembre 2019 : le temps de tous les possibles

Jamais personne n’avait imaginé cela… La chaîne humaine, le drapeau libanais, seul, dans tous les rassemblements, les revendications uniformes, justes et limpides contre les partis, contre le confessionnalisme, contre le clientélisme, la fête du 22 novembre, le centre-ville réinvesti, les soupes populaires et les quartiers qui se mélangent, le Grand Théâtre révélé, les politiciens pourchassés dans les restaurants et les femmes au premier plan… Jamais personne n’avait rêvé cela.

Démission du gouvernement Hariri, espoir.

* 19 décembre 2019 - 21 janvier 2020 : la drôle de guerre

Quelques jours avant Noël, alors qu’ont se réjouit de rentrer fêter Noël dans ce pays au visage nouveau, un Premier ministre est nommé. Professeur à l’Université américaine de Beyrouth, diplômé de l’Université de Leeds et uniquement connu pour sa bible autobiographique de 600 pages… doutes, incertitudes, attente… Nous comprenons que tant que nos chefs de guerre sont encore aux commandes (« Tous, c’est-à-dire tous »), il va falloir préparer activement la relève pour les prochaines échéances électorales. Les gens se rassemblent sous des tentes, s’informent auprès d’experts et d’universitaires, rattrapent des années où la politique ne voulait plus rien dire pour eux… Les tractations et les négociations pour les nominations ministérielles n’en finissent plus… Pendant ce temps, les comptes bancaires des déposants sont inaccessibles. À l’humiliation des queues pour retirer une poignée de dollars, s’ajoute la dévaluation en marche d’une livre libanaise dont plus personne ne veut…

* 22 janvier 2020 - 9 mars 2020 : l’effondrement

Alors même que le gouvernement nouvellement nommé s’engage, dans son premier discours, à suivre les revendications de la révolution (justice indépendante, recouvrement des fonds détournés, lutte contre l’enrichissement illégal, mise en place d’une nouvelle loi électorale…), il doit déjà faire face à un monstre qui se profile : le paiement, une fois de plus, une fois de trop, d’une échéance de 1, 2 milliard de dollars d’eurobonds le 9 mars. Le 24 février, le gouvernement n’a plus le choix. Il demande conseil, et c’est bien la première fois, afin de prendre une décision très lourde de conséquences. Le 7 mars, le Premier ministre annonce dans un discours solennel que l’État est en faillite et qu’il ne pourra plus honorer ses dettes.

Alors que les manifestants sont sur leur faim, alors que les parlementaires en voitures blindées tirent sur leur peuple qui veut les empêcher de se réunir, cette décision est courageuse, nécessaire, mais c’est une déflagration. Peu à peu, l’ampleur abyssale du trou financier creusé par 30 ans de gabegie, de clientélisme, d’ingénieries financières qui ont artificiellement maintenu une livre libanaise sous oxygène est révélée. Le pays a perdu 83 milliards de dollars.

L’économie productive s’est étiolée, l’État a dilapidé l’argent public au prix de scandales successifs que personne ne prouve de manière tangible, au prix de fonctionnaires employés à ne rien faire en échange de leur bulletin de vote, au prix de projets absurdes de barrages qui fuient et se fissurent à l’image du pays et dont l’exécution alimente encore les mêmes poches.

Les pertes accumulées de la Banque centrale, qui ne prend même plus la peine de publier de compte de résultat depuis tant d’années, se montent à 40 milliards de dollars. Et dans toute cette avalanche, le corona s’est invité, achevant le sinistre tableau et confinant chez elles les quelques personnes encore actives.

* 9 mars 2020 – 17 avril 2020 : que faire ?

Devant ce trou béant, que faire ? Le rationnel est simple : le combler par la poursuite de l’argent volé, par le retour des fortunes transférées à la hâte à l’étranger aux premiers jours de la révolution alors même que les banques étaient inaccessibles, assainir et relancer notre économie… Mais pour cela, il nous faut d’abord une justice active, indépendante. Et quand bien même nous l’aurions, il faudrait un travail titanesque et de nombreuses années avant de voir le retour des fortunes illégales…

Alors, que faire ? Vendre les biens de l’État ? Mais ils ne valent plus rien… si ce n’est pour les brader aux voleurs milliardaires qui seuls pourraient les acheter, blanchir au passage leur argent et revenir en sauveurs. Non, merci…

Alors, quoi ? Le gouvernement, incapable de gérer sa communication, de s’exprimer clairement et sincèrement face à un peuple avide de vérité, laisse les recommandations réalistes, non définitives mais si douloureuses, fuiter dans la presse et les réseaux sociaux. Alors même qu’il gère tant bien que mal, et plutôt bien d’ailleurs, la crise du covid, un mot, un seul, cristallise ce que tout le monde redoute : haircut. Le cabinet Lazard, qui a restructuré bien d’autres dettes nationales auparavant, est accusé de tous les maux. Il emploierait même, insulte odieuse, des banquiers libanais d’origine juive ? Oui car nos journalistes sont les as de l’investigation sérieuse et professionnelle. Les recommandations proposées, pour pallier l’urgence d’une situation brûlante, ont 3 objectifs :

• Combler le trou de la dette.

• Restructurer les banques pour leur redonner leur rôle de soutien à l’économie productive et non rentière.

• Redonner confiance à nos amis prêteurs qui seuls pourront rapidement faire entrer de « l’argent frais » au pays.

Et pour combler le trou, deux pistes qui ne vont pas l’une sans l’autre :

• Puiser dans les dépôts de 10 % de la population la plus aisée en préservant néanmoins un montant minimum intouchable (et préserver donc les dépôts de 90 % des Libanais).

• Mettre en place un fonds de solidarité dont l’existence n’a, elle, bien sûr pas fuité dans les médias. Ce fonds serait alimenté par le retour de l’argent mal acquis, les privatisations de l’État dans 2 ou 3 ans quand leur valeur serait acceptable et que de sérieux candidats au rachat s’aligneraient, et par une partie de l’exploitation gazière et pétrolière si celle-ci se confirmait en Méditerranée. Ce fonds viendrait alléger les efforts des déposants.

Mais encore une fois, face à une communication inexistante, à une crise de confiance que le gouvernement n’a même pas su éteindre par l’adoption de mesures immédiates (nomination des juges sur l’avis du Conseil supérieur de la magistrature, nomination transparente des membres de la Banque centrale, arrêt du barrage de Bisri…), le peuple ne peut rien y comprendre. Pourtant, ce même peuple sait bien qu’il faudra payer pour avoir voté pendant 30 ans pour les mêmes escrocs, pour avoir obtenu des taux d’intérêt à nuls autres pareils, pour n’avoir pas daigné se déplacer aux dernières municipales par exemple où une relève éventuelle était proposée.

Alors, quoi ? Le haircut est déjà effectif. Le dollar s’échange à plus de 3 800 LL aujourd’hui ; à combien demain ? Les banques ne nous permettent plus de tirer notre propre argent car elles ne l’ont plus. Les réserves de la Banque centrale sont utilisées pour acheter du pain, de l’essence et des médicaments. Mais elles partent en peau de chagrin. L’inaction sera fatale. Ne pas le comprendre, c’est marcher sur les pas du Venezuela car cela n’arrive pas qu’aux autres.

Alors, oui, il faut suivre le plan proposé qui seul mettra fin à la spirale destructrice du pays. Nous sommes dans une course contre la montre. Et il suffit de voir comment les politiciens véreux et les partis traditionnels qui ont sucé le système s’en offusquent et s’y opposent, voulant passer encore une fois pour les blanches colombes.

Mais il est surtout urgent que M. Diab prenne son envol, brise ses chaînes et acquière s’il en est encore temps la confiance devant tant de sacrifices nécessaires. Il doit parler honnêtement aux libanais en annonçant dès demain des mesures concrètes pour la transparence publique afin de redonner l’espoir qui seul nourrit encore les gens depuis ce matin du 17 octobre dernier.

Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « courrier » n’engagent que leurs auteurs et ne reflètent pas nécessairement le point de vue de L’Orient-Le Jour.

Cela fait un peu plus de six mois que le Liban a basculé. Le 17 octobre dernier, l’impossible est devenu envisageable. Retour sur une période courte, où tout m’a semblé rapide et lent à la fois, désespérant et plein d’espoir, où tout a changé, sans avoir fondamentalement changé encore.* 17 octobre 2019 - 18 décembre 2019 : le temps de tous les possiblesJamais personne...

commentaires (1)

Très bien dit !! Merci Alia

Claude Ghazal

11 h 38, le 03 mai 2020

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Commentaires (1)

  • Très bien dit !! Merci Alia

    Claude Ghazal

    11 h 38, le 03 mai 2020

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