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Culture - Disparition

Luis Sepulveda, loin du Chili, proche de sa langue maternelle

Hospitalisé à l'hôpital universitaire central des Asturies à Oviedo en Espagne depuis le 27 février dernier, le célèbre écrivain chilien est décédé des suites du SARS-CoV-2 le jeudi 16 avril. Il avait 70 ans. 

Luis Sepulveda : Dans la littérature se reflète la position éthique de l’auteur et je sais pour qui j’écris : l’immense foule des perdants”. Photo /AFP

“La lecture est un antidote contre le venin de la vieillesse et une consolation face à la solitude”, écrivait le romancier chilien dans Le vieux qui lisait des romans d’amour, son livre best-seller - plus de 5 millions d’exemplaires, traduit en soixante langues - paru en France en 1992 aux éditions Métailié. Mais les mots n’auront malheureusement pas été d’un grand secours face à l’épidémie de Coronavirus pour Luis Sepulveda, lui qui s’est battu toute sa vie pour le droit des hommes et la préservation de la nature dans ses livres. Lui qui insistait tant sur la primauté de la citoyenneté et de l’implication politique, il disait aussi : “Ce n’est qu’une fois que j’ai accompli mes devoirs de citoyen que j’ai le droit moral de m'asseoir comme écrivain et de me mettre à la tâche”.

L’universitaire, essayiste, et traducteur Bernard Sesé a ainsi décrit le travail de l’auteur chilien : “Art du conteur, humaniste, esprit de solidarité, sens éthique, rébellion contre les totalitarismes, révolte des aberrations engendrées par le progrès technique, caractérisent son univers”. Luis Sepulveda laisse derrière lui une oeuvre d'une trentaine de romans, textes où se côtoient les thèmes qui ont marqué sa vie : la défense des opprimés, l’Histoire et, surtout, la dénonciation des coups d’états fascistes, des dictatures et des totalitarismes. “Raconter, c’est résister”, se plaisait-il à dire, en reprenant la devise de l’écrivain brésilien Joao Guimaraes Rosa.

Mais pour comprendre cette intrication fondamentale entre le politique et la littérature chez Sepulveda, il faut revenir sur sa vie, pleine de rebondissements romanesques, qui aura été constamment tiraillée entre l’engagement social, la lutte politique et l’écriture.



Une vie, une oeuvre
Né le 4 octobre 1949 à Ovalle, dans le nord du Chili, Luis Sepulveda s’engage auprès des jeunesses communistes chiliennes en 1961, alors qu’il n’a que 12 ans. En 1973, arrive le coup d’état de Pinochet. Le jeune Luis Sepulveda, encore étudiant, est accusé par le nouveau régime de trahison et de conspiration, plus exactement de “trahison de la patrie, conspiration subversive, et appartenance aux groupes armés”, comme il le dira lui-même. Le verdict : 28 ans de prison. L’intervention d’Amnesty International lui permet de commuer cette peine en exil de 8 ans en Suède. Mais après avoir passé deux ans et demi en prison, il décide de rester sur son continent natal et voyage à travers l'Amérique latine. Il fonde au passage une troupe de théâtre en Équateur avec l’Alliance Française, puis il continue au Pérou et en Colombie. En 1978, il participe à une recherche de l'Unesco sur “l'impact de la colonisation sur les populations amazoniennes” et passe un an chez les Indiens Shuars (Les Jivaros), qu’il mettra plus tard en scène dans Le vieux qui lisait des romans d’amour, publié en 1992. En 1979, il est au Nicaragua. Là-bas, il participe à la révolution sandiniste dans la brigade Simon-Bolivar. Il en revient “déçu qu’une belle révolution ait fini en enfer à cause des infirmités de toujours : le dogmatisme, l’uniformisation et le manque de générosité créative”, dira-t-il plus tard.

En 1982, Luis Sepulveda change de continent. Il s’installe à Hambourg en Allemagne, où il devient journaliste reporter. A cette époque, il voyage souvent en Afrique et en Amérique du sud. Jusqu’en 1987, il travaille pour Greenpeace. Il faudra attendre 1992, à l’âge de 43 ans, pour voir la publication de son premier ouvrage, qui est un succès international : Le Vieux qui lisait des romans d’amour, traduit par François Maspero pour les éditions Métailié la même année. Il s’agit de l’histoire, sous forme de conte, d’un homme veuf, Antonio José Bolivar Proano, grand connaisseur de la forêt amazonienne et de ses Indiens, qui lit des romans pour échapper à la barbarie des hommes blancs. Encouragé par le succès de son premier livre, Sepulveda publie deux ans plus tard, en 1994, Le monde du bout du monde, livre dans lequel il dénonce “l’assassinat quotidien de la nature” à travers la narration de l’histoire d’un jeune passionné par MobyDick qui embarque sur un baleinier, avant de rejoindre Greenpeace et de combattre le braconnage. En 1995, il publie Le neveu d’Amérique pour dénoncer l’exploitation minière sauvage et les dégâts causés par l’industrie agroalimentaire.

Après avoir vécu à Hambourg et à Paris, il s’installe en 1996 à Gijón, dans le nord de l’Espagne, où il fonde le Salon du livre ibéro-américain. Il écrit par ailleurs des chroniques pour plusieurs journaux italiens. Cette même année, il publie une fable pour enfant L’Histoire de la Mouette et du Chat qui lui apprit à voler, un autre très grand succès en librairie. En 2004, il publie La folie de Pinochet, dans lequel il rassemble 21 articles sur le Chili et dépeint un sinistre portrait du dictateur, essentiellement dans un soucis de lutte contre l’amnésie des horreurs de cette dictature. Dans son dernier roman, La Fin de l’histoire (Métailié, 2017), l’écrivain revenait à ses préoccupations écologiques.

C’est loin du Chili mais proche de sa langue maternelle, dans une Espagne sévèrement touchée par le Coronavirus que Luis Sepulveda aura péri jeudi, après un mois et demi de lutte contre la maladie. L’Espagne est actuellement le deuxième pays le plus atteint de Covid, après les Etats-Unis, avec une nombre de cas avoisinant les 185 000 personnes infectées.

“La lecture est un antidote contre le venin de la vieillesse et une consolation face à la solitude”, écrivait le romancier chilien dans Le vieux qui lisait des romans d’amour, son livre best-seller - plus de 5 millions d’exemplaires, traduit en soixante langues - paru en France en 1992 aux éditions Métailié. Mais les mots n’auront malheureusement pas été d’un grand secours face...

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