Face à la levée de boucliers provoquée par la fuite, au cours des derniers jours, des grandes lignes du programme de réforme économique du gouvernement de Hassane Diab, le cabinet semble acculé à se rétracter. Un faux pas de plus qui vient s’ajouter à la série de décisions contestées et de valses-hésitations du gouvernement depuis son entrée en fonctions il y a deux mois.
Depuis que la teneur du programme de réformes économiques a filtré, à la fin de la semaine dernière, les forces politiques opposées au gouvernement comme certaines de celles qui en font partie, ainsi que la société civile, sont vent debout contre toute atteinte préjudiciable aux déposants. Et ce en raison d’un passage du plan de réformes à l’étude affirmant la volonté du gouvernement de ne pas porter atteinte aux économies de « 90 % des déposants ». Or 90 % des déposants possèdent moins de 100 000 dollars dans leur compte, selon des estimations. Ce qui laisse craindre que la classe moyenne soit directement touchée par un éventuel « haircut », même si le plan gouvernemental n’évoque pas ce terme.
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C’est le chef du Parti socialiste progressiste Walid Joumblatt qui est monté le premier au créneau, accusant dès vendredi le cabinet Diab de vouloir « confisquer » l’argent des Libanais. « Le gouvernement monochrome confisque l’argent des gens sur la base de critères illégaux et anticonstitutionnels », a réagi le chef druze sur Twitter, affirmant que le but du cabinet est « d’éliminer toute opposition, de renverser l’accord de Taëf et de prendre le contrôle total des capacités du pays pour saper ce qui reste de souveraineté (…) ». M. Joumblatt aurait même envoyé hier un émissaire auprès du Premier ministre, lui demandant de se rétracter sur cette question, selon des sources de l’opposition. Il aurait poussé Saad Hariri, qui se trouve toujours à Paris, à lui emboîter le pas.
Dans un tweet incendiaire, l’ancien Premier ministre a accusé à son tour le gouvernement de conduire le pays vers un suicide économique. « Depuis sa formation, ce gouvernement promet aux Libanais et au monde un plan de sauvetage économique. Nous avons décidé de lui accorder une période de grâce (…). Mais il semble qu’il se dirige vers un plan de suicide économique basé sur la confiscation de l’argent des Libanais déposé dans les banques », a écrit M. Hariri sur Twitter. Affirmant que « la période de grâce que nous avons accordée ne signifie en aucun cas de permettre au gouvernement et à ceux qui se tiennent derrière lui de modifier la nature de notre système économique ou de mettre la main sur les économies des gens », Saad Hariri a menacé de changer de ton si le gouvernement ne faisait pas marche arrière.
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Interrogées par L’Orient-Le Jour, des sources du courant du Futur indiquent que « toutes les options sont possibles », sans préciser de quels moyens de pression dispose l’ancien Premier ministre. Une menace agitée récemment par le courant du Futur de pousser ses députés à la démission a depuis fait long feu…
Samedi, le chef des Forces libanaises Samir Geagea a lui aussi averti qu’il n’accepterait « aucun plan de sauvetage s’il n’inclut pas des réformes du secteur de l’électricité, des douanes, la fermeture des passages frontaliers illégaux, et si les contrats avec les fonctionnaires illégaux ou ceux qui ont été embauchés pour des raisons électorales ne sont pas résiliés ». « Tout plan qui exclut ces réformes ne sera pas en réalité un plan de réformes, mais visera uniquement à assurer des recettes à l’État puisées dans les portefeuilles des gens, sans mettre un terme aux sources de dilapidation des fonds publics », a estimé M. Geagea, s’en prenant au « sinistre trio qui contrôle le Liban », dans une allusion au Courant patriotique libre et au tandem chiite.
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Tiraillements au sein du gouvernement
De source proche du dossier, on assure cependant qu’il n’y a pas encore de plan à proprement parler et que le document qui a filtré « est un brouillon, soumis à la discussion et ouvert aux modifications ». Cette source estime que les grands déposants peuvent être appelés à contribuer à une solution de la crise financière, mais que le gouvernement n’envisage pas de « haircut » pour le moment. Néanmoins, même au sein du gouvernement, des voix se sont élevées contre le projet. Une source proche du bloc parlementaire du chef du mouvement Amal, Nabih Berry, souligne ainsi à L’OLJ que ni le président du Parlement ni le ministre des Finances Ghazi Wazni, qui était le conseiller économique de M. Berry, « ne sont en faveur du plan, contrairement au chef du gouvernement ».
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Les chefs de communauté religieuse ont également dénoncé le programme de réformes, alors que des représentants de syndicats de professions libérales, menés par l’ordre des avocats du Liban, ainsi que ceux des fonds sociaux du pays, dont la Caisse nationale de Sécurité sociale (CNSS), ont fermement rejeté, lors d’une réunion conjointe jeudi soir, toute atteinte aux fonds et autres caisses de couverture sociale – qu’elles soient publiques ou appartenant à des organisations professionnelles du secteur privé – qui possèdent des dépôts dans les banques, ainsi que toute atteinte aux dépôts des particuliers.
Pour sa part, le Bloc national a renvoyé dos à dos le gouvernement et ses détracteurs, estimant que « les partis confessionnels se défendent en premier » lorsqu’ils montent au créneau, car « ce sont eux les plus importants déposants, même sous des noms d’emprunt ».
Face à ce tollé, le Premier ministre « n’a plus d’autres options que de retirer ce projet catastrophe », estime l’ancien ministre Marwan Hamadé. Pour lui, cette affaire est venue s’ajouter à « une série d’échecs, à commencer par les nominations judiciaires, en passant par les nominations à la Banque du Liban ou à la fonction publique ».
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commentaires (12)
J'adore quand nous flanque dans la face des mots savants pour nous faire taire et pour nous faire sentir automatiquement qu'on est une sous classe d'humains dont le destin tient à la volonté et au plaisir de ces oracles divins, de calibres différents bien sûr, qui gèrent nos vies: haïrcut, capital control, wa halouma jarra... Tout comme ces brebis qui se plaisent à entendre leur maître leur parler de temps en temps tout en les gavant et les aidant à mâcher, sans réaliser qu'ils seront bientôt son prochain met lors d'une quelconque célébration, malgré toute cette gentillesse qu'il leur offrait... L'argent est partit et maintenant la stratégie est de tordre les lois pour que la "classe" dirigeante se blanchit par des lois bien cousues pour leur salut ... et le peuple? Hahaha...aalayhi es'salam!
Wlek Sanferlou
18 h 57, le 14 avril 2020