Des soldats déployés devant une banque à Beyrouth, le 16 janvier. Anwar Amro/AFP
Depuis que le Liban a décidé de faire défaut sur sa dette, les banques locales sont en première ligne, compte tenu de leur forte exposition au risque souverain. Pour survivre, le secteur bancaire sera contraint de se restructurer et se consolider. Pourquoi ce processus est-il inévitable et quelles en sont les implications ?
Pouvoir continuer à opérer
La dégradation continue de la notation souveraine du pays ces derniers mois, et particulièrement depuis l’annonce du Liban de sa décision de ne plus rembourser ses créanciers, a aussi eu une répercussion directe sur le secteur bancaire.
Pour pouvoir continuer à opérer dans le système financier international et ne serait-ce que pour préserver leurs relations avec les banques correspondantes, les banques libanaises se doivent de continuer à respecter le ratio d’adéquation des fonds propres de Bâle III. Car dans le cas contraire, les banques correspondantes cesseront purement et simplement de traiter avec elles.
Le ratio d’adéquation des fonds propres (fonds propres sur actifs bancaires pondérés par un facteur d’évaluation du risque) doit être de 8,5 % et idéalement de 10,5 % pour tout établissement bancaire. Selon les dernières estimations connues, ce ratio était subitement passé de 16 % à 12 % pour l’ensemble du secteur au début de la crise de liquidités en septembre et sera désormais certainement en deçà des exigences pour bon nombre d’établissements. D’une part car la pondération des risques (des actifs bancaires, dont les eurobonds et les certificats de dépôt) est automatiquement revue à la hausse suite à une dégradation de la note d’un pays et de son secteur bancaire. Mais surtout car lorsqu’une banque réalise des pertes, elle doit les retrancher de ses fonds propres.
Des pertes colossales
Et les pertes s’annoncent colossales pour les banques libanaises, à l’aube d’une restructuration de la dette du pays. Elles sont en effet les principales détentrices des obligations de l’État en dollars : environ 13 milliards de dollars d’eurobonds sont directement détenus par les banques locales sur un total de 31,3 milliards de dollars. Ces obligations valent aujourd’hui 18 à 20 % de leur valeur nominale sur le marché secondaire.
Le Liban souhaite négocier un accord avec ces créanciers en vue de la restructuration de la dette en dollars. En général, une restructuration de la dette signifie que de nouvelles séries d’eurobonds sont émises avec des dates de maturité plus longues, une réduction des intérêts et souvent du principal. Les séries existantes sont alors échangées contre de nouvelles séries. En cas de réduction du principal de la dette, il s’agira donc d’un haircut sur les eurobonds. Ainsi, si l’on suppose que la réduction du principal serait de 60 % (il s’agit là d’un simple exemple et non d’une spéculation), les banques perdraient pas moins de 8 milliards de dollars.
Mais l’exposition des banques locales à la dette souveraine ne se limite pas uniquement à leurs souscriptions aux eurobonds et bons du Trésor, mais également aux placements (les certificats de dépôt) de ces établissements bancaires auprès de la Banque du Liban, qui s’élèvent à environ 80 milliards de dollars. Depuis quelques années, la BDL jouait le rôle d’intermédiaire. L’État s’endettait en émettant des obligations, qui sont ensuite rachetées par la BDL. La Banque centrale émettait à son tour des certificats de dépôt à des taux d’intérêt plus élevés, qui étaient ensuite rachetés par les banques commerciales. Cela permettait, in fine, aux banques de financer le gouvernement sans que cela ne se reflète sur leur niveau d’exposition à la dette. Dans sa dernière note consacrée au Liban, la banque américaine Morgan Stanley recommandait une suppression de ce rôle d’intermédiaire joué jusqu’ici par la BDL entre le secteur bancaire et le gouvernement en transformant ces certificats de dépôt en une dette de gouvernement détenue par les banques commerciales. Ce qui permettrait également de la restructurer, et donc occasionner des pertes additionnelles pour le secteur bancaire.
Enfin, outre son exposition directe et indirecte à la dette souveraine, le secteur bancaire doit composer avec des créances douteuses de plus en plus importantes : sur les 47 milliards de dollars de prêts accordés au secteur privé, environ 20 % ne seront pas remboursés, selon les estimations du ministre des Finances Ghazi Wazni. Ce qui signifie que les banques assumeront des pertes de près de 9 milliards de dollars au moins, sachant que ce taux sera amené à grimper davantage, à en croire les différents banquiers interrogés.
Ces pertes vont donc impacter le ratio d’adéquation des fonds propres des banques, mais elles font aussi et surtout du secteur bancaire un secteur en faillite. Les fonds propres des banques alpha (les 16 plus grandes banques du pays, dont les dépôts dépassent 2 milliards de dollars) s’élevaient à 22 milliards de dollars à fin décembre 2018, selon Bankdata Financial Services. Le secteur bancaire pourrait donc être confronté à des pertes représentant plus de la moitié de ses fonds propres.
En novembre 2019, la BDL a demandé aux banques, par le biais d’une circulaire, d’augmenter leurs fonds propres de 20 % d’ici à fin juin, soit de 4,4 milliards de dollars, et de ne pas redistribuer à leurs actionnaires les profits réalisés en 2019. L’objectif à court terme était de répondre à la crise de liquidités en dollars, mais cette circulaire a aussi vocation à renforcer la solvabilité des banques face à la hausse des créances douteuses et à élargir leur « coussin de sécurité » en cas de haircut. Pour le moment, la plupart des principales banques du pays ont annoncé leur intention de répondre favorablement à la requête de la BDL. Mais même une telle augmentation ne sera pas suffisante pour la recapitalisation des banques. Selon Ghazi Wazni, le secteur aurait besoin d’une injection de liquidités de 20 à 25 milliards de dollars pour assurer sa relance.
(Lire aussi : Seules au front, les banques engagées dans une course contre la montre)
Recapitalisation, fusions et bail-in
D’où la nécessité de restructurer l’ensemble du secteur. En quoi cela va consister ? Pour le moment, chaque banque essaiera d’améliorer son propre bilan. Elles vont donc chercher à augmenter leurs fonds propres, en allant à la recherche de nouveaux investisseurs (théoriquement il peut s’agir d’investisseurs locaux ou internationaux ou encore d’États). Certaines, comme Bank Audi, pourraient vendre leurs actifs à l’étranger pour renforcer leurs capitaux au Liban.
« En réalité, les besoins en recapitalisation sont variables d’une banque à l’autre, certaines étant très exposées, d’autres beaucoup moins. Il faudra donc évaluer, banque par banque, le montant de recapitalisation nécessaire afin d’atteindre le ratio de solvabilité de 8 % minimum exigé par les normes de Bâle. Certaines banques pourraient résister au test sans aucun besoin de recapitalisation, d’autres, notamment les petites banques familiales, pourraient apporter par elles-mêmes les fonds nécessaires », écrivait ainsi Jean Riachi, dans une tribune publiée dans l’édition de mars du Commerce du Levant.
Le rôle du ministère des Finances et de Lazard (mandaté par le gouvernement pour le conseiller dans le processus de restructuration de la dette) ainsi que celui de la Banque centrale sera déterminant. Outre l’évaluation de la situation de chacune des banques, les décideurs seront amenés à prendre des décisions stratégiques, notamment des mesures servant à favoriser la fusion des banques.
L’une d’elles serait la création d’une bad bank (ou structure de défaisance). « On pourrait aussi envisager la fermeture pure et simple des banques estimées non viables et le transfert de leurs actifs toxiques dans une structure de défaisance, tandis que les actifs viables seraient transférés aux grandes banques survivantes, avec un montant de dépôts correspondant. Les dépôts restant dans la structure de défaisance seraient alors transformés en actions de cette structure. Le Liban a déjà expérimenté cette méthode avec la liquidation de la banque Intra », soulignait encore Jean Riachi.
Problème : si ce type de structure sert à protéger dans une certaine mesure l’intérêt des déposants, c’est souvent l’État qui prend la plus importante participation dans une bad bank et en assume donc les risques. « Il existe toutefois des fonds internationaux qui sont généralement intéressés par les bad banks : les distressed assets funds. Ces fonds achètent les actifs toxiques aux banques à des prix généralement très bas par rapport à leurs valeurs initiales et renégocient avec les emprunteurs des remboursements partiels, qui leur permettent néanmoins de réaliser des profits significatifs. Exemple : un fonds achète à une banque une créance douteuse à 30 % de sa valeur. La banque accepte donc une perte de 70 %, mais améliore son bilan et son ratio. Ensuite, le fonds négocie avec l’emprunteur pour récupérer 40 % de cette créance douteuse, et réalise ainsi une marge de 40 % », explique à L’Orient-Le Jour un banquier interrogé.
Mais ce n’est qu’une fois que ce processus de restructuration achevé, avec en place des banques survivantes saines, que celles-ci pourront proposer un bail-in à leurs déposants, estime le même banquier, qui pense que cette opération sera volontaire et exclut la probabilité qu’elle soit mise en place de manière forcée. Les grands déposants se verraient ainsi proposer de convertir une partie de leurs dépôts en prise de participation (actions) dans les banques où ils avaient initialement placé ces dépôts. C’est ce qui est communément appelé « bail-in ».
Autant dire que le secteur bancaire fera face à des années difficiles avant de pouvoir entièrement se redresser. En attendant, des mécanismes pourront être prévus par les bailleurs de fonds traditionnels du Liban afin de permettre un financement direct aux entreprises, à travers l’octroi de prêts, car les banques ne seront pas en mesure d’accorder des prêts au secteur privé lors de leur phase de consolidation. « Des organismes, comme la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD) ou la Société financière internationale (SFI, groupe Banque mondiale), sont habitués à ce type de mécanisme. La BERD a lancé six initiatives ces dernières années reposant sur le même principe, à destination des PME. La Banque européenne d’investissement (BEI) et Proparco (groupe Agence française de développement) pourraient également participer », a indiqué une source proche du dossier à L’Orient-Le Jour. Mais là encore, les conditions demeurent constantes. « Un plan de sauvetage du Fonds monétaire international et une restructuration de l’ensemble de la dette publique en toute transparence, y compris du bilan de la BDL », conclut la source.
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commentaires (11)
Les banques sont en faillite puisque entre les "mauvais" prêts,leurs Eurobonds dévalués, et leurs prêts a BDL qui ne peuvent être rembourses, elles ont perdu au delà de leur capital Juridiquement, les actionnaires actuels devraient être réduits a zéro, avant que les créditeurs (déposants) soient touches.\ De plus, en loi Libanaise, les membres du conseil sont personnellement responsables avec tous leurs actifs en cas défaut bancaire....Va - t - on les poursuivre?
Kettaneh Tarek
21 h 05, le 10 avril 2020