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Moyen-Orient - Éclairage

La pandémie met un coup d’arrêt à la guerre des prix du pétrole

Les principaux exportateurs de pétrole ont annoncé dimanche une réduction inédite de leur production à hauteur de 9,7 millions de barils par jour.

Des flammes émergent des cheminées du champ pétrolifère de Nahr bin Umar, au nord de Bassora en Irak, alors qu’un travailleur porte un masque de protection, à la suite de l’épidémie de coronavirus. Essam al-Sudani/File Photo/Reuters

L’épidémie mondiale de coronavirus (Covid-19) aura eu raison de la guerre des prix du pétrole. Au terme de quatre jours d’âpres négociations, les principaux exportateurs de pétrole ont annoncé dimanche soir s’être accordés sur une réduction « historique » de leur production, dans le but de contrer la chute drastique des cours. Lors de la dernière réunion, tenue par visioconférence, l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP) a annoncé que l’accord porte sur une baisse de l’offre pétrolière de 9,7 millions de barils par jour pour les mois de mai et de juin. Un engagement qui inclut également dix autres producteurs de pétrole dont la Russie (format OPEP+) et les États-Unis. L’entente, qui sera valide jusqu’au 30 avril 2022, doit être réévaluée en décembre 2021, tandis que les quotas doivent être ajustés à hauteur de 7,7 millions de barils par jour pour le second semestre 2020, puis à 5,8 millions jusque 2022. La prochaine réunion de l’OPEP doit avoir lieu le 10 juin.

Largement salué, « le résultat était en quelque sorte attendu, en particulier après les déclarations précédentes du président américain Donald Trump sur la nécessité de mettre leurs différences de côté et de convenir d’une réduction de la production d’au moins 10 millions de barils par jour », explique à L’Orient-Le Jour Carole Nakhlé, fondatrice et PDG de Crystol Energy. Le timing de cet accord montre que « les gouvernements des trois pays (Russie, Arabie saoudite, mais aussi États-Unis) semblent avoir mal calculé le véritable impact de l’effondrement des prix du pétrole, bien que relativement parlant, la partie américaine ait semblé plus résiliente », estime pour sa part Anna Borshchevskaya, chercheuse au Washington Institute for Near East Policy. « Il semble aussi que la pression américaine ait fonctionné », note-t-elle.

Washington, qui reste traditionnellement en coulisses sur les questions de pétrole, s’est grandement investi dans les négociations avec le président russe, Vladimir Poutine, et le prince héritier saoudien, Mohammad ben Salmane, afin de trouver un dénouement rapide à la crise. « Les États-Unis n’ont jamais participé à un accord de ce type », souligne Bader al-Saif, professeur à l’Université du Koweït et chercheur non résident au centre Carnegie, contacté par L’OLJ. « Nous n’avons jamais assisté à une guerre des prix pendant qu’une pandémie touche les quatre coins du monde et que l’économie est affectée par des facteurs qui ne sont pas liés au pétrole », poussant les dirigeants à trouver un accord au plus vite et en comparaison aux crises précédentes qui ont duré plusieurs mois, ajoute-t-il.


(Lire aussi : Coronavirus : les pays exportateurs de pétrole s'accordent sur une baisse "historique" de la production)

Rétablir la discipline

Les prix des cours du pétrole ont été foudroyés au début du mois de mars par la baisse de la demande chinoise à la suite de la propagation du coronavirus, qui s’est ensuite répercutée sur la demande mondiale et à laquelle s’est greffé le bras de fer russo-saoudien. Souhaitant réguler les quotas de production pour empêcher la chute des prix, Riyad s’était heurté à une fin de non-recevoir de la part de Moscou. Le Kremlin espérait pour sa part pouvoir infliger un coup à Washington, devenu premier producteur mondial en 2018 grâce au pétrole de schiste, nécessitant cependant des cours élevés pour être rentable. Le prix du baril, qui s’élevait à 60 dollars en janvier, a atteint les 22,89 dollars en mars – son niveau le plus bas depuis 17 ans –, avant de remonter à 30 dollars en avril. « À première vue, l’Arabie saoudite apparaît comme un vainqueur (à la suite de son bras de fer avec la Russie), car elle a réussi à “rétablir” la discipline au sein de l’OPEP/OPEP+ et à rassembler un groupe de pays encore plus important pour soutenir son appel pour la réduction de la production », décrypte Carole Nakhlé. « Cependant, comme ces dernières années l’ont montré, elle pourrait finir par devoir prendre en charge la plus grande partie de ces réductions alors que les autres membres ne tiennent pas leurs promesses », nuance-t-elle.

« Tous les acteurs ont obtenu ce qu’ils voulaient », estime pour sa part Bader al-Saif. Le Mexique, autre principal obstacle à l’accord, a aussi plié en acceptant une réduction de 100 000 barils par jour, bien en deçà des 400 000 voulus par les autres producteurs. Washington a toutefois indiqué qu’il prendrait à sa charge la réduction de 250 000 barils par jour supplémentaires, à la suite d’un accord avec Mexico. « C’est là qu’il y a un tour de passe-passe. Trump n’est pas fiable, ses deals ont été un peu compliqués… Nous ne savons pas comment il va imposer ces réductions supplémentaires alors que les lois anticartel américaines empêchent d’imposer une baisse spécifique », remarque Bader al-Saif.


(Lire aussi : Avec la guerre du pétrole, la fin de l’âge d’or pour les pays du Golfe ?)


Fin de la partie

Le locataire de la Maison-Blanche a par ailleurs affirmé hier sur Twitter que « l’OPEP+ envisage une coupe de 20 millions de barils par jour et non de 10 millions, comme il est généralement rapporté ». « Si on s’approche de cela et que les affaires mondiales reprennent après le désastre du Covid-19, le secteur de l’énergie rayonnera à nouveau, bien plus rapidement qu’anticipé », a-t-il précisé. Un montant qui réunit les réductions de production de pétrole par les pays du G20 hors de l’OPEP, les achats de pétrole par l’Agence internationale pour l’énergie pour alimenter ses réserves ainsi que les réductions supplémentaires annoncées par l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis et le Koweït, au-delà des quotas mis en place par l’accord pour les mois de mai et de juin. Des chiffres qui n’effacent pas pour autant les inquiétudes des observateurs alors que 80 % des capacités de stockage sont en saturation dans le monde, tandis que les marchés se montrent prudents. Après avoir enregistré un bref rebond, les bourses asiatiques ont terminé hier dans le rouge.

Si la fin de la partie entre Riyad, Moscou et Washington a été sifflée par l’accord, de nombreuses questions persistent pour la suite. « Il s’agit de savoir comment les pays producteurs peuvent faire avancer leurs programmes de diversification (de leurs économies) alors que le pétrole est la source de revenu principale pour la plupart des pays de l’OPEP », indique Bader al-Saif. « Ce n’est pas tenable, ils ne peuvent pas subir les fluctuations des prix du pétrole comme ils le font habituellement, alors que leurs défis économiques ne cessent d’augmenter », conclut-il.



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