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Nos Lecteurs ont la Parole

Lettre ouverte à mes semblables

Si je m’adresse à vous, hommes et femmes de ma chair, c’est que je suis certain que chacun d’entre vous et à sa façon a déjà anticipé en son for intérieur, au cours de ces journées de confinement, les vœux que je souhaite formuler en vue du plus simple des bonheurs, le bonheur de vivre.

Il nous aura donc sufi d’un microbe rabat-joie et pernicieux pour nous mettre tous à genoux. Je ne vais pas, vous vous en doutez, jouer au moralisateur, n’étant pas moi-même amateur d’homélies. Je ne suis qu’un être humain ayant le gout du sens commun et un citoyen normalement cultivé.

Quoi de plus beau, dites-le moi, que de jouir de notre existence et de ce que nous offrent l’amour, l’art sous toutes ses formes et l’esprit, en particulier ? Je me rends compte que notre vie ici-bas n’est ni une cour de récréation ni un roman d’aventures ouvert aux insouciants. Car ce qui est actuellement en cours dans l’univers révèle une dimension infiniment plus profonde et plus productrice que l’économie et la technologie.

Ne soyons donc pas étonnés que l’histoire de l’humanité n’ait été jusqu’à présent qu’une longue description de catastrophes, comme l’a si bien définie un penseur dont j’ai perdu le nom.

Naturelles ou fruits de notre intelligence, les richesses de notre monde s’avèrent susceptibles d’anéantissement. Nous payons en ce moment le prix pour le savoir. Sauf que l’esprit, ce parfum indéfinissable qui nous domine, se révèle terriblement exigeant à tous les niveaux. La race humaine en est le témoin vivant, alors que l’esprit lui-même n’aurait eu aucun sens s’il ne nous avait pas catapultés dans l’existence que nous lui devons : phénomène qui s’impose tel un évènement sacré. De ce fait, nous sommes responsables de nos comportements ainsi que du développement de la matière mise à notre disposition. Que nous fassions éventuellement fi des idées, des fantasmes, des illusions ou des doctrines religieuses ne nous fera jamais gommer les effets de la pensée qui émane de notre cerveau. Il est donc impossible de renier sa propre essence et ne pas se poser la grande et unique question, à savoir comment procéder pour atteindre à notre épanouissement personnel.

À partir de là, plus de place pour les objections ou les calculs savants des sciences de ce monde. Parce qu’il ne s’agira plus de courir après le « comment » des choses, mais d’en découvrir tout simplement le « pourquoi ». Ici, comme on dit, nous mettons le doigt sur la plaie. Qu’avons-nous fait de concret, nous les hommes, avec notre intelligence et notre superbe, pour célébrer la beauté du don de notre vie terrestre ?

Certes, nous avons réussi à assurer à nos frères en humanité le confort matériel et une forme de civilisation globale. Les grands artistes, les grands penseurs, les grands scientifiques, que nous admirons à juste titre, ne nous ont néanmoins procuré ni sérénité ni sécurité, malgré les brillants succès de leur labeur à travers les siècles. Depuis l’époque historique de la Renaissance en Europe, la révolution industrielle a non seulement satisfait nos inimaginables commodités quotidiennes, mais également conduit à des découvertes telles que la fission de l’atome. Sauf que l’un de ces résultats aura abouti à la fabrication de la bombe à hydrogène. Bonjour tristesse !

La leçon à en tirer est que la technologie jointe à la gloutonnerie de l’économie semble mener le monde à de nouvelles catastrophes historiques, lesquelles sont débridées telles qu’elles le sont devenues. Nouvelles religions de l’humanité, elles nous auront conduits à la société de consommation et à son corollaire, la soi-disant bienfaisante mondialisation. En conséquence, l’uniformisation des comportements humains a affaibli la culture, banalisé les arts et vicié la notion du dépassement de soi à laquelle l’être humain est irrémédiablement convoqué. La finance et le capital en deviennent les outils, la drogue et le blanchiment, les moyens pratiques…

Nous sommes-nous seulement demandé si la beauté et l’amour se sont fixé des horizons ? Ou encore le prix qu’il faut consentir pour les vivre ? Or la plus modeste des créatures humaines est capable d’y répondre. Transparaissent malgré nous des mots aussi nobles que bonté, générosité, ouverture d’esprit, justice. Ces mots-là, tout le monde les connaît. Ils nous ont été diffusés et enseignés par des visionnaires, des artistes, des prophètes. Sauf que la matière, jusqu’au jour d’aujourd’hui, semble avoir eu le dessus sur l’esprit dont elle a besoin pour se développer. Notre prise de conscience qui sera la conscience de demain doit impérativement décoller à partir de pareille constatation. Je sais que le geste en question est onéreux et demande des sacrifices. Mais le prix à gagner, et non à payer, sera fabuleux.

Comment le mériter ? En renonçant dorénavant à tous les excès. Cessons, pour commencer, de pomper inconsidérément les ressources de notre terre nourricière. De dévaster notre environnement naturel, de pousser à la fabrication de monstrueux robots ou à des recherches génétiques contre nature. De jeter sur les marchés des produits inutiles réduisant notre pouvoir d’achat. De défigurer l’art dans la peinture, la musique et la danse, en produisant à la chaîne et dans un but uniquement lucratif des simulacres de nouveautés artistiques, et nous soumettre de plus au triomphalisme trompeur de l’intelligence artificielle. Je ne puis nier, il est vrai, que de tels progrès sont inévitables. Voilà pourquoi il sera nécessaire de les endiguer, de les contrôler et de les maintenir à l’état de connaissances virtuelles. D’où les nouvelles directives de la gérance politique mondiale : domestiquer les bienfaits de la matière et non en être les esclaves.

Alors, rendons grâce au Covid-19 et aux éventuels virus à apparaître, lorsqu’il s’agit du réveil de notre conscience. Notre mode de vie, nos coutumes, nos voyages doivent se trouver un point d’équilibre qui est celui de « consommer avec modération ». Afin que l’alcool de la vie renforce nos âmes plutôt que nos sens. Nous venons, par notre solidarité générale face à la peur, de donner la preuve de notre capacité à aimer. Maintenons pareil élan, chacun à son échelle personnelle. Ce sera comme piquer son point de couture dans la vaste trame de notre univers. Et parce que la rédemption reste à notre portée, que les puissants, les nantis et jusqu’aux ministres des diverses doctrines religieuses se défaussent un peu de leur désinvolture, de leurs appétits et de leurs fallacieux ornements, rien que pour nous servir un premier exemple. Référons-nous à une certaine sobriété dans nos manifestations comme dans nos rituels. Retrouvons le sens de mots tels qu’« aimer, donner, pardonner ».

Certaines parties de la population de la planète doivent célébrer tantôt ce qu’on appelle les festivités de Pâques. Méditons là-dessus et voyons si elles n’ont pas raison !


Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « courrier » n’engagent que leurs auteurs et ne reflètent pas nécessairement le point de vue de L’Orient-Le Jour.

Si je m’adresse à vous, hommes et femmes de ma chair, c’est que je suis certain que chacun d’entre vous et à sa façon a déjà anticipé en son for intérieur, au cours de ces journées de confinement, les vœux que je souhaite formuler en vue du plus simple des bonheurs, le bonheur de vivre.Il nous aura donc sufi d’un microbe rabat-joie et pernicieux pour nous mettre tous...

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