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A toute faim utile…

Si tu te comportes comme le crabe, on te mange avec du bruit. Si tu te comportes comme l’œuf, on te mange sans bruit (Dicton français)


En ces temps de frayeur et de réclusion universelles, nul évidemment n’a trop le cœur à la fête. Il est difficile pourtant, même pour les non pratiquants, agnostiques et autres sceptiques, de demeurer insensible à la symbolique de résurrection, d’espérance, de lumineux renouveau printanier que célèbrent les chrétiens, le dimanche de Pâques.

C’est particulièrement vrai pour un pays comme le Liban acharné à renaître régulièrement de ses cendres, tel ce mythique oiseau, le phénix, qui lui a donné son nom antique. C’est encore plus vrai pour un pays où les petits musulmans sont nombreux à attendre sous le sapin de Noël les présents du bon barbu tout vêtu de rouge. Où les pèlerins de toutes confessions se pressent pour aller requérir l’intercession du saint moine Charbel. Où, enfin, la formidable communion interconfessionnelle observée durant les récentes et glorieuses journées de révolution a fini de révéler la véritable nature de ces dirigeants se disputant âprement les juteux privilèges, sous prétexte de défendre les droits de leurs communautés.

Étouffée, la révolution, par ce terrible coronavirus qui, de fait, s’en prend aux voies respiratoires des humains ? L’establishment aurait bien tort de s’y fier, quand bien même il aurait trouvé dans le fléau un répit inespéré. Tout comme le fait vicieusement la sale bestiole, les insurrections populaires se montrent souvent fort capables de ré-incubation, de fermentation, de réveil et même de mutation si les responsables n’y prennent garde et n’y apportent quelque remède. Si nulle économie au monde n’a réchappé à la pandémie, le cas du Liban demeure quasiment unique, en ce sens qu’une grave crise économique s’y était déclarée avant même la ravageuse intrusion du Covid-19. Au côté des motivations purement politiques qui, ces derniers mois, ont jeté des centaines de milliers de citoyens dans la rue, figuraient en bonne place déjà le chômage, le terrible sentiment d’être laissé à l’abandon, la faim ; d’autant plus cruelle était d’ailleurs cette dernière que les puissants continuaient (ont-ils jamais cessé ?) de se remplir la panse du fruit de leurs rapines.

Depuis, les choses n’ont fait qu’empirer. Fermetures et chômage aidant, la pauvreté taraude plus de la moitié des Libanais, comme si les deux cataclysmes avaient contracté alliance en se fichant de la règle de distanciation imposée aux humains, entre autres mesures barrières contre les risques d’infection. Mais quels risques pourraient-ils encore intimider, dissuader, effrayer tous ces désespérés qui écument les routes et hantent les rebuts des marchés dans l’espoir de se faire quelques sous et garnir, avec les frustes moyens du bord, la table familiale ?

Quelle inconscience, en revanche, porte les responsables à différer avec tant de constance les réformes exigées par les pays donateurs ou prêteurs ; à perdre un temps fou en querelles sur les nominations de hauts fonctionnaires ; à se monter des cabales les uns contre les autres en faisant l’impasse sur les gouffres de gaspillage et de corruption ; à rassurer à moitié les petits déposants, dans la perspective de nouvelles restrictions bancaires, en privant de leur sollicitude la classe moyenne et les entreprises, en passant à la trappe les dizaines milliards détournés ?

Lapins et poussins de chocolat ne seront pas seuls à faire défaut demain, dans bien des foyers libanais. Ce n’est pas en détournant les yeux de la bombe à retardement que le pouvoir peut arrêter, ou même ralentir, le fatidique tic-tac de la minuterie. Il lui faut se résoudre à écouter les cris d’alarme angoissés que multiplient les ordres professionnels et les syndicats.

Car lui non plus, ventre affamé n’a pas d’oreilles.


Si tu te comportes comme le crabe, on te mange avec du bruit. Si tu te comportes comme l’œuf, on te mange sans bruit (Dicton français)En ces temps de frayeur et de réclusion universelles, nul évidemment n’a trop le cœur à la fête. Il est difficile pourtant, même pour les non pratiquants, agnostiques et autres sceptiques, de demeurer insensible à la symbolique de ...