Le Covid-19 et la crise financière ne sont pas une excuse pour renvoyer une employée de maison et l’abandonner dans la rue : l’appel de l’association Kafa aux employeurs. Illustration Kafa
Leur situation n’avait déjà rien d’enviable avant la propagation du coronavirus dans un Liban miné par la crise financière la plus grave de son histoire. Le confinement imposé par la pandémie vient empirer leurs conditions de vie, les rendant encore plus vulnérables. Qu’elles soient employées à domicile ou à l’heure, les travailleuses domestiques migrantes font partie de ces personnes invisibles, oubliées de leurs ambassades, de l’État et des chaînes de solidarité en cette période de crise inédite. Leur souffrance est pourtant réelle, plombée par l’absence de législation pour les protéger, par la pratique du système du garant ou kafala qui favorise les abus à leur encontre, et plus récemment par la pénurie de dollars et la dépréciation de la livre libanaise. Selon les estimations, elles seraient 250 000 dans le pays, dont 75 000 en situation irrégulière.
Décès, fuite ou vente
« C’est la catastrophe pour moi à cause du coronavirus. Je n’ai ni travail ni de quoi manger pour survivre au Liban. » Le message de cette femme de ménage népalaise envoyé à l’association Amel résume sa situation depuis que les familles qui l’emploient à la journée la prient de rester chez elle, pour cause de confinement. Elle n’est pas payée et devra puiser dans ses maigres économies pour survivre. Faustina Tay, elle, n’a pas survécu. Cette employée de maison de nationalité ghanéenne a été retrouvée morte dans le parking du lieu de résidence de ses employeurs, le 14 mars dernier, dans la banlieue sud de Beyrouth. Son décès, qui fait l’objet d’une enquête officielle, suscite de nombreuses questions sur ses conditions de travail et de vie, sur le paiement ou non de son salaire, sur le respect de ses libertés et de ses droits, sur les abus que pourrait avoir subis cette travailleuse qui avait demandé à rentrer chez elle. Les drames sont légion. Comme celui de cette travailleuse domestique qui tente de fuir le domicile de ses employeurs à Beyrouth en passant d’un balcon à un autre au péril de sa vie, ou de cette autre employée de maison « avec permis de séjour » que sa patronne veut « vendre à 2 250 000 LL » sur un site de vente et d’achat en ligne.
« Un mécanisme de rapatriement de travailleuses migrantes touchées par la crise économique a été bien mis en place, à l’initiative de certaines ambassades et avec le concours de la Sûreté générale. Mais il a été interrompu depuis la fermeture des aéroports liée au Covid-19 », regrette l’avocate Mohana Ishak, représentant l’association Kafa. Résultat, qu’elles habitent chez leur employeur ou qu’elles travaillent à temps partiel, les travailleuses domestiques sont particulièrement fragilisées aujourd’hui par la crise économique et le coronavirus réunis.
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Servir les familles confinées de manière ininterrompue
Les employées de maison qui vivent chez leurs employeurs subissent donc « d’importantes pressions physiques et morales, vu la nécessité de servir les familles en confinement de manière continue ». « Nous ne savons pas pour l’instant combien leurs droits sont respectés, si les violences verbales et physiques à leur encontre sont en augmentation, si elles sont payées correctement, si elles ont droit à leur pause quotidienne et à leur espace personnel », observe Me Ishak. L’avocate est certaine, en revanche, que « les libertés de ces travailleuses migrantes sont réprimées par le confinement et la promiscuité, alors qu’aucun mécanisme de contrôle n’a été mis en place jusque-là par les autorités libanaises, et que certaines d’entre elles sont même renvoyées et jetées à la rue ».
La situation des travailleuses indépendantes est encore pire. « Leurs employeurs leur ont signifié de rester chez elles pour cause de confinement. Elles ne sont donc pas payées et ne peuvent assurer leurs besoins de base, comme la nourriture ou le loyer », constate de son côté Zeina Ammar, responsable stratégique au sein de l’association Anti-Racism Movement (ARM) qui qualifie la situation d’« inquiétante », malgré un manque de données statistiques. « Ces personnes sont expulsées de leurs logements. Elles finissent pas s’entasser à une dizaine ou même une quinzaine dans une ou deux pièces, avec les risques sanitaires que cela entraîne en cette période pandémique », explique-t-elle, rappelant la fermeture provisoire de tous les centres d’hébergement d’urgence des associations. « La situation de ces travailleuses est d’autant plus précaire qu’il s’agit généralement de migrantes en situation irrégulière, sans passeport ni assurance médicale. Ces personnes sont invisibles », déplore Mme Ammar. La responsable fait part de sa « crainte que ces personnes, de peur d’être arrêtées, n’osent pas aller à l’hôpital en cas de symptômes de coronavirus ».
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Initiatives conjointes et espoir
Il semble toutefois qu’une assistance à ces personnes en grande précarité se mette en place. « Déjà mobilisées depuis le soulèvement populaire du 17 octobre 2019, les assocations de défense des droits des travailleuses domestiques migrantes unissent aujourd’hui leurs efforts et coopèrent avec les autorités et les donateurs internationaux pour améliorer la situation sanitaire, alimentaire et sociale de la main-d’œuvre domestique », raconte Zeina Mohanna, responsable des questions des droits de l’homme au sein de l’association Amel. Outre l’assistance d’urgence, sensibilisation aux dangers du coronavirus et assistances alimentaires envisagées, ces ONG invitent aujourd’hui les autorités à une certaine forme de souplesse envers les travailleuses en situation irrégulière. « L’urgence est aujourd’hui de lutter contre le coronavirus. Il faut donc interrompre les arrestations et leur aménager plutôt des espaces d’isolement, en cas de symptômes, insiste Mme Mohanna. Nous allons redoubler d’efforts pour y parvenir. »
C’est dans ce cadre que l’Organisation internationale du travail (OIT) publie un document qui souligne la grande vulérabilité économique, sociale et sanitaire des travailleuses domestiques migrantes au Liban face au Covid-19. « Ce document est destiné aux employeurs. Il les invite à respecter les droits de leurs employées de maison, à les payer à temps, en devise ou au taux du marché, à leur donner accès aux soins et à rapporter les cas d’abus, précise Zeina Mezher, porte-parole de l’OIT. En même temps, l’organisation apporte une assistance au ministère du Travail qui tente, avec les moyens du bord, d’activer une ligne d’urgence ou hotline pour permettre aux travailleuses domestiques de faire entendre leur voix. »
« Cette hotline sera opérationnelle dès lundi 13 avril, malgré les difficultés logistiques et administratives », promet à L’Orient-Le Jour la ministre du Travail, Lamia Yammine. « Les travailleuses domestiques n’auront qu’à composer le 1741 pour leurs plaintes », précise-t-elle, enclenchant ainsi le mécanisme de lutte contre les abus envers la main-d’œuvre domestique. « Un mécanisme qui permet de sanctionner des employeurs et bureaux de recrutement abusifs et de les placer sur une liste noire », assure-t-elle. Parallèlement, le ministère du Travail et l’OIT « mettent les touches finales au contrat de travail unifié » qui avait fait l’objet d’une consultation nationale, les 11 et 12 mars dernier, avec pour objectif d’améliorer les conditions de travail et de vie des employées de maison au Liban. Enfin, la ministre Yammine « étudie avec la SG les modalités de rapatriement des travailleuses migrantes qui désirent rentrer chez elles, même celles en situation irrégulière ». « Il est de notre devoir de protéger ces travailleuses étrangères », insiste-t-elle.
Pour mémoire
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commentaires (8)
Et dire qu'il suffirait que les banques paient en dollars les retraits des dépôts en dollars pour que le problème disparaisse...
Gros Gnon
22 h 20, le 10 avril 2020