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Nos Lecteurs ont la Parole - par Joëlle SALIBA

Confinement engagé

Je ne suis pas d’accord qu’il y ait des choses plus pressantes.

Je ne suis pas d’accord que l’épidémie nous fasse oublier notre lutte depuis le 17 octobre.

Je refuse catégoriquement l’exclusion du discours qui tente de garder vivant l’esprit de la révolte, qui continue à mettre au-devant de la scène les revendications du peuple.

Arrêtons de nous laver les mains de la révolution.

Arrêtons et réfléchissons un peu. Je sais que le fait de se retrouver seul avec ses pensées est effrayant mais il faut profiter du confinement pour tirer les choses au clair.

Il faut profiter du temps de confinement pour faire le point, loin de l’agitation, loin de la foule, dans nos espaces intimes où l’on pourra gérer nos émotions, même si elles nous prennent aux tripes, où l’on a du temps. Du temps pour se rappeler tout ce qui ne va pas encore, toutes les raisons légitimes de notre mobilisation. Se rappeler que nous sommes toujours sans eau potable dans les robinets, sans électricité, sans sécurité sociale et, pour plusieurs d’entre nous, sans salaires (pour ne citer que quelques-uns de nos problèmes)

Cela n’a rien à voir avec la propagation du virus, n’est-ce pas ?

À quoi ça sert de dénoncer, depuis son piédestal de journaliste, ceux qui ne se conforment pas aux mesures de sanité si ces gens-là n’ont pas de quoi se laver régulièrement ? En quoi ça « aplatit la courbe » s’ils restent chez eux, dans un chez-eux formé d’une seule pièce qu’ils se partagent entre cinq ou plus ?

Quelles sont les mesures à prendre dans ce cas ? Les pointer du doigt et les humilier ? Ont-ils des télévisions pour se rendre compte que ce sont eux qui se font pointer du doigt ? Et s’ils en ont, ont-ils des générateurs d’électricité pour ne pas rater cette humiliation publique au moment où elle passe à la télé ? Je répète la question : quelles sont les mesures à prendre dans ce cas ? Eh bien, les mesures, surtout les mesures économiques, il fallait les prendre bien avant cette catastrophe que nous vivons en ce moment. Non pas en préparation à une telle situation, mais pour offrir aux citoyens, indépendamment de leur religion, de leur région, de leur appartenance politique, une vie digne de leur simple statut d’être humain. À présent, les mesures à prendre sont réduites à des actes de charité signés par les partis politiques. Si les gens touchaient des salaires qui leur permettaient de faire des épargnes, ils n’auraient pas besoin de leur aide empoisonnée. Si les gens profitaient d’eau potable ou juste propre, ils auraient de quoi être hygiéniques. Si les hôpitaux profitaient de financement adéquat, ils auraient pu mieux gérer la situation. Vous allez me dire que même les hôpitaux dans les pays les plus « développés » sont débordés et que nous gérons mieux la situation. À cela, je vous réponds en deux parties :

La première : enlevez vos lunettes roses et arrêtez de voir les pays « développés » comme des utopies, grattez un peu et vous verrez que cela fait au moins deux ans qu’en France, par exemple, l’on se plaint du manque de personnel et d’équipements dans le secteur médical, qu’on parle d’hôpitaux au bord de la crise de nerfs.

La seconde : non, nous ne sommes pas en train de mieux gérer la situation parce qui si le nombre de personnes atteintes ne s’accroît pas au même rythme que dans d’autres pays, cela ne veut pas dire que les mesures prises par notre cher État ne sont pas en train de créer d’autres problèmes, plus graves, dans notre société.

Je serais en train de faire une digression, mais pas vraiment parce que, dans mon esprit, je n’arrive pas à démêler notre révolution de ce que nous vivons depuis quelques semaines. Je ne peux m’empêcher de penser à quel point l’apparition de ce virus a exacerbé les inégalités sociales dans le monde mais particulièrement au Liban. Vous pensez que tout le monde dans ce pays a le luxe de se confiner ? Oui parce que le confinement est bel et bien un luxe. C’est le luxe de ceux qui peuvent faire leur travail à distance. De ceux qui ont de l’argent mis de côté. De ceux qui ont vendu leur âme au chef politique contre une miette de sa richesse. Et les autres ? Ils ont deux choix : ou bien mourir de faim ou bien contracter une maladie et prendre le risque d’en mourir. Entre la mort et la mort, y a-t-il vraiment un choix ? Et si, à Dieu ne plaise, ils en meurent, soyez sûrs, avec tout ce que nous souffrons dans ce pays, que ça leur est parfaitement égal. C’est cela d’ailleurs le véritable triomphe des riches sur les pauvres : pousser ces derniers à voir leurs propres vies comme les voient les premiers, c’est-à-dire comme étant inutiles et négligeables.

Est-ce vraiment leur faute le fait qu’ils se mettent et mettent les autres en danger ? L’État leur a-t-il offert des indemnités, des allocations pour accepter de rester confinés chez eux? Pour accepter de prolonger encore cette misérable vie ?

Pensons un peu à eux, ces autres qui ne nous ressemblent pas, que nous dénigrons, dont nous nions l’existence mais qui sont nos compatriotes.

Pensons à cet autre parmi nous qui n’a pas le luxe de rester à la maison, qui est prêt à se sacrifier et à sacrifier ceux qui l’entourent pour nourrir les siens, qui gagne son argent au jour le jour.

C’est pour ces gens-là que l’esprit de la révolte ne doit pas être mis de côté.

Il ne doit pas y avoir une hiérarchie dans les luttes. La lutte que nous menons depuis des mois est aussi légitime que celle qui se fait contre le virus. Cette dernière est même en train de nous rappeler sans cesse les raisons premières de la révolution. Alors ne soyez pas aveugles.

Voyez le culot de l’État à demander des dons après tout l’argent, le temps et le sang qu’il nous a volés.

Voyez le cirque des partis politiques qui ne cessent de se pavaner dans les rues, enroulés de leurs couleurs ternies, sous prétexte d’assainissement et de sensibilisation.

Voyez le spectacle écœurant des banquiers et de leurs complices, les présentateurs, distribuant notre argent à gogo.

Ne soyez pas dupés par ces actes de charité pervers.

Il faut le répéter encore et toujours parce que nous ne semblons pas y croire profondément :

nous, qui payons des impôts, avons droit à des services gratuits de l’État, de l’État, vous dis-je, et non pas des partis politiques, même si ceux-là composent l’État. Nous avons droit à des services provenant d’institutions étatiques qui ne dépendent pas d’Untel ou d’Untel. Qui existent et qui persistent au-delà du zaïm et de sa lignée. Et c’est pour cela que cette pandémie est la plus grande preuve (comme si nous n’en avions pas assez déjà) de l’échec des partis politiques à gouverner le pays. Elle est venue nous montrer, encore une fois, à quel point ils n’ont pas les moyens de gérer une situation d’urgence parce qu’ils ont bouffé tous les moyens.

Essayons donc, pendant ce confinement, de réfléchir à tout cela mais avant tout de nous pencher sur l’histoire de ce pays, de lire des ouvrages historiques et des romans, de regarder des documentaires, de poser des questions à nos parents, les pousser à nous raconter leur enfance, leur adolescence, toutes ces années perdues sous les bombardements, écoulées entre les barrages des miliciens. Allons nous renseigner pour comparer les époques et nous rendre compte à quel point nous sommes pris dans un cercle vicieux, que notre enfer, c’est la répétition (détrompez-vous d’ailleurs : c’est par ignorance que nous répétons les faits de notre histoire et non pas par oubli).

Prenons le temps de digérer l’étonnement et le cynisme qui nous envahiront encore et toujours lorsque nous nous rendrons compte que rien n’a changé, même dans les tout petits détails, qu’il y a des passages rédigés il y a cinquante ans qui s’appliquent mot à mot à nos situations politique et économique aujourd’hui.

Profitons de ce temps de confinement pour trier les informations, pour aller aux sources, chercher les faits, et non pas les opinions, ou bien chercher dans les opinions ce qui est à justifier, à débattre, ce qui pourrait être une piste pour aller plus loin, et non pas comme une vérité en soi. Prenons le temps de discuter avec la famille, de poser les questions difficiles, de s’éloigner de nos propres convictions qui sont souvent celles des autres, pour les regarder de loin, pour les voir et les revoir. Que ce confinement soit une opportunité pour se laver les esprits pour booster notre immunité émotionnelle et pour nourrir notre pensée au lieu de la gaver de tout et de rien.


Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « courrier » n’engagent que leurs auteurs et ne reflètent pas nécessairement le point de vue de L’Orient-Le Jour.

Je ne suis pas d’accord qu’il y ait des choses plus pressantes.Je ne suis pas d’accord que l’épidémie nous fasse oublier notre lutte depuis le 17 octobre.Je refuse catégoriquement l’exclusion du discours qui tente de garder vivant l’esprit de la révolte, qui continue à mettre au-devant de la scène les revendications du peuple. Arrêtons de nous laver les mains de la révolution....

commentaires (1)

Probleme Insurmontable: la gente politique qui sévit depuis 1990 se fout, se contrefout du bien des citoyens et de la nation. Consequence Ineluctable : celle ci n'est pas prete a laisser faire quiconque veut se debarrasser d'elle.

Gaby SIOUFI

16 h 27, le 08 avril 2020

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Commentaires (1)

  • Probleme Insurmontable: la gente politique qui sévit depuis 1990 se fout, se contrefout du bien des citoyens et de la nation. Consequence Ineluctable : celle ci n'est pas prete a laisser faire quiconque veut se debarrasser d'elle.

    Gaby SIOUFI

    16 h 27, le 08 avril 2020

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