Se mobilisant depuis plus d’un mois contre le danger de la propagation du Covid-19 dans les prisons, la ministre de la Justice Marie-Claude Najm recommande de ne recourir à la détention préventive qu’en cas d’« extrême urgence » et de demander par téléphone ou télégramme les mises en liberté de ceux qui attendent d’être interrogés. Mme Najm prône en outre l’idée d’obtenir dans des cas précis la grâce présidentielle à des condamnés dont la mise en liberté ne constitue pas un danger pour la société, idée qu’elle a présentée la semaine dernière au chef de l’État Michel Aoun.
Joint par L’Orient-Le jour, Raja Abi Nader, magistrat en charge de la direction des prisons au ministère de la Justice, explique qu’en vertu des mesures préconisées par Mme Najm, les détenus en état de détention préventive bénéficient d’une liberté conditionnelle, c’est-à-dire sont libres tout en restant soumis aux interrogatoires et audiences. Quant aux condamnés, les critères retenus pour leur mise en liberté anticipée se fondent notamment sur la situation de fragilité liée à l’âge ou à l’état de santé, ainsi qu’à la nature du crime et l’étendue de la peine qui reste à purger. Les prioritaires sont notamment les prisonniers qui se trouvent en fin de peine, ceux qui ont effectué la totalité de leur peine mais n’ont pu payer leur amende, ceux âgés de plus de 65 ans, les mineurs et les auteurs de petits délits, comme le vol sans violence. Comment devront être choisis les dossiers candidats, le cas échéant ? La direction des prisons procédera à un filtrage des noms et les enverra à la ministre de la Justice. Une liste nominative sera alors soumise au chef de l’État, à qui revient seul le pouvoir d’accorder la grâce présidentielle.
Même si à ce jour aucun cas de contamination n’a été recensé dans les prisons, la prévention du coronavirus risque d’être affectée dans un contexte de surpopulation carcérale, avertit M. Abi Nader, déplorant que le nombre de détenus qui s’entassent dans les prisons atteint parfois le double ou le triple des capacités d’accueil. Et d’évoquer également le danger provenant de l’extérieur : « La prison n’est pas un univers complètement isolé. Le virus peut être transmis par des gardes, des officiers, des personnes en charge d’apporter le courrier ou la nourriture, des agents de nettoyage, ou encore des visiteurs. Les visites aux prisonniers sont d’ailleurs désormais interdites, sachant qu’elles impliquent des rassemblements aux abords des prisons. »
M. Abi Nader souhaite que le plan établi par la ministre de la Justice soit adopté, d’autant que « tout en contribuant à limiter les risques d’une propagation du coronavirus dans les lieux de détention, il n’altère pas les droits des victimes et la souveraineté des décisions de justice, ni ne porte atteinte à la sécurité de la société ».
(Lire aussi : Le procureur général et les avocats se mobilisent pour désengorger les prisons)
Libérer 3 000 détenus
Poursuivant de près la situation périlleuse en milieu carcéral, Mme Najm a par ailleurs reçu vendredi Christophe Martin, chef de délégation du CICR au Liban, avec lequel elle a évoqué un plan de prévention et d’action. À l’issue de l’entretien, elle a affirmé que lors du Conseil des ministres tenu jeudi, décision a été prise de former un comité d’urgence regroupant, outre la ministre elle-même, les ministres de la Santé et de l’Intérieur, pour développer un plan de prévention et d’intervention dans les prisons. Ce comité devrait agir en coordination avec les conseils des ordres des avocats et des médecins de Beyrouth et Tripoli, qui pourraient recourir à l’Organisation mondiale de la santé, à la Croix-Rouge libanaise et à la délégation libanaise du CICR.
Interrogé par L’OLJ, Omar Nachabé, expert en prisons et spécialiste en justice criminelle, qui est également consulté par Mme Najm, préconise « la libération de 3 000 prisonniers pour donner une chance à la prévention ». Il souligne à cet égard qu’un « plan de prévention ne peut réussir lorsqu’aucune distanciation n’est possible entre les prisonniers ». « Comment mettre en place des sections d’isolement dans les lieux de détention lorsque les détenus dorment la face de l’un contre les pieds de l’autre? » se demande-t-il. Pour M. Nachabé, il s’agit d’« éviter le risque de décès parmi les prisonniers, dont nombreux sont atteints de maladies chroniques ». « Imagine-t-on la colère qui pourrait exploser dans les rues si un détenu était contaminé, ou, pire, on ne pouvait donner à ses proches l’autorisation de prendre livraison de son corps en cas de décès ? » interroge le spécialiste.
(Pour mémoire : Plus de 700 avocats en tournée dans les prisons libanaises)
FSI et CICR : prévention et traitement
Il reste qu’un plan sanitaire a été établi par les Forces de sécurité intérieure (FSI), auquel participe déjà le CICR. « Nous fournissons un support technique aux FSI », affirme Rona Halabi, porte-parole de la délégation libanaise de l’organisation, relevant que la participation du CICR au plan des forces de sécurité est active, notamment dans la prison de Roumieh où des mesures de prévention ont été prises. Des lavabos ont ainsi été installés à toutes les entrées, et des équipements de protection individuelle (PPE), tels que masques, gants et gels désinfectants ont été fournis.
Le CICR œuvre aussi dans le cadre du même plan pour intervenir en cas de diffusion du coronavirus. Les FSI semblent ainsi vouloir mettre à disposition un bâtiment entier afin d’isoler tout en les séparant les détenus soupçonnés de porter le virus, les détenus confirmés positifs aux tests de détection mais ne présentant pas de graves symptômes, et enfin les patients guéris qui attendent la confirmation médicale de leur guérison. Les cas graves, eux, seront hospitalisés. Une chambre à pression négative sera destinée au recueil des mucosités des patients, qui seront envoyées au laboratoire. Des lavabos seront également installés dans la zone contaminée, où des salles seront prévues pour l’habillage et le déshabillage des soignants. Pour ce qui est des autres centres de détention sur le territoire, des membres de la délégation s’y rendront bientôt afin d’en mesurer les besoins, assure Mme Halabi.
Pour mémoire
Prisons au Liban : une réforme urgente est nécessaire