« À quelque chose malheur est bon », dit ce vieux dicton. Et la crise du coronavirus, qui vient s’ajouter à la faillite financière de l’État, voit déjà émerger des initiatives locales pour faire face à la pandémie de coronavirus. Deux industries libanaises, I. Network Automation, fondée par l’ingénieur Kousra Sakr, et Phoenix Machinery, membre du groupe Indevco, présidée par le député Neemat Frem, font particulièrement parler d’elles. Elles ont toutes deux développé des prototypes de ventilateurs mécaniques destinés à assister les patients atteints de coronavirus en situation de détresse respiratoire aiguë. Les deux sociétés se préparent déjà à lancer les tests préliminaires sur des animaux, en coopération avec des institutions hospitalières universitaires. « Le Liban ne compte aujourd’hui que 900 respirateurs artificiels, 720 dans les hôpitaux privés et 180 dans le secteur public », révèle à L’Orient-Le Jour le président du syndicat des propriétaires d’hôpitaux privés, Sleiman Haroun. « Si l’on compte que 10 % d’entre eux sont défectueux et qu’une bonne partie est déjà branchée sur des malades, seulement 300 respirateurs sont disponibles pour les patients atteints de coronavirus », ajoute-t-il. Un nombre qui pourrait vite s’avérer insuffisant, si le virus venait à se propager plus largement au sein de la population. Le Liban compte 368 cas officiels au 26 mars 2020. Mais rien que les trois derniers jours, 100 nouveaux cas ont été répertoriés. Le problème est d’autant plus grave que le pays importe des équipements médicaux sophistiqués, les respirateurs artificiels notamment. « Mais depuis la pénurie de dollars, l’ouverture de lettres de crédit est devenue une mission impossible. Sans oublier que le trafic aérien est à présent interrompu, fret aérien compris », observe M. Haroun.
Alors que les fabricants américains, allemands, suisses ou français se livrent à une course contre la montre pour équiper les nations en ventilateurs mécaniques de manière suffisante, le Liban, lui, n’a d’autre alternative que d’utiliser ses cerveaux et de développer sa créativité.
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De premiers essais effectués avec un ballon
Kousra Sakr, ingénieur diplômé de l’École supérieure d’ingénieurs de Beyrouth de l’Université Saint-Joseph (ESIB), formé par la suite en robotique en France, a décidé il y a un peu plus d’un mois de mettre son entreprise, I. Network Automation, au service du système de santé libanais. Il faut dire que sa société créée en 1992, spécialisée dans le développement de solutions industrielles, jouit déjà d’une notoriété locale et internationale. « Notre système breveté ICASH LTD, utilisé par la Banque du Liban, est, dit-il, une référence en matière de gestion de flux des billets de banque, dans les chambres fortes, les agences et les centres de livraison. » C’est la gravité de la pandémie qui l’a poussé à se lancer dans la technologie médicale, qui était déjà dans sa ligne de mire. « Avec notre équipe d’ingénieurs et les informations fournies par des médecins, notamment le Dr Pierre Eddé, nous n’avons fait qu’utiliser une technologie vieille d’une cinquantaine d’années, dont nous avons développé les standards », explique-t-il. Parallèlement, l’équipe de travail déploie une plate-forme informatique de lecture des paramètres vitaux des patients, la pression des poumons, le volume d’air aspiré... M. Sakr lance alors son prototype de base équipé d’une plate-forme informatique, après avoir effectué dans ses laboratoires les premiers essais à l’aide d’un ballon.
C’est alors qu’il contacte le recteur de l’Université Saint-Joseph et président du conseil d’administration de l’Hôtel-Dieu de France, le père Salim Daccache, de même que le doyen de l’ESIB, Fady Geara, auxquels il envoie une vidéo de son prototype. Rapidement les capacités de l’USJ et de son hôpital universitaire sont mobilisées pour la conduite de tests scientifiques. Et aujourd’hui même, M. Sakr doit être reçu par le Dr Georges Dabar, pneumologue-réanimateur à l’HDF, pour préparer un protocole de tests. « À partir des essais conduits dans un premier temps sur des animaux, nous pourrions être appelés à modifier ou ajuster certains paramètres », souligne M. Sakr, précisant que les données seront fixées par les médecins. Ce n’est qu’une fois les tests réalisés et les données rectifiées que l’industrialisation et la production de masse deviendront possibles. « La fabrication et l’assemblage seront alors une question d’effectifs », fait remarquer M. Sakr, qui s’engage « à ne faire aucun bénéfice et à fournir l’équipement et le logiciel à 3 000 dollars au plus à n’importe quelle structure hospitalière au Liban, à la condition que ces équipements ne soient pas revendus à des fins commerciales ». Contacté pour de plus amples explications concernant l’expérimentation, le père Salim Daccache se contente de dire : « Nous le faisons pour le pays et non seulement pour l’HDF », évoquant la « situation aléatoire » et les « besoins » qui risquent de se faire plus pressants en cas de propagation plus large du Covid-19.
Un long processus
Nous n’avons pas réussi à joindre le président de Phoenix Machinery, le député Neemat Frem. Mais sur sa page Facebook, il annonce que le premier prototype libanais de respirateur artificiel, développé par son entreprise selon les normes internationales pour faire face à la menace du coronavirus, est fin prêt, après deux semaines de travaux intensifs. Les essais de ce prototype devraient démarrer très bientôt, en coopération avec l’Hôpital universitaire Notre-Dame - Jounieh.
Saluant ces deux initiatives, car il est « impératif d’être prêt en cas d’une augmentation massive des atteintes de coronavirus », Sleiman Haroun se veut toutefois prudent. « Les essais ne font que démarrer et nous allons attendre d’en voir les résultats. Le processus est long. Mais il faut partir du principe qu’il n’y a aucune place pour l’erreur, car ces machines sont vitales », affirme-t-il. Sans doucher l’optimisme des industriels, il observe que le développement d’équipements d’une telle technicité nécessite une longue expérience, de la recherche et des qualifications. « Créer une industrie médicale ne peut se faire en quelques mois, même avec de brillants ingénieurs », estime-t-il. Le président du syndicat des propriétaires d’hôpitaux privés reconnaît toutefois « le sérieux des deux entreprises ». « Ce sont des personnes de confiance. Et ce qu’elles ont accompli est un bon début. Je suis d’ailleurs certain qu’elles ne vont pas s’aventurer à produire des équipements médicaux peu précis et non fonctionnels », assure-t-il.
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16 h 33, le 27 mars 2020