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Moyen-Orient - Entretien

Olivier Roy : Nous avons une angoisse un peu métaphysique par rapport à l’épidémie 

Interrogé par « L’Orient-Le Jour, le politologue français tente de décrypter ce que la crise du coronavirus dit de nos sociétés et de notre époque.

Une femme devant un centre de dépistage du coronavirus à Berlin, hier. Odd Andersen/AFP

Le coronavirus continue de se propager avec plus de 134 000 personnes contaminées et 5 000 décès dans 121 pays. La pandémie provoque la panique parmi les populations, certaines parfois placées en quarantaine. Cette situation, propice aux théories en tous genres, entraîne un regain de la xénophobie et de la peur d’autrui, mais elle apporte aussi de l’eau au moulin des discours apocalyptiques. Le politologue français Olivier Roy s’interroge sur ce que la crise du coronavirus dit de nos sociétés et de notre époque.

L’épidémie du coronavirus est-elle une crise mondiale ou une crise de la mondialisation ?

C’est une crise mondiale parce que de telles épidémies et bien pires encore ont déjà eu lieu à des époques où la mondialisation, telle qu’on la connaît aujourd’hui, n’existait pas, comme lors de la peste au Moyen Âge, de la grippe espagnole en 1918 ou du temps de la lèpre ou du choléra. Il est bien connu que les épidémies se moquent des frontières. Il suffit qu’il y ait circulation des individus pour qu’une épidémie se transforme parfois en pandémie. Par contre, pour beaucoup de gens, c’est en effet perçu comme une crise de la mondialisation. D’abord parce que certains ont la mémoire courte et connaissent mal l’histoire, ensuite parce que cette épidémie arrive à un moment de remise en cause de la mondialisation.


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Pensez-vous que cela puisse entraîner une remise en question de nos modèles de société ?

Cette crise se produit à un moment où il y a déjà une remise en question de nos modèles de société par les mouvements populistes, qui sont des mouvements souverainistes et critiques de la mondialisation, en faveur du rétablissement des frontières. Leurs arguments ne tiennent pas la route, tout d’abord parce qu’il n’y a pas de retour possible à un souverainisme territorial permanent, ensuite parce que cela n’a jamais empêché de toute façon les épidémies mondiales. En revanche, il est clair que pour gérer ce genre d’épidémie, il faut un État central et il faut une technocratie, mais c’est précisément ce que les populistes ont toujours critiqué. On le voit très bien en Europe, ce sont les élites médicales qui disent ce qu’il faut faire puis ceci est ensuite relayé par les politiques. À titre d’exemple, une quarantaine comme en Italie ne fait sens que si c’est l’État qui la gère. Cette épidémie pourrait aller dans le sens d’une réhabilitation de l’État et du concept de compétences, c’est-à-dire d’une élite technocratique, tant décriée par les mouvements populistes, proche de l’État.


Cela peut-il renforcer les discours xénophobes où « l’autre » est avant tout considéré comme une menace ?

Le premier réflexe est bien entendu xénophobe. On l’a vu par exemple en Italie où les Chinois se sont fait insulter dans la rue. On le voit dans le comportement de Donald Trump qui dit vouloir renforcer le mur avec le Mexique et qui veut interdire les vols en provenance d’Europe. Nous sommes tous d’accord sur le fait que le virus est parti de Chine, mais ce ne sont pas des Chinois qui l’ont exporté ailleurs. Il s’agit très souvent d’Européens revenus dans leurs pays avec le virus. On le voit aux États-Unis ou en Italie, où les « clusters » ou zones de démarrage de l’épidémie n’ont rien à voir avec les zones où il y a une population chinoise. À Paris, le virus n’est pas parti des quartiers chinois, mais de l’Oise par exemple. L’un des grands foyers de départ en France est une église protestante en Alsace. Ceux que les populistes identifient comme leurs ennemis par excellence, les Mexicains aux États-Unis et les Africains en Italie, n’ont rien à voir avec la propagation du virus. Les xénophobes sont donc obligés d’admettre qu’il y a une dimension interne. Cela confirme le fait que la globalisation est à l’intérieur même des sociétés et que nous ne sommes pas du tout des oasis de santé menacés par l’arrivée d’étrangers. Même s’il y a des réactions xénophobes ici et là, ce n’est pas du tout dominant parce que les gens savent. Quand les Égyptiens ferment les restaurants chinois, c’est un réflexe populiste. Les gouvernements autoritaires et incompétents comme l’Égypte vont s’attaquer à des symboles.

Comment expliquer qu’un virus qui a, pour l’instant, fait 5 000 morts à l’échelle planétaire puisse paralyser l’économie mondiale et provoquer une angoisse généralisée ?

Cela paralyse l’économie parce que les mesures préventives, dont la quarantaine, sont une catastrophe économique. La production mais aussi la demande chutent drastiquement. En Italie, tous les magasins sont fermés, sauf l’alimentaire et le médical, donc plus personne n’achète de télévision, de vêtements. C’est aussi un coût terrible pour les petits commerces, les coiffeurs, les bars. Le paradoxe est que cela favorise le e-commerce, donc la globalisation. En Italie, il est interdit d’aller à la pizzeria du coin, mais vous pouvez commander votre pizza en ligne. On ne peut plus aller chez le libraire, mais Amazon reste accessible. Quant à l’angoisse généralisée, c’est quelque chose de très ancien chez les hommes, l’angoisse d’une mort qui peut frapper d’un peu partout. Une ville sous quarantaine ressemble à une ville en guerre. Les rues se vident et on se calfeutre chez soi. Mais lors d’une guerre, vous savez qui est l’ennemi, et on peut toujours penser qu’un accord politique permettra de l’arrêter. Alors que lors d’une épidémie, l’ennemi est anonyme et invisible. Nous avons une angoisse un peu métaphysique par rapport à l’épidémie que nous n’avons pas par rapport à la guerre, qui est une angoisse plus concrète.


(Lire aussi : L’amour au temps du corona, un peu plus de Médéa AZOURI)



Dans ce contexte, comment expliquer le succès des récits apocalyptiques ?

Les récits apocalyptiques sont présents depuis plus d’une trentaine d’années un peu partout dans le monde. On a eu un développement des sectes apocalyptiques dans les années 1970, comme la secte américaine de Jim Jones, le Temple du peuple, où tous les adeptes s’étaient suicidés. On a l’apocalyptique chrétien chez les évangéliques, qui lisent les signes de la fin des temps dans les évènements actuels. Il y a ce fameux roman et adaptation cinématographique Left Behind, qui est très mauvais d’un point de vue littéraire, mais qui raconte la disparition soudaine de gens qui vont au paradis, alors que ceux qui restent vont subir l’apocalypse. On a un regain de la pensée apocalyptique chez les salafistes et sous une forme exacerbée chez les jihadistes de l’État islamique. Le réchauffement climatique, qui est une réalité, est également porté par cette vague apocalyptique. Nous sommes dans une génération apocalyptique, et il est évident que l’épidémie renforce cette vision-là.



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commentaires (2)

Excellent Olivier Roy dont les réponses sont étayées d'exemples concrets, loin de l'hystérie collective.

Marionet

11 h 16, le 15 mars 2020

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Commentaires (2)

  • Excellent Olivier Roy dont les réponses sont étayées d'exemples concrets, loin de l'hystérie collective.

    Marionet

    11 h 16, le 15 mars 2020

  • C,EST UNE PANDEMIE. MAIS LES GRIPPES HIVERNALES LE SONT TOUT AUSSI OU PLUS AVEC BIEN PLUS DE 100.000.- VICTIMES ANNUELLEMENT DE PAR LE MONDE. ELLES SE TRANSMETTENT DE LA MEME FACON. POURTANT ON NE LES QUALIFIE PLUS DE PANDEMIE MAIS DE GRIPPES SAISONNIERES. ESPERONS A L,ERADICATION DE CE FLEAU.

    LA LIBRE EXPRESSION

    13 h 48, le 14 mars 2020

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