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Séquestrés (in)volontaires

Pour vivre heureux, vivons cachés, recommandait sagement la fable de notre enfance. C’est pour vivre tout court qu’en ces temps de misère, il convient de se claquemurer chez soi en se résignant à s’éloigner provisoirement de ses proches. À l’instar d’une notable partie de la population, c’est cette consigne de confinement, d’autoréclusion, que vous appliquez probablement en ce moment, barricadé que vous êtes dans votre cocon familial.

Acte volontaire que ce vœu passablement monastique, les plus chanceux d’entre nous arrivant encore à télétravailler grâce à internet ? Oui et non. La légitime terreur que nous inspire le coronavirus est pour beaucoup dans cette large adhésion citoyenne, réfléchie, responsable – et néanmoins forcée – au devoir collectif d’endiguement du fléau. Toujours est-il que se trouve largement observé l’état d’urgence sanitaire salutairement décrété par les médias de masse et les ONG, en lieu et place des instances officielles. La mobilisation populaire pour suppléer au flegme étatique, on aura tout vu…

Bravo donc, citoyens et citoyennes lambda, pour cette démonstration d’esprit civique, phénomène plutôt rare dans un pays peu porté sur la discipline. Gare cependant aux effets faussement dits secondaires, aux dommages collatéraux que peut avoir, pour beaucoup, cette sensation d’enfermement. Le cafard, le bourdon, les idées noires, la baisse de moral, la déprime nous guettent, à l’heure où le pays, en double banqueroute politique et économique, est déjà en proie à une foule d’angoisses tout aussi existentielles. Où aussi il est encore possible, en revanche, de trouver quelque ironique matière à méditation dans les folles cabrioles de l’actualité.

Un bon sentiment ne coûtant rien, on commencera par plaindre sincèrement ces deux ministres, deux médecins de profession tout récemment bombardés à la Santé, juste à temps pour gérer ce qui menace de s’avérer une des pandémies les plus effroyables de l’ère contemporaine. À défaut de faire des miracles, le premier, français, s’est imposé pour le moins comme un as de la communication face à une opinion publique des plus exigeantes et tatillonnes. Plus vivement contesté encore, c’est dans ce même domaine que le Libanais a raté sa première exposition d’importance aux projecteurs. Et cela en reconnaissant qu’en dépit des urgences sanitaires, de scandaleuses considérations politiques (comprendre un veto du Hezbollah) interdisaient un sévère et immédiat contrôle du trafic aérien avec l’Iran : un des principaux foyers de virus pourtant et qui, de surcroît, a fait un coupable black-out sur l’ampleur de son infection. La suite hélas ne renferme aucune possibilité de rachat. Surtout avec l’absence de vols charters médicalement surveillés pour le rapatriement des voyageurs libanais en rade dans les pays à risque. Et encore plus avec l’impensable spectacle de ces héros en blouse blanche de l’hôpital gouvernemental central, où sont soignées les victimes du virus, qui menacent de se mettre en grève administrative car cela fait des mois qu’ils ne sont pas rétribués par un État scélérat.

Mais on n’en a pas fini pour autant avec un régime iranien incroyable, lui, de culot dans l’inconséquence : l’Iran qui, par le canal de ses fidèles locaux, prétend interdire au Liban en profonde crise économique et financière tout recours au Fonds monétaire international, symbole et instrument d’une intolérable tutelle étrangère ; l’Iran que l’on voit aujourd’hui quémander l’assistance du même organisme contrôlé par le Grand Satan yankee pour tenter de se refaire littéralement une santé. Là aussi, on aura tout vu.

Reste tout de même le ferme espoir, clamé par l’Organisation mondiale de la santé, de voir terrasser la mortelle calamité à couronne. Il faut y croire et surtout se comporter en conséquence : en lâche, en poltron, en embusqué, du moment, ne cesse-t-on de nous le répéter, que c’est là la seule manière de lui barrer la route.

Oui, y croire à tout prix, car il reste aux Libanais trahis par leurs dirigeants tant d’autres combats à livrer. Tant d’autres saloperies à extirper.

Issa GORAIEB

igor@lorientlejour.com

Pour vivre heureux, vivons cachés, recommandait sagement la fable de notre enfance. C’est pour vivre tout court qu’en ces temps de misère, il convient de se claquemurer chez soi en se résignant à s’éloigner provisoirement de ses proches. À l’instar d’une notable partie de la population, c’est cette consigne de confinement, d’autoréclusion, que vous appliquez probablement en...