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Les fastes du contraste

Il y a déjà longtemps que notre pays a jeté par-dessus les moulins son titre de Suisse de l’Orient ; la seule survivance de ce prestigieux jumelage est l’asile qu’ont probablement trouvé auprès des banques helvétiques, à la discrétion proverbiale, les milliards fuyant éperdument le paradis libanais perdu. Mais qu’on se rassure, un autre de ces charmants clichés qui firent la fortune de nos slogans touristiques est toujours là, et bien là : c’est celui qui faisait du Liban la terre des contrastes, grâce notamment à ces célébres 60 minutes permettant au vacancier de passer de mer en montagne, du ski nautique à la glisse sur neige…


Sauf que les contrastes ne sont plus ce qu’ils étaient. Dépassées par la crise, les autorités n’ont plus d’autre choix qu’entre deux, trois ou quatre maux, et il n’est guère certain qu’elles sachent toujours opter pour le moindre. Pour ce qui est, par exemple, du plus pressant, le sanitaire, on ordonne la fermeture des écoles et universités, pubs, musées et lieux de prière. Même le Parlement fait relâche pour cause de stérilisation (antivirale seulement); mais on maintient imperturbablement le trafic aérien avec l’Iran et l’Italie, deux des pays les plus gravement infectés par le coronavirus pour assurer le retour au pays des nationaux.


Les gros sous, ensuite. En l’espace de quelques jours, la République a réussi le tour de force non point cette fois de passer de mer en montagne, mais d’eldorado pétro-gazier, sablant bruyamment le champagne, à débiteur insolvable. C’est à la petite cuiller, en deux apparitions télévisées et dans le style feuilleton-catastrophe, que le Premier ministre nous aura administré l’amère potion, avouant l’incapacité de l’État à protéger le peuple, mais aussi à honorer ses engagements financiers. Il aura même été jusqu’à enterrer hâtivement un modèle économique libanais victime surtout de l’usage qu’en ont fait des responsables incompétents ou véreux.


Hassane Diab a beau jeu, par ailleurs, de mettre en cause un long passé d’irrégularités et de politiques erronées. Comme volontiers reconnu déjà dans ces mêmes colonnes, il est même un des rares hauts responsables, sinon le seul, à n’y être effectivement pour rien. Voilà certes qui l’autorise, à l’exclusion d’une foule de dirigeants, toujours en fonction ou actifs dans les coulisses, à pourfendre, en toute honnêteté et crédibilité, une corruption qui, de honteuse selon ses propres termes, s’est enhardie jusqu’à l’insolence. Le revers de la médaille cependant est que l’homme ne peut en dire davantage sans se heurter de front à l’une ou l’autre des forces politiques qui ont préparé, parrainé et soutenu l’avènement de son gouvernement. Significatives sont, à cet égard, les ingérences et pressions déployées en ce moment en vue d’altérer le train de mutations élaboré par le Conseil supérieur de la magistrature.


Motus donc sur les foyers de corruption passés, présents et même potentiellement futurs, pourtant connus de tous. Motus, de même, sur toutes les atteintes à la souveraineté nationale qui ont fini par priver le Liban de la sollicitude de son environnement arabe et des prêteurs étrangers. À l’heure où le recours au Fonds monétaire international paraît désormais incontournable, motus enfin, sur la stupéfiante contradiction que représente l’opposition à toute tutelle étrangère brandie par un Hezbollah qui ne fait pas secret, qui tire même gloire, de son allégeance absolue à la République islamique d’Iran.


Pour clore cette triste histoire de contrastes, ce suprême paradoxe, cette inimaginable et révoltante injustice : en mettant l’État en coupe réglée c’est le citoyen, le contribuable, que ses propres dirigeants (enfin, pas très propres!) ont impitoyablement dépouillé. Et pour remédier quelque peu au désastre, c’est une fois de plus le citoyen qui doit y aller de ses maigres deniers.


Issa GORAIEB
igor@lorientlejour.com

Il y a déjà longtemps que notre pays a jeté par-dessus les moulins son titre de Suisse de l’Orient ; la seule survivance de ce prestigieux jumelage est l’asile qu’ont probablement trouvé auprès des banques helvétiques, à la discrétion proverbiale, les milliards fuyant éperdument le paradis libanais perdu. Mais qu’on se rassure, un autre de ces charmants clichés qui firent la...