Pour Alexandra Hakim, le bijou n’a pas d’intérêt en soi s’il se résume à un ornement précieux et une valeur marchande. Très vite, au fil de sa formation, entre académie et résidence d’artiste, elle opère un retour sur soi et transforme sa vocation en une manière de fixer la mémoire et de sauver les objets les plus humbles de l’oubli. « Le dénominateur commun de mes bijoux est que toutes les pièces sont fabriquées à partir de matériaux qui ont perdu leur fonction après utilisation. J’utilise le corps comme une toile pour leur donner un nouveau sens à la fois esthétique et conceptuel, en leur conférant la valeur qu’ils méritent », souligne la joaillière. À titre d’exemple, réfléchissant sur le couple formé par Louis XVI et Marie-Antoinette dont le destin la fascine, elle crée une sculpture en or représentant un nœud tranché dans le sens horizontal et fixé sur le bouchon de liège d’une bouteille de vin rouge. Aussitôt, on imagine le cou tranché du roi au niveau de sa lavallière et le sang qui s’en déverse, illustré par le vin.
« Je collecte les matériaux déchus »
Ses recherches pour donner une nouvelle vie aux objets du quotidien la conduisent à une exploration des sources et tout ce qui rappelle le Liban dans la vie quotidienne. Les bougies, les pistaches, les allumettes et les meubles traditionnels vont bientôt trouver leur interprétation dans ses collections. Elle se fixe dès lors pour mission de donner à ces éléments un nouvel objectif, même après leur utilisation ou leur consommation, favorisant ainsi une approche zéro déchet. Les collections permanentes combinent les goûts et les textures qui forment au final un portefeuille de bijoux faits main et difficiles à reproduire, car aucun moule n’est utilisé dans le processus, ce qui signifie qu’il n’y a pas deux pièces identiques. L’œuvre finale fusionne différentes influences culturelles et mélange les styles contemporains et classiques. La superstar de la pop Rihanna ne s’y est pas trompée et porte avec bonheur des créations choisies dans les collections d’Alexandra Hakim, arborant, sans le savoir peut-être, sous l’or et les gemmes, les humbles symboles d’un Liban traditionnel révolu. Dans la foulée du succès qui pointe, la créatrice multiplie les collaborations avec des designers libanais, comme en 2018 avec Hass Idriss qui a, lui aussi, fait ses études à Central Saint Martins et avec lequel elle trouve spontanément des affinités culturelles.
Sa démarche est naturelle : « Je collecte des matériaux déchus, comme des tiges de tomate, des écorces de citron et du papier de verre recyclé, et je transforme ces fragments en bijoux qui racontent une histoire », explique celle qui manipule les matériaux avec des techniques innovantes pour créer des pièces uniques. Son travail fusionne différentes influences culturelles, locales et étrangères, permettant de nouvelles hybridations. De ces expériences, naît une première ligne qui se sert de fragments habituellement présents dans toute maison libanaise traditionnelle, entre saveurs et textures. Beyrouth surgit alors de formes d’allumettes brûlées, de pistaches au cœur de gemme, de motifs de broderie, de tressages de chaises cannées.
Des collections narratives, à la fois nostalgiques et contemporaines
Sa toute nouvelle création, Avena sativa (avoine sauvage), est une collection organique inspirée par la beauté des champs d’avoine largement cultivés dans le monde. La culture nutritionnelle a été utilisée comme nourriture et fourrage depuis les civilisations anciennes, et cette graine légère est interprétée dans le métal précieux avec une infinie poésie. Sa Capsule d’hiver 2.0 part du principe que chaque année, jusqu’à 85 % de tous les textiles finissent par être brûlés ou jetés dans des décharges. Aussi, cette collection est un collage de textiles recyclés, transformés en un ensemble unique de bijoux artisanaux. « Nous avons recueilli et réutilisé des éléments brodés à partir de vieux vêtements abandonnés, leur donnant ainsi une nouvelle vie à travers une sensibilisation aux dangers environnementaux de l’industrie de la mode rapide. »
Avec Khaizaran, les souvenirs d’enfance de la créatrice remontent. Des chaises alignées sous les pins de la maison de sa grand-mère à la montagne ont inspiré cet ensemble de bijoux. La répétition du tissage déclenche une nostalgie récurrente de ses étés passés au Liban. Aujourd’hui, ce même motif rappelle les chaises de location utilisées pour les condoléances ainsi que l’artisanat du tressage de l’osier qui se perd dans la région du Moyen-Orient.
La ligne Acide citrique joue sur l’acidité. Les bijoux sont fabriqués à partir des restes d’agrumes qui sont généralement éliminés en grande quantité. Les citrons sont essentiels au mode de vie méditerranéen, apportant de la luminosité au paysage et à nos papilles, une inimitable sensation piquante et rafraîchissante.
La collection Tomate biologique, dédiée comme son nom l’indique, à la tomate, est une ode à l’ingrédient le plus juteux de la cuisine méditerranéenne. Des restes de tiges de tomate-cerise forment une paire de boucles d’oreilles unique et inédite. Adepte du recyclage des matériaux organiques, la créatrice leur offre ici une nouvelle fonction décorative et précieuse.
Les allumettes et bougies consumées de la collection Pyromania sont belles et fragiles. Elles apportent une source éphémère de lumière et d’énergie, et sont rapidement éliminées. Alexandra Hakim leur confère une nouvelle vie entre pendentifs et boucles d’oreilles en transformant le bois brûlé en métal. Tempête de sable est une collection de boucles d’oreilles absurdes, de colliers étranges et de bracelets curieux qui racontent une histoire de trésors trouvés dans une ville déserte après une tempête de sable mortelle. Les bijoux sont fabriqués à partir de papier de verre recyclé et de feuilles de cactus.
Alexandra Hakim fait partie de la sélection finale de « Fashion Trust Arabia 2020 » dans la catégorie joaillerie.
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