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Culture - Hommage

Bonne route, Serge Gélalian...

Il s’en est allé le penseur, l’analyste, le musicien, le compositeur, le comédien, le linguiste et l’écrivain. À pas feutrés sans faire de bruit, comme tous les grands esprits, mais en donnant un grand coup au cœur de tous ceux qui l’ont aimé. Et ils sont nombreux.

serge gélalian Photo Carla Henoud

Ce ne sont pas les mots qui définissent une personne, mais bien ses actes. Son allure devant la vie et devant la mort. Les discours ne suffiraient donc pas à réduire en quelques mots qui était Serge Gélalian. Par ailleurs, son élégance et sa finesse, son sens de l’autre et son amour du bon mot, son parcours riche en amour et amitié aussi, ont fait de lui « un être unique, plus unique que d’autres ». Né dans une famille de musiciens – il est le fils du fameux Boghos Gélalian, compositeur, arrangeur, pianiste et professeur de musique –, ancien boy scout, élève de Notre-Dame de Jamhour et membre de la troupe des Chansonniers de la route au cours de sa jeunesse et puis, par la suite, époux et papa à la personnalité radiante, Serge Gélalian portait son verbe très haut en musique et en textes, mais surtout savait jongler avec la langue française qu’il aimait tellement et qu’il a étayée avec des études de linguistique à Paris. Passionné jusqu’au radicalisme, perfectionniste jusqu’à s’énerver face aux médiocres, et authentique jusqu’à l’extrême fidélité et loyauté, Serge Gélalian, tout comme ses anciens amis scouts, semblait encore vivre les lois de la troupe : un scout est maître de soi, il réagit face aux difficultés, il respecte les autres. Et on peut compter sur lui. Il aura marqué sa génération et son entourage au point de laisser une image indélébile.

« Drôle, fin, timide et gentiment transgressif », c’est ainsi que le décrit Fady Bechara, ami de promotion. Et de poursuivre : « Un jour, le père Aucagne est entré dans la classe de première C2 et, voyant écrit sur le tableau “Viva La Revoluzione, à bas la Dissertazione”, a crié, sans une seconde d’hésitation : “Monsieur Gélalian, veuillez effacer ce qui est écrit sur le tableau”. Tout le monde voulait l’approcher, se souvient encore Fady Bechara, avoir son avis, se délecter de ses bons mots, de sa bonne humeur et de son bon esprit. Joe Raggi, un autre ami diplomate, se souvient aussi des années passées sous les bombes à Achrafieh. “Il était le boute-en-train de la bande et déposait un sourire sur toutes les lèvres. C’était, en quelque sorte, notre soleil depuis toujours. Et il n’a jamais cessé de l’être”. Ainsi, la veille de sa mort, il entendait depuis son lit d’hôpital un vieil homme qui gémissait dans la chambre voisine : “Ah Ah”, criait le vieil homme et Serge d’interpeller l’infirmière : “Allez lui dire qu’il y a d’autres voyelles”. C’était cela Serge. Un personnage calme, serein, plein de vie et terriblement détaché de la mort qu’il regardait d’un air hautain. »


La dérision jusqu’à la mort
Dans les années 80, au lieu d’une résistance militaire, Serge et toute la bande de copains résistent par l’humour, une arme beaucoup plus puissante, en créant la troupe des Chansonniers de la route. Ces jeunes, âgés de 20 à 22 ans, étaient Fadi Bouzame (médecin), Serge Gélalian (musique), Rony Khalifé et Georges Nasr (art dentaire), Sami Nader (économie) et Joe Raggi (enseignant). Avec beaucoup d’élégance, mais non sans virulence, ils s’en allaient en guerre contre les ministres et les personnalités en chansons et calembours. Véritables précurseurs, ces jeunes au verbe haut insuffleront le sens de l’humain et inciteront le public à sortir de sa torpeur et à s’indigner contre l’inertie. Sur scène, même si toute la bande contribuait à écrire les textes, Gélalian brillait aussi dans la musique. Artiste accompli, il jouait du hautbois, de la contrebasse et de la batterie. Puis ce sera le départ pour la France avec sa femme où ils entreprirent des études doctorales respectivement de linguistique et de lettres françaises. De retour au Liban, par la suite, avec sa petite famille, il enseigne à l’Université Saint-Joseph (USJ). Et c’est l’écriture qui occupera la plupart de son temps. En effet, « fin observateur et chercheur », il écrit des ouvrages où il sonde l’univers et ses transformations, dont Modélisation de l’évolution des langues (Presses académiques francophones) et Information au cœur de l’univers : la réflaction, (L’Harmattan) ainsi que d’autres ouvrages disponibles sur Amazon.

Georges Nasr, un des anciens de la bande des Chansonniers et ami fidèle, se remémore également : « Il y a quarante ans, nos routes se sont croisées grâce à Joe Raggi, l’ami de toujours, le trait d’union. Et depuis, bien que chacun de nous ait suivi son chemin, nous sommes restés en écho les uns des autres. » La troupe des Chansonniers de la route était la voix de ceux qui n’en ont pas, de cette société endormie qu’elle a brusquement réveillée et, même si la révolution a tardé à prendre forme, on peut dire qu’elle en aurait semé les graines. « Serge s’éclatait en imitant Roland Magdane, les bodyguards ou comme il aimait les appeler les “bodygars”. On passait parfois des nuits entières à concevoir un spectacle. Et quand nous nous engueulions, parfois, c’était lui qui, par une pointe d’humour, rétablissait la bonne ambiance. Quatre belles performances furent le produit de ces longues nuits d’échanges : Partiront, partiront pas, Kramé contre kramé, Qu’on s’en sou…vienne et La folie des grandes heures (présentée aussi à Paris). »

En 1992, Les Chansonniers de la route sont victimes de la censure. Ils se rendent alors chez un haut responsable qui leur dit : « Ce n’est pas le moment de jouer cette pièce. Mais comme vous la jouez en français, allez la jouer en France. » C’est dire combien les mœurs n’ont pas changé depuis... « Serge était le plus professionnel, ajoute Georges Nasr, celui qui embrasse tous les talents réunis d’un artiste. Il savait tout faire et même quand il décida, à notre grand étonnement, d’étudier la linguistique, il excella. Il a même flirté avec la géopolitique. » Lorsque le mal a pris le dessus, « il a décidé de ne pas en parler même si nous communiquions souvent, poursuit Georges Nasr. Il me disait : “Faut pas y penser, c’est pas bon pour la santé”. » Moquer la faucheuse, telle était aussi l’arme de Serge Gélalian pour s’en aller avec panache.

Ce ne sont pas les mots qui définissent une personne, mais bien ses actes. Son allure devant la vie et devant la mort. Les discours ne suffiraient donc pas à réduire en quelques mots qui était Serge Gélalian. Par ailleurs, son élégance et sa finesse, son sens de l’autre et son amour du bon mot, son parcours riche en amour et amitié aussi, ont fait de lui « un être unique, plus...

commentaires (2)

Bel article

Massabki Alice

15 h 25, le 26 février 2020

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Commentaires (2)

  • Bel article

    Massabki Alice

    15 h 25, le 26 février 2020

  • Les Chansonniers de la route furent l'un des rare rayons de soleil pendant les annees noires. leur finesse et la qualite de la prose ont fait plus pour la francophonie que tous les ministres de la culture reuni ! Adieu l'Artiste

    Lebinlon

    10 h 40, le 26 février 2020

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