À l’heure où le Liban se débat dans une crise économique et financière sans précédent, et où toutes les parties politiques reconnaissent qu’il n’y a aucune perspective de solution rapide, le gouvernement Diab tente péniblement de trouver ne serait-ce qu’un espoir auquel s’accrocher. En privé mais aussi en public, les ministres de ce gouvernement reconnaissent qu’ils ont hésité avant d’accepter d’assumer les responsabilités dans une période aussi difficile et qu’ils ne s’attendent pas à être loués par les Libanais car non seulement il n’y a pas de miracle en vue, mais au contraire, ils vont être contraints de prendre des décisions impopulaires.
Les ministres interrogés précisent que c’est le sens des responsabilités qui les a poussés à accepter la proposition de devenir ministre dans un tel gouvernement. De plus, ils précisent qu’il s’agit d’une aventure unique, puisque ce gouvernement n’est pas formé de personnalités politiques, mais d’experts indépendants, même s’ils ont été choisis par certains partis ou personnalités. D’ailleurs, tous ceux qui ont été contactés ou qui se sont exprimés en public ont affirmé que leur principal souci est de répondre aux attentes de la population et en particulier celles du mouvement de protestation, dont ils se considèrent en quelque sorte comme les représentants au sein du pouvoir.
Que ce soit le Premier ministre Hassane Diab ou les membres de son gouvernement, tous tiennent dans toutes leurs interventions à mettre en avant leur non-appartenance à la classe politique traditionnelle et au contraire leur proximité avec le mouvement de protestation. Pourtant, cette attitude ne leur a jusqu’à présent pas permis de gagner la rue, qui reste divisée à leur sujet. Et en même temps, ils n’ont pas non plus l’aval des partis politiques qui restent méfiants et, sans le dire ouvertement, n’attendent que l’occasion de revenir en force sur la scène gouvernementale.
C’est donc à des attaques de tous les côtés que doivent s’attendre les ministres qui doivent faire face à de petites et de grandes guerres.
La grande guerre, c’est bien sûr la confrontation avec la communauté internationale qui reste aux aguets et ne semble pas prête à faire des cadeaux à ce gouvernement. Officiellement, les seules parties à s’être manifestées ouvertement sont, sur le plan arabe, le Koweït et le Qatar, et, sur le plan international, l’Union européenne et en particulier la France, sans parler bien sûr de l’Iran. C’est un peu faible pour un gouvernement qui vient d’être formé et qui a plus que jamais besoin du soutien international. Hassane Diab misait dans ce domaine sur sa propre personne et sur le profil des ministres qu’il a choisis (certains en collaboration avec les parties politiques), pour rassurer les pays du Golfe et surtout les Saoudiens. Mais ceux-ci, après avoir fait un geste en sa direction en envoyant leur ambassadeur au Liban auprès du mufti Abdellatif Deriane pour le pousser à être plus positif à leur égard, n’ont plus donné aucun signe sur leur intention de l’accueillir au cours des prochains jours. Le président du Conseil avait pourtant annoncé qu’il comptait entreprendre une tournée arabe qui commencerait par Riyad à la fin du mois ou au début du mois prochain.
Des milieux diplomatiques arabes à Beyrouth révèlent qu’indépendamment des considérations propres à chaque pays du Golfe, la véritable position à l’égard du gouvernement de Hassane Diab attend un signal positif américain qui tarde à venir. Pourtant le Premier ministre et ceux qui l’ont désigné croyaient que son parcours académique plaiderait en sa faveur auprès des Américains et de leurs alliés. Mais jusqu’à présent, il n’y a pas eu de réaction positive. Au contraire, le secrétaire d’État US Mike Pompeo ne cesse de répéter que ce gouvernement est celui du Hezbollah, coupant ainsi court à toute initiative de la part de ses alliés en sa direction.
De son côté, le Hezbollah, par la voix de ses dirigeants, d’abord Mohammad Raad, le chef du groupe parlementaire du parti chiite, puis le secrétaire général Hassan Nasrallah lui-même, ont eu beau dire que le gouvernement Diab n’est pas le leur et qu’il ne leur ressemble pas, « l’accusation » est relayée sur le plan local et sur le plan externe. Le gouvernement tente malgré tout de s’adresser à d’autres parties internationales et arabes, moins impliquées dans les conflits de la région, mais la démarche n’est pas aisée. Les sources diplomatiques précitées déclarent dans ce contexte que toute la région vit sous les effets du bras de fer irano-américain qui est monté d’un cran après l’assassinat du général Kassem Soleimani. Selon ces mêmes sources, il ne faut pas s’attendre à un déblocage au cours des prochains mois, même si la perspective d’une guerre est écartée, surtout que les États-Unis vont bientôt entrer en période de campagne électorale.
C’est donc dans cette « période grise et tendue » que le gouvernement va essayer d’ouvrir des brèches. Mais il doit aussi faire face à des guerres intérieures, menées par les parties politiques qui ne voient pas d’un bon œil une éventuelle réussite « du gouvernement d’experts », alors qu’elles se font pointer du doigt par la population. En toute logique, l’allié naturel du gouvernement ne peut donc être que le mouvement de protestation. Mais celui-ci est-il prêt à tenter l’aventure ?
commentaires (5)
--c’est le sens des responsabilités qui les a poussés à accepter la proposition de devenir ministre dans un tel gouvernement-- serieusement, non mais SERIEUSEMENT , comment le croire ?
Gaby SIOUFI
15 h 03, le 22 février 2020