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Nos Lecteurs ont la Parole - par Serge SEROFF

Le français, vu du Liban

« Un petit détour par le Liban et ses langues pour quelques souvenirs à l’heure des débats sur la francophonie... »

Suite aux interventions au sujet de la francophonie et de la rencontre internationale tenue à Beyrouth, je me suis remémoré la présence de cette langue au Liban.

Je la situerai d’emblée dans le cadre de mes études secondaires au Lycée franco-libanais de Beyrouth, dans une période encore incertaine, au cours d’une accalmie, au début des années 80. Période transitoire, s’il en est, et qui voit apparaître de nouvelles configurations sociales et culturelles.

J’aborderai les quatre langues que nous pratiquions dans le cadre de l’école ou ailleurs.

Le français, l’arabe, l’anglais, le libanais.

Pour le français, il était utilisé la grande partie du temps pour l’enseignement de toutes les matières – scientifiques et littéraires – utiles à la présentation des bacs libanais et français.

Un français fonctionnel, donc, en prise avec la réalité de l’obtention de ces visas pour la vie active. Cette langue était celle qui intégrerait ses adeptes au monde moderne officiel et à la technologie, donc à la réussite.

À cette époque, le pays ne sortait pas des affres de ses guerres successives. La composition socioculturelle des écoliers changeait au fil des ans, vu les déplacements des familles d’une zone à l’autre du pays. Mis à part deux ou trois Français et quelques Libano-Européens sur une centaine d’élèves, ces contingents étaient réduits à une présence symbolique.

Le français parlé ne s’utilisait pour les Libanais qu’entre quelques personnes qui l’employaient de façon naturelle.

Ailleurs, il constituait un fort vecteur d’évasion lors des représentations théâtrales auxquelles participaient ardemment les ténors de cette langue parmi les élèves.

Au niveau du grand public, le film français, depuis les années 70, assurait ses heures de gloire par le biais des comédies à grande audience grâce par exemple à Pierre Richard, Louis de Funès, Jean-Paul Belmondo, les bidasses,... La chanson française, toute différente des tubes anglo-saxons, était relayée par les quelques chaînes de télévision et les radios locales.

Pour l’arabe classique, dans notre école, il était relégué à l’apprentissage de la littérature arabe depuis ses débuts. D’autres cours, moins importants, concernaient la traduction, l’histoire, la géographie, l’histoire des sciences chez les Arabes.

Son mode d’enseignement relevait de la dissection d’un vocabulaire immense, en partie hors d’usage dans le monde contemporain, qui suscitait un engouement pour ses tournures et ses envolées rythmées, témoignant de la richesse d’une civilisation et d’une construction, jadis prospères.

Son mode d’enseignement était rigide. On suivait jour après jour chacune des pages de l’ouvrage avec ses explications et annotations qu’on se devait d’apprendre par cœur, les épreuves consistant à restituer mot à mot, le plus fidèlement possible, le texte de ce livre.

Ce n’est qu’en terminale, en abordant les auteurs du XXe siècle, que l’on se rendait compte enfin de la présence de cette langue dans le monde moderne.

Comme le français, l’anglais avait le statut d’une langue utile. Inconsciemment, on savait que c’est cette langue qui traversait les océans, mais aussi qu’elle était celle de la culture dominante, des marchés et de l’économie réglés à l’anglo-saxonne.

Sur un autre plan, l’anglais, plus que le français, jouait un rôle émancipateur.

Les films, tous en v.o., en grande majorité américains, nous transportaient dans des situations, des époques et des ambiances diverses et avaient souvent une dimension exaltante, épique ou mélodramatique, différente des films européens, guettés au ciné-club, qui étaient plus réalistes et intimistes.

La musique anglo-saxonne était un grand vecteur d’émancipation. Elle était vraiment faite pour le loisir et la détente, tels les Queen, Boney M, Abba, Supertramp, diffusée sur les ondes, dans les discothèques et les soirées.

Elle avait aussi ses figures contestataires du rock international ; Pink Floyd, The Clash et auparavant Simon & Garfunkel, Neil Diamond, Bob Dylan…

La véritable langue vivante, c’était le libanais. L’arabe dialectal. C’est lui qui, du lever au coucher, enveloppait la ville de ses échos.

À l’école, il se prêtait à toutes les convulsions. Cocasse, imagé, trituré, alimenté de français ou d’anglais, c’était la langue immédiate, celle de la spontanéité.

Directement, il interprétait la situation, commentait l’évènement, bondissait d’un bout à l’autre de l’espace, témoignait de la vitalité des élèves qui ne tenaient pas trop longtemps enfermés dans les rigueurs d’un cours de maths ou de français.

Le dialecte libanais, comme la plupart des dialectes arabes, dont la transcription est réduite à des usages limités, prend ses distances par rapport à la langue littéraire, dont la structure tolère moins les écarts importants. Il est, comme pour la plupart des langues parlées, le reflet, la couleur du pays qu’il représente.

Aujourd’hui, ces quatre langues jouent leurs rôles de façon conscientes ou non, ont leurs représentations qui fluctuent selon les milieux socioculturels.

Elles affichent, surtout pour les langues étrangères, une forte volonté d’ouverture aux échanges avec l’extérieur et sont les premiers outils pour élaborer un univers qui déborde largement les frontières nationales.

Serge SEROFF

Architecte et opérateur

culturel attentif aux

questions libanaises

Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « courrier » n’engagent que leurs auteurs et ne reflètent pas nécessairement le point de vue de L’Orient-Le Jour.

« Un petit détour par le Liban et ses langues pour quelques souvenirs à l’heure des débats sur la francophonie... » Suite aux interventions au sujet de la francophonie et de la rencontre internationale tenue à Beyrouth, je me suis remémoré la présence de cette langue au Liban.Je la situerai d’emblée dans le cadre de mes études secondaires au Lycée franco-libanais de...

commentaires (1)

Article interessant ! C'est la vie dure a une école ou il faut apprendre 4 langues : francais, anglais, libanais et arabe classique (littérature arabe) ... Et alors il reste que j'ai remarqué une présence de l'espagnol (grand nombre de libanais en amérique du sud) et l'arménien, le grecque ... pour ne pas parler du kourde, iranien (perse), syriaque, turque (certains libanais parlent aussi turque) ... du point de vue du curriculum classique il manque peut-etre surtout le grecque classique et le latin. Si on a appris le latin, évidemment ca aide pour le francais, l'espagnol, l'italien etc.

Stes David

17 h 52, le 21 février 2020

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Commentaires (1)

  • Article interessant ! C'est la vie dure a une école ou il faut apprendre 4 langues : francais, anglais, libanais et arabe classique (littérature arabe) ... Et alors il reste que j'ai remarqué une présence de l'espagnol (grand nombre de libanais en amérique du sud) et l'arménien, le grecque ... pour ne pas parler du kourde, iranien (perse), syriaque, turque (certains libanais parlent aussi turque) ... du point de vue du curriculum classique il manque peut-etre surtout le grecque classique et le latin. Si on a appris le latin, évidemment ca aide pour le francais, l'espagnol, l'italien etc.

    Stes David

    17 h 52, le 21 février 2020

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