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Idées - Commentaire

La lutte contre la corruption doit être appréhendée de façon globale

Illustration: SuperOhMo/Bigstock

Dans sa déclaration de politique générale, approuvée mardi par le Parlement, le gouvernement dirigé par Hassane Diab a fait de la lutte contre la corruption l’une de ses priorités en s’engageant à introduire une série de réformes notamment portant sur le renforcement du pouvoir judiciaire, l’adoption de mesures permettant le recouvrement des fonds détournés (dont le vote d’une loi protégeant les lanceurs d’alerte dans ce cadre) et l’amélioration des dispositifs légaux existants sur l’accès à l’information.

Si les déclarations d’intention du pouvoir politique en matière de lutte contre la corruption ne sont pas nouvelles, la pression exercée en ce sens par les mouvements de protestation massifs qui se déroulent depuis octobre constitue certainement une occasion unique de provoquer un changement et de jeter les fondements d’une politique d’assainissement qui soit immédiate tant au niveau de sa mise en application que de ses effets. De fait, la plupart des expériences internationales de lutte contre la corruption ont eu comme principal déclencheur une sensibilisation accrue de la population à ce sujet et la mobilisation de groupes de la société civile à cette fin. Et ce combat n’est pas facile tant la kleptocratie libanaise et la corruption sur laquelle elle s’appuie pour servir ses propres intérêts s’apparentent à « l’Hydre de Lerne », le serpent légendaire dont chacune des sept têtes repoussait aussitôt qu’elle était tranchée. Les politiques destinées à y faire face devraient ainsi s’attaquer à toutes ses causes, ce qui laisse présager une bataille complexe, coûteuse et longue.

À cet égard, si nombre de revendications portent sur l’amélioration de l’arsenal législatif en la matière, il convient de souligner d’emblée, et sans rentrer dans le détail, que la législation libanaise comporte déjà plusieurs dispositions permettant de sanctionner l’enrichissement illicite, le trafic d’influence et la corruption active ou passive des agents publics. Si le Liban reste dans le peloton des « pays à surveiller » en matière de perception de la corruption, selon la terminologie de l’ONG Transparency International – qui le classe au 137e rang sur 180 pays dans son classement de 2019 –, cela est donc davantage dû à des raisons sociales et à des faiblesses affectant l’administration elle-même, plutôt qu’à l’insuffisance des cadres juridique et légal en la matière. Par conséquent, toute politique efficace de lutte contre la corruption doit donc compléter les volets juridique et législatif ainsi que des méthodes de collecte et de diffusion de l’information susceptibles de favoriser cette lutte par des mesures d’assainissement de cet environnement social. C’est à cette condition que pourront être obtenus la réduction des monopoles détenus par les dirigeants politiques pour l’offre de certains biens et services publics, la délimitation de leur pouvoir discrétionnaire et l’accroissement de la transparence, ainsi que la probabilité pour les fraudeurs d’être arrêtés et sanctionnés.


(Lire aussi : Au Liban, la pieuvre clientéliste en mal de vivres)


Réformer le rôle de l’État
Concrètement, cela implique de réformer le rôle de l’État, c’est-à-dire agir au niveau de certaines de ses fonctions qui favorisent le développement de la corruption. En d’autres termes, il s’agit de réformer les réglementations qui permettent de développer chez les fonctionnaires un comportement de recherche de rente en raison du pouvoir discrétionnaire qu’elles leur accordent. Des réglementations excessives créent un terrain fertile pour l’extraction de rentes, alors qu’une économie où le rôle de l’État est minimal est moins exposée à ce genre de risque.

Il existe différents domaines dans lesquels la corruption peut naître du fait d’une surréglementation. Un premier exemple est celui de la fiscalité. Lorsque les lois sont difficiles à comprendre ou qu’il existe des incitations en matière de fiscalité, la corruption à des chances de sévir.

Un autre exemple se situe au niveau de certains biens et services offerts par le gouvernement à des prix subventionnés (tels que l’eau, l’éducation ou l’électricité), qui peuvent créer une opportunité de corruption. Les décideurs sont en fait tentés de mettre en poche une fraction de la subvention implicite (c’est-à-dire la différence entre le prix sur le marché du bien offert et le prix proposé par l’État) sous forme de pots-de-vin tirés des recettes des biens subventionnés.

Enfin, les politiques industrielles adoptées par certains pays peuvent être à l’origine de comportements corrompus. En effet, ces politiques, de par leur nature, impliquent un pouvoir discrétionnaire pour les responsables politiques qui doivent décider quelle industrie aider, quelle firme au sein de cette industrie, comment allouer le montant de crédits subventionnés, le rabais d’impôt, etc.

Il ne s’agira pas pour autant d’abolir toutes les réglementations ; au contraire, certaines d’entre elles et même certains pouvoirs discrétionnaires peuvent servir de fonctions utiles à la société.


(Lire aussi : Le gouvernement Diab ne répond pas aux besoins du Liban)



Agir sur la gestion des ressources humaines
Le caractère moral et la qualité des dirigeants sont un autre déterminant de l’étendue de la corruption dans un pays. La qualité des bureaucrates est à son tour fortement reliée au mode de recrutement, paiement et promotion de ceux-ci. Dans un pays où le népotisme et le patronage sont endémiques et où les postes administratifs sont « vendus » explicitement ou implicitement, les bureaucrates sont moins compétents et moins motivés. Leur succès est fonction des avantages acquis suite aux relations qu’ils entretiennent ou aux pots-de-vin qu’ils versent à leurs supérieurs, et non de leur mérite ; ce qui laisse à la corruption de fortes chances de se répandre. Aussi, en ce qui concerne les rémunérations des fonctionnaires, il a toujours été reconnu qu’il était naïf de donner du pouvoir à des individus, leur verser un salaire tout juste suffisant et ne pas s’attendre à ce qu’ils utilisent leur pouvoir pour des gains personnels.

De ce fait, concevoir une politique de recrutement et de promotion dans la fonction publique qui soit méritocratique, à l’image de celle en vigueur dans le secteur privé, est fortement susceptible de réduire la corruption. De même, une mesure de réajustement, à la hausse, des rémunérations des fonctionnaires pourrait également y contribuer. Toutefois, pour que cette mesure puisse réussir, il est nécessaire que la hausse des salaires soit concomitante à une amélioration de la productivité des fonctionnaires. Or, cela semble être une entrave supplémentaire dans la fonction publique où les gouvernements choisissent toujours, pour des raisons politiques et sociales, de gonfler les effectifs au détriment de la productivité et des honoraires.

Les manifestations et mouvements de contestation qui se sont développés de manière sporadique dans tout le pays au cours du mois laissent entrevoir une réelle prise de conscience sociale qui pourrait ouvrir la voie à la mise en place de mécanismes anticorruption qui ont de fortes chances de réussir à condition toutefois d’en garantir la mise en application et surtout la pérennité. La bataille est longue, il suffit de la commencer !

Professeure associée et directrice du Centre de documentation et de recherche économique de l’USJ



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commentaires (10)

avec tout le respect que je vous dois, votre exposé est purement théorique, utile pour faire un cours universitaire dans un amphithéâtre à la faculté. En tant que citoyen libanais, et connaissant la mafia qui sévit, la seule solution qui peut remédier à cette situation est de neutraliser une vingtaine de grands mafieux. Tout le monde les connait. Certes, il y a les sous fifres dans les administrations. Lorsque les têtes tombent, les petits auront peur. Je suis persuadé qu'il y a parmi nos élites des honnêtes hauts fonctionnaires capables de remettre les administrations ( douanes, Electricité....) dans le droit chemin. Encore que , il faut le vouloir....

HIJAZI ABDULRAHIM

21 h 34, le 15 février 2020

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Commentaires (10)

  • avec tout le respect que je vous dois, votre exposé est purement théorique, utile pour faire un cours universitaire dans un amphithéâtre à la faculté. En tant que citoyen libanais, et connaissant la mafia qui sévit, la seule solution qui peut remédier à cette situation est de neutraliser une vingtaine de grands mafieux. Tout le monde les connait. Certes, il y a les sous fifres dans les administrations. Lorsque les têtes tombent, les petits auront peur. Je suis persuadé qu'il y a parmi nos élites des honnêtes hauts fonctionnaires capables de remettre les administrations ( douanes, Electricité....) dans le droit chemin. Encore que , il faut le vouloir....

    HIJAZI ABDULRAHIM

    21 h 34, le 15 février 2020

  • Lutte contre la corruption? Rien que des déclarations sans applications. Très douteux d'y arriver dans un pays de confessions qui servent de protections à tous les genres d'abus.

    Esber

    14 h 14, le 15 février 2020

  • Avant le dispositif législatif ou concomitamment, ce qui diminue sensiblement les détournements de capitaux publics est une bonne gestion des deniers publics axée sur les résultats. Mettre le fonctionnaire face à ses performances, sur la base d'indicateurs de résultats qu'il doit atteindre, comme dans le secteur privé. C'est une révolution mise en avant par l'ensemble de la communauté internationale qui exige un changement total de mentalité, c'est pourquoi cette révolution a besoin d'un accompagnement au changement. Ce qui joue ensuite c'est la transparence budgétaire et la reddition des comptes avec des rapports annuels de chaque ministre présentant ses performances par rapport à la stratégie sectorielle qu'il a précédemment définie et rendue publique, chiffres à l'appui. Enfin, le contrôle interne doit être renforcé, adossé à des contrôleurs de gestion dans chaque ministère et des tableaux de bord dotés d'indicateurs suivis de très près...

    Danbakli Yves

    11 h 23, le 15 février 2020

  • “... il a toujours été reconnu qu’il était naïf de donner du pouvoir à des individus, leur verser un salaire tout juste suffisant et ne pas s’attendre à ce qu’ils utilisent leur pouvoir pour des gains personnels. ...” Jusqu'au jour où ils comprendront que ce n'est pas un pouvoir, mais un devoir qu'on leur confie...

    Gros Gnon

    10 h 32, le 15 février 2020

  • Il serait bon de reduire le face a face et l’obligation de se presenter en personne afin de se faire valider ou pour finaliser une quelconque transaction avec le secteur public. Plusieurs option s’offrent, dont l’acces direct via le WEB ou bien l’utilisation de service de bureaux specialises qui se chargeront de la presentation et finalization contre un forfait raisonnable. Ces bureaux seront en charge de s’assurer de la regularite des documents requis (une des sources majeurs de la corruption) et de la presentation et paiement des frais

    Paul Chammas

    10 h 26, le 15 février 2020

  • Les dés sont pipés. Les solutions ne sont pas techniques . Elles sont révolutionnaires. La règle du jeu est faussée par le déséquilibre dynamique ayant conduit à la castration de l’Etat, et de ses prérogatives. L’Etat non seulement n’est pas en mesure de défendre ses citoyens, mais même pas ses propres intérêts ( gaz , pétrole, électricité, etc...) C’est là la porte d’entrée de tous les abus et microbes qui ont ruiné le pays, à travers un système, né de ce déséquilibre à savoir : les armes de l’ombre. Les lois, il y en a une pléthore. Plus de Lois ne sert à rien. Moins de loi et plus de mise en œuvre est de loin meilleur. Mais les lois supposent une force, une contrainte publique qui s’impose à tous , SANS exception. Et l’application de la loi, n’est pas un acte volontaire,accordé par tel ou tel parti magnanime, mais une contrainte publique, irrepressible. La boucle est bouclée. Que ce gouvernement mette en place une équipe d’audit internationale qui enquête sur les dossiers de l’électricité, du gaz et du pétrole, et il aura démontré si pouvoirs , sérieux, et crédibilité il en a. Faire mousser le savon ne rends pas plus propre.

    LeRougeEtLeNoir

    10 h 13, le 15 février 2020

  • COMMENCEZ PAR COUPER LES TETES DE LA CAVERNE ALIBABIQUE ET DE LA CAVERNE GOUVERNEMENTALISTE ET DE LEURS RAMIFICATIONS AU LIEU DE POURSUIVRE DE PETITS SUBALTERNES QUI ONT VOLE AUSSI MAIS DES MIETTES. VISEZ LES GROS POISSONS ! SI VOUS POUVEZ LE FAIRE...

    LA LIBRE EXPRESSION

    10 h 11, le 15 février 2020

  • Comme ce journal est devenu le journal des pleurnicheurs ! Spleen !

    Chucri Abboud

    02 h 26, le 15 février 2020

  • J'OUBLIAI UNE 3 eme MALADIE A TRAITER IMPERATIVEMENT ET QUI FERA TRES MAL : RENVOYER CHEZ EUX LES FONCTIONNAIRES " PARASITES " AVEC TOUTES LES INDEMNITES NECESSAIRES QUI A LA LONGUE COUTERONT BCP MOINS QUE DE LES GARDER !

    Gaby SIOUFI

    14 h 38, le 14 février 2020

  • plein dans le mille : D'abord assenir TOUT ce qui se rapporte au judiciare -TOUT -en suite réformer les milliers de réglementations qui permettent de développer chez les fonctionnaires un comportement de recherche de rente en raison du pouvoir discrétionnaire qu’elles leur accordent. BRAVO POUR CETTE ANALYSE/CONCLUSION/SOLUTIONS SUGGEREES.

    Gaby SIOUFI

    14 h 33, le 14 février 2020

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