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Idées - Point de vue

Le gouvernement Diab ne répond pas aux besoins du Liban

La police libanaise tirant en rafale du gaz lacrymogène lors d’une manifestation visant à empêcher les députés de se rendre au Parlement pour le vote de confiance, à Beyrouth, le 11 février 2020. Aziz Taher /Reuters

Les derniers développements politiques de cette semaine ne font que confirmer les craintes exprimées par le mouvement de protestation dès la formation, il y a déjà trois semaines, du nouveau gouvernement présidé par Hassane Diab. Des circonstances qui ont entouré cette formation à celles, très controversées, dans lesquelles il s’est vu accorder, mardi, la confiance la confiance du Parlement, en passant par l’adoption du budget pour 2020 et le contenu de sa déclaration de politique générale, tout indique d’ores et déjà que cet exécutif ne répond en rien aux aspirations ni aux besoins pressants de la population libanaise.

Cela était en effet apparent dès son processus de formation, conforme à la méthode traditionnelle du « partage du gâteau » (« mouhassassa »), selon laquelle les partis confessionnels au pouvoir subordonnent la constitution du Conseil des ministres à un accord préalable sur leurs portefeuilles respectifs. D’autant que ce premier signal d’alarme s’en est ajouté un autre : la présence au gouvernement de représentants des banques commerciales – les ministères de l’Économie et de l’Intérieur ayant été respectivement confiés au directeur exécutif de la Bankmed, Raoul Nehmé, et au conseiller à la sécurité de la BLOM Bank, le général à la retraite Mohammad Fahmi – alors même que le contexte économique et social actuel et les arbitrages politiques qui devront rapidement être pris sur la manière d’y faire face laissent transparaître un grave conflit d’intérêt entre, d’une part, les banques, leurs actionnaires et leurs déposants millionnaires ; et, d’autre part, les 99 % de la population.

Autre fait marquant, le premier acte de ce gouvernement, avant même d’avoir gagné la confiance du peuple, a été d’assumer le projet de loi de finances adopté fin octobre par son prédécesseur, avec seulement quelques modifications mineures, ce qui contraste directement avec les demandes de la rue. Et plus encore avec ses promesses, dans la mesure où le nouveau Premier ministre a présenté son gouvernement comme une victoire de la contestation du 17 octobre : dès lors, comment justifier l’adoption d’un budget élaboré par un cabinet ayant été renversé par ce même soulèvement ? En période révolutionnaire, un Premier ministre peut tirer son pouvoir de deux types distincts de mandats : soit celui émanant directement du peuple qui s’est soulevé, soit celui émanant de ses représentants au Parlement, élus avant le début du soulèvement populaire. Le gouvernement Diab ne semble disposer d’aucun de ces deux mandats : l’épisode du budget montre clairement qu’il ne bénéficie pas de la marge de manœuvre politique indispensable en ces temps de profonde crise économique et sociale ; tandis que le contexte dans lequel il a pu obtenir la confiance du Parlement démontre qu’il est loin de jouir d’un mandat populaire.

Basses manœuvres

Les scènes dont nous avons été témoins mardi au centre-ville de Beyrouth ont été pour le moins déplorables à cet égard. Alors que, depuis plusieurs semaines, les autorités ont installé toutes sortes d’obstacles pour intimider les manifestants et bloquer leur accès au Parlement, notamment à travers l’érection de hideux blocs de béton géants, de nouveaux « murs de la honte » ont été érigés le matin même du vote de confiance, y compris près des locaux du journal an-Nahar. Comme si cela ne suffisait pas, ce vote n’a été rendu possible que grâce à la mobilisation des régiments les plus prestigieux de l’armée et des forces de sécurité pour réprimer nos tentatives d’empêcher les députés d’accéder au Parlement. Nombre d’entre nous ont été asphyxiés par des quantités excessives de gaz lacrymogène, sept ont été arrêtés et l’on a dénombré au total près de 400 blessés durant cette seule journée.

Si l’armée a ainsi été chargée d’affronter directement les manifestants et de mettre fin à leurs protestations, ce n’était pas seulement pour compenser les capacités limitées des forces de police antiémeute. Cela doit aussi être vu comme une basse manœuvre politicienne visant à détourner la sympathie de l’opinion publique – auprès de laquelle l’armée jouit toujours d’un crédit indéniable – ainsi que de certains militaires vis-à-vis des protestataires. Il reste que l’attitude très majoritairement non violente des manifestants à l’égard de la troupe a sans doute mis cette stratégie en échec... Il en va de même des tentatives de certains partis traditionnels, tels que le courant du Futur, le Parti socialiste progressiste et les Forces libanaises, de se présenter comme l’opposition politique à ce gouvernement alors même que c’est la présence de certains de leurs députés à la séance, plutôt que dans la rue avec les manifestants, qui a permis d’atteindre le quorum requis. Ils sont donc comptables de cette situation vis-à-vis de la contestation.

Signaux contradictoires

Il reste que, davantage que le nombre de députés lui ayant accordé leur voix, le critère décisif pour juger de la légitimité du gouvernement Diab relevait de la nécessité d’envoyer des signaux susceptibles d’améliorer la confiance générale dans l’économie, source principale d’anxiété pour les Libanais. Or, les annonces du 11 février sont loin d’être rassurantes à cet égard. Et ce aussi bien à court terme qu’à moyen-long terme.

Car ce qui compte avant tout, ce sont les intérêts que ce gouvernement représente et qui bénéficieront de facto de ses politiques. Si, à la lumière de ce qui précède, il y a déjà des indications sur le fait que ce gouvernement perpétue l’alliance entre les politiciens, les banquiers et l’appareil sécuritaire, il sera surtout jugé à l’aune de ses politiques fiscale et financière. Or, le contenu de sa déclaration de politique générale ne permet pas d’en avoir une idée précise à ce stade. Certes, on y trouve une liste de nombreuses réformes déjà réclamées au fil des ans par la société civile, en particulier en matière de gouvernance et de corruption. Pour autant, et notamment en ce qui concerne la politique fiscale, la déclaration ministérielle semble d’ores et déjà envoyer des signaux contradictoires sur la voie qui sera privilégiée. Par exemple, la mention d’une augmentation à venir de l’impôt sur le revenu des personnes les mieux rémunérées (actuellement à 25 %) constitue indéniablement une bonne nouvelle, mais à condition que cette hausse soit accompagnée en parallèle de celle de l’impôt sur les revenus des banques et des sociétés financières, actuellement à 17 %, indépendamment des revenus qu’elles génèrent. Le gouvernement Diab va-t-il s’engager dans cette voie ? Cela est peu probable. Imposera-t-il une décote aux 1 % des titulaires de comptes bancaires qui détiennent plus de 50 % du total des dépôts dans les banques ? On peut l’espérer, sans grandes illusions. Prendra-t-il des mesures exceptionnelles visant les énormes profits réalisés ces dernières années par les banques commerciales grâce à l’ingénierie financière de la BDL ? Il ne semble pas que ce sera le cas…

Une autre question centrale aujourd’hui est de savoir s’il faut solliciter une assistance financière du Fonds monétaire international, comme le préconise une partie de la classe dirigeante. Le gouvernement acceptera-t-il, comme contrepartie à ce renflouement, de renoncer à l’ancrage monétaire au profit d’un régime de change flexible tel que préconisé par le FMI, à en croire les propos tenus par l’ancien Premier ministre Saad Hariri dans une interview accordée le 4 septembre dernier à la chaîne américaine CNBC ? Et ce en dépit des conséquences que cela aura sur les inégalités et le pouvoir d’achat des Libanais ? Cherchera-t-il à obtenir un renflouement en consentant en contrepartie les mesures d’austérité qui sont généralement imposées par le FMI dans le cadre de ses plans d’ajustements structurels ? Haussera-t-il la TVA, au risque d’appauvrir les classes moyenne et précaire ? Augmentera-t-il les factures d’électricité avant même d’assurer le courant 24h/24 aux ménages ? Cherchera-t-il à restructurer complètement la dette publique, une mesure jugée inévitable par la très grande majorité des économistes ? Autant de questions à laquelle sa déclaration de politique générale ne répond pas, alors que le pays reste plongé dans le désespoir et l’incertitude.

Régénérer le statu quo

De son côté, Li Haqqi a présenté la semaine dernière une « déclaration politique alternative » qui expose en détail les mesures économiques, politiques et sociales que nous attendons de ce gouvernement provisoire avant la tenue d’élections législatives anticipées. Ces mesures sont clairement orientées, et nous l’assumons en faveur des intérêts de la très grande majorité de la population, plutôt que de servir « les 1 % » qui ont bénéficié du modèle économique ayant provoqué la crise. Elles comprennent notamment une réforme fondamentale du code des impôts pour le rendre véritablement plus progressif ; la mise en place d’un impôt sur la fortune ; d’un autre sur la spéculation immobilière, ainsi qu’un impôt unique sur les plus grands comptes bancaires pour récupérer une partie de la richesse accumulée au cours des dernières décennies en raison de taux d’intérêt immoralement élevés. Ces revendications incluent également une restructuration de la dette publique et du secteur bancaire, ainsi que le remplacement des mesures humiliantes de contrôle informel des capitaux par une loi qui instituerait un contrôle légal exonérant spécifiquement les petits déposants. Face à l’austérité annoncée, elle appelle à davantage d’investissements dans la santé, l’éducation et les services publics.

De même, la déclaration ministérielle ne propose aucune mesure concrète pour réformer un système confessionnel qui constitue un terreau fertile pour la corruption généralisée et étrangle toute perspective de représentation politique basée sur les intérêts réels des différents groupes sociaux. A contrario, nous appelons à des changements fondamentaux au sein du système politique, à commencer par l’adoption d’une nouvelle loi électorale basée sur la citoyenneté plutôt que sur l’appartenance confessionnelle, ainsi que d’un statut personnel unique pour tous les Libanais.

Loin d’être aussi précis et clair dans son programme ni de répondre aux aspirations d’un peuple révolté en ce moment historique, le gouvernement semble d’ores et déjà avoir pour but de maintenir – ou régénérer – le statu quo. C’est un gouvernement formé par les oligarques, pour les oligarques.

Cofondateur du mouvement politique Li Haqqi.

Les derniers développements politiques de cette semaine ne font que confirmer les craintes exprimées par le mouvement de protestation dès la formation, il y a déjà trois semaines, du nouveau gouvernement présidé par Hassane Diab. Des circonstances qui ont entouré cette formation à celles, très controversées, dans lesquelles il s’est vu accorder, mardi, la confiance la confiance du...

commentaires (11)

La critique est aisée mais l'art est difficile . Patientez un peu quand même , aucun gouvernement ne possède de baguette magique , aucun autre gouvernement n'aurait pu mieux faire en ces quelques semaines et dans la mouise dans laquelle la pseudo révolution a plongé le pays !

Chucri Abboud

14 h 45, le 27 mars 2020

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Commentaires (11)

  • La critique est aisée mais l'art est difficile . Patientez un peu quand même , aucun gouvernement ne possède de baguette magique , aucun autre gouvernement n'aurait pu mieux faire en ces quelques semaines et dans la mouise dans laquelle la pseudo révolution a plongé le pays !

    Chucri Abboud

    14 h 45, le 27 mars 2020

  • Il fallait écrire cet article avant l'octroi de la confiance pour en débattre et non pas maintenant. L'heure est au travail constructif et non pas à saper d'avance ce que le Gouvernement compte faire. Le Liban a demandé l'aide technique du FMI ce qui ne l'engage en rien, mais s'il demande l'assistance financière, le FMI deviendrait l’administrateur de fait des finances publiques, ce qu'en toute logique le Hezb n'acceptera pas à mon avis. Si le Liban déclare d'un coup ne rien vouloir rembourser, les clients des banques deviennent les propriétaires des banques et les 4 à 6 milliards de dollars que la diaspora transfert chaque année assureront les provisions en médicaments, carburants et nourritures de base. Dans ce cas le gouvernement doit s'arranger pour ne plus faire de déficits budgétaires. D'ailleurs le déficit budgétaire est égal au service de la dette qui n'existera plus dans ce cas. Avec les réformes à venir CEDRE sera déclenché pour relancer l'économie. S'il faut choisir entre sacrifier les banques ou les épargnants je pense que le choix sera vite fait. Face aux difficultés le mieux est d'appliquer les lois existantes et de ne pas inventer des solutions émotionnelles avec effets rétroactifs qui ne tiennent pas juridiquement la route.

    Shou fi

    23 h 32, le 14 février 2020

  • Au lieu de commencer à critiquer avant de voir ce que ce gouvernement peut faire, lisez au moins les deux communiqués de la BDL et de l'association des banques concernant les intérêts des dépôts et des emprunts . Critiquer et détruire c'est facile ... reconstruire est est une autre paire de manche ...

    Joseph Zoghbi

    18 h 10, le 14 février 2020

  • Très bon article.

    Brunet Odile

    17 h 49, le 14 février 2020

  • Ni aux besoins du Liban, ni aux attentes des libanais, ni à la confiance internationale... Il est trop jaune/orange.. il devrait s' adresser à ceux qui aiment cette couleur pour quemander une pitance...

    LeRougeEtLeNoir

    15 h 46, le 14 février 2020

  • Le jour où le policier ou le soldat prendra conscience que la classe politique l’a volé à l’instar des autres citoyens et continue de le faire, je me demande s’il va continuer à défendre cette classe politique

    Lecteur excédé par la censure

    15 h 06, le 14 février 2020

  • Photo débile ,s'il en est, pour gouvernement débile.

    Christine KHALIL

    13 h 07, le 14 février 2020

  • C'est du n'importe quoi

    Khalil

    12 h 31, le 14 février 2020

  • EN FAIT IL EST PRESQUE CERTAIN QU,IL N,EST PAS A LA TAILLE DE LA SITUATION.

    LA LIBRE EXPRESSION

    11 h 58, le 14 février 2020

  • justemen etant donne que le governement est mis en place par cette classe oligarque il n'y aura pas de reformes serieuses. Et tant qu'il n y pas de refomres il n'y aura pas d'aides et de financement. Catch 22 situation.

    EL KHALIL ABDALLAH

    11 h 22, le 14 février 2020

  • Non mais quel est ce titre tonitruant sans rapport avec la réalité ? On dirait que l'Orient-le-Jour est devenu une feuille de chou appartenant à un sous-fifre d'un parti politique exacerbé par sa défaite ! Un peu de sérieux voyons , vos lecteurs ne sont pas des enfants ! A moins que vous ne soyez en train de devenir le porte-parole de la partialité ! Modéréz-vos ardeurs !

    Chucri Abboud

    02 h 27, le 14 février 2020

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