Les révolutionnaires ont désormais un nouveau porte-voix au sein de l’Église. Le cri du cœur lancé dimanche par l’archevêque maronite de Beyrouth, Mgr Boulos Abdel Sater, qui a sommé les responsables d’« assurer une vie digne aux Libanais » ou, à défaut, de démissionner, a eu un retentissement considérable auprès des contestataires.
Inédite dans la forme comme dans le fond, l’homélie du prélat qui s’exprimait, à l’occasion de la Saint-Maron, devant le chef de l’État, le président du Parlement et le Premier ministre a soulevé un tonnerre d’applaudissements dans l’assistance et parmi les fidèles présents. Même le président de la Chambre, Nabih Berry, par un geste que certains ont interprété comme « rusé », voire « populiste », a esquissé un battement des mains pour signifier son approbation. Seuls le président Michel Aoun et le chef du gouvernement Hassane Diab sont restés figés, comme abasourdis par ce qu’ils venaient d’entendre.
« Chers responsables, rappelez-vous que le pouvoir a pour mission de servir », a déclaré Mgr Abdel Sater devant l’assistance, dont de nombreux ambassadeurs. « Nous sommes fatigués des polémiques. Nous sommes inquiets pour l’avenir de nos enfants. Nous voulons que des initiatives qui rendent l’espoir, qui rassemblent et construisent, soient prises », a-t-il ajouté.
Sur un ton calme et pondéré, le prélat maronite a poursuivi : « Les dizaines de milliers de Libanais qui vous ont élus ne méritent-ils pas que vous amélioriez les comportements politiques, économiques et financiers, et que vous travailliez jour et nuit avec les vrais révolutionnaires pour trouver ce qui assure à chaque citoyen une vie digne et décente ? » « À défaut, la démission est plus honorable », a lancé le prélat, critiquant « ceux qui, dans leurs discours, encouragent l’intolérance et la division et considèrent le pays comme leur propriété ».
De nombreux commentateurs ont estimé qu’il s’agissait d’un moment d’autant plus inédit que l’Église maronite a rarement toléré à ce jour cette liberté de ton. Ce n’est pas la première fois que Mgr Abdel Sater, élu en juin 2019 à la tête de l’archevêché de Beyrouth, se fait remarquer par ses prises de position inédites. Quelques mois à peine après sa prise de fonctions, le prélat avait déjà pris ses marques avec sa déclaration concernant l’admissibilité des élèves issus des milieux démunis au collège de la Sagesse, en décrétant qu’aucun enfant ne saurait être rejeté de l’école par manque de moyens financiers.
Quelque temps plus tard, le nouvel archevêque a décidé de renoncer à l’utilisation des Mercedes dans lesquelles se déplaçait son prédécesseur. On dit même que le nouveau locataire de l’archevêché les a vendues et s’est contenté d’utiliser son propre véhicule.
Durant son parcours, Mgr Abdel Sater s’est distingué par son intégrité, sa simplicité et sa compassion, racontent ceux qui l’ont connu de près. Pendant de longues années, il a été curé de paroisse à l’église du Sacré-Cœur « où il s’est dévoué à la tâche en se mettant au service de ses ouailles. Il était proche des gens et de leurs soucis », témoigne une diocésaine.
Très tôt déjà, on évoquait un style « proche de celui du pape François », souligne le père Fadi Daou, fondateur de l’association Adyan.
(Lire aussi : D’abord circonscrire l’incendie, l’édito de Michel TOUMA)
Signes précurseurs
Aux premiers jours de la contestation du 17 octobre, l’archevêque s’est démarqué du lot une fois de plus en revendiquant, publiquement et à sa manière, son appartenance au mouvement populaire. « Je suis révolutionnaire, sur les pas du Christ », écrit Mgr Abdel Sater sur la page Facebook de l’archevêché, en justifiant son parti pris pour « Jésus, qui s’est rebellé contre le gouverneur corrompu par l’abnégation et le dépouillement », et pour « celui qui est venu pour servir et non pour être servi, celui qui s’est également insurgé contre l’injustice en disant la vérité sans peur ni crainte ».
« On le connaissait réformateur et révolutionnaire. Il avait déjà surpris par sa position tranchée sur les écoles de la Sagesse. Mais personne ne s’attendait à un discours aussi fort au niveau politique d’autant qu’il n’est pas réputé pour ses qualités d’orateur », commente le père Fadi Daou.
Selon un responsable religieux qui a voulu garder l’anonymat, Mgr Abdel Sater a fini par réconcilier le mouvement populaire, ou du moins une partie des contestataires, avec l’Église. « Durant les manifestations, la cathédrale Saint-Georges s’est barricadée et a fermé ses portes devant les manifestants, laissant ainsi une impression de distance entre l’Église et le peuple, un spectacle qui tranchait avec celui qu’offrait la mosquée voisine al-Amine, restée grande ouverte devant les gens qui pouvaient s’y réfugier au besoin. Or par sa puissance et ses clins d’œil au mouvement de contestation, l’homélie de Mgr Abdel Sater est venue inverser la donne par un engagement clair de l’Église en faveur des doléances du peuple », commente ce responsable.
Une rectification du tir que Bkerké a sans doute consentie et bénie, comme le notent certains observateurs qui considèrent que le siège patriarcal a compris qu’il fallait désormais « emboîter le pas au style inauguré par le pape François », à savoir une pastorale de proximité et soucieuse de justice.
« À Bkerké, il y a eu récemment une prise de conscience qu’il était temps de rectifier les erreurs commises et qu’il fallait désormais une voix prophétique », commente la diocésaine pour qui l’élection de Mgr Abdel Sater à la tête de l’archevêché est à interpréter dans ce sens.
Même si l’intervention de l’archevêque n’a pas fait l’unanimité au sein des contestataires, certains estimant préférable que les religieux restent loin du champ politique, il n’en reste pas moins qu’une majorité d’entre eux ont adopté le prélat comme leur nouveau porte-parole. En témoigne ce message qui s’est propagé sur les réseaux sociaux : « Ils ont interdit aux contestataires l’accès à l’église, mais ils ont découvert que l’un des leurs était déjà à l’intérieur. »
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commentaires (7)
MERCI. NOUS N'AVONS PLUS L'HABITUDE D'ÊTRE ÉPAULÉ NI ENTENDU. MERCI POUR LA RARETÉ DU GESTE ET POUR LE SAVON QUE VOUS LEUR AVEZ PASSÉ MÊME SI ON SAIT QUE CA NE LES A PAS TOUCHÉ, NOUS SAVONS QU'ILS SE SONT SENTIS POUR LE COUP, ABRUTIS ET INUTILES DONC NOTRE MESSAGE EST PASSÉ EN DIRECT . MERCI
Sissi zayyat
17 h 29, le 12 février 2020