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Société - Interview

Bruno David : Les scientifiques doivent se mobiliser de façon intransigeante contre la montée d’obscurantismes

Bruno David, président du Muséum national d’histoire naturelle en France, interviendra lors de la Nuit des idées, à Beyrouth, demain. Photo DR

Président du Muséum national d’histoire naturelle en France, Bruno David prendra part à la 5e édition de la « Nuit des idées », qui se tiendra demain à l’Institut français et au Musée des minéraux de Beyrouth (MIM) dès 17h sur le thème « Être vivant ». Le naturaliste, spécialisé en paléontologie et biologie, discutera des liens entre les minéraux et le vivant avec le président du MIM de Beyrouth, Salim Eddé. À l’heure d’une crise climatique sans précédent, Bruno David veut valoriser le discours scientifique dans les débats de société actuels.

Après avoir été chercheur en paléontologie, vous vous êtes dirigé vers la biologie. Quel lien voyez-vous entre l’étude des fossiles et celle des espèces vivantes ?

Dès lors que l’on s’intéresse à l’évolution biologique, le lien entre ces deux disciplines se fait naturellement. On peut observer la biodiversité actuelle à partir des modèles des fossiles en comparant son fonctionnement avec celui qui avait cours dans le passé. Lors de la Nuit des idées, nous aborderons notamment la relation qui unit le monde minéral et le vivant : les espèces vivantes ont façonné la planète depuis les origines de la vie. De nombreux roches et minéraux sont composés d’accumulation de micro-organismes, et sans ces organismes vivants, ils n’auraient pas existé.

Ce retour sur le passé est d’autant plus intéressant dans le contexte d’une crise environnementale majeure qui menace d’extinction des millions d’espèces et dont on peut constater en ce moment l’ampleur avec les incendies qui ravagent l’Australie depuis l’automne. On peut ainsi analyser comment la biosphère a réagi lors des différentes crises qu’elle a traversées, pour comprendre comment et en combien de temps elle est parvenue à se cicatriser. Mais même si l’analogie est riche en enseignements, elle ne suffit pas à comprendre la crise que nous vivons actuellement qui est exceptionnelle.

En quoi les perturbations climatiques en cours diffèrent-elles de celles qui les ont précédées ?

Tout d’abord, la cause de cette crise est uniquement humaine, ce qui n’était pas le cas lors des cycles naturels précédents. Ensuite, la rapidité à laquelle la situation se dégrade est inédite : les crises du passé s’étendaient sur 100 000 ans, contre un siècle seulement aujourd’hui. Notre réaction, elle, n’est pourtant pas plus rapide. Nous sommes en train de prendre conscience de nos responsabilités, c’est déjà ça. Mais, pour la plupart d’entre nous, nous ne sommes pas encore prêts à tirer toutes les conséquences que cela implique sur nos modes de vie au quotidien.


(Lire aussi : « Être vivant » : à Beyrouth, vendredi, une « Nuit des idées » qui résonne avec l’actualité)


Face à de tels enjeux, quel rôle peuvent jouer les institutions, comme le Muséum national d’histoire naturelle, dans le débat public ?

J’ai souhaité que le muséum se positionne dans la société : il doit apporter des connaissances, mais aussi élargir le plus possible son public, échanger directement avec lui et se montrer responsable face au défi climatique. Il doit faire entendre sa voix en s’engageant davantage qu’auparavant, notamment à travers des conférences, expositions, podcasts ou encore interventions publiques, comme lors de la Nuit des idées.

Ce qui me tient à cœur également, c’est de mener un débat ouvert à toutes les disciplines. Les questions auxquelles nous sommes confrontés aujourd’hui sont complexes et convoquent aussi les sciences humaines. Dans le passé, un botaniste pouvait se concentrer sur son strict domaine d’études, aujourd’hui il doit échanger avec des sociologues, économistes, philosophes… C’est pour cela que j’ai contribué au lancement de périodiques portant sur de grands enjeux actuels, les Manifestes, qui font intervenir des experts de tous horizons, pour croiser les regards et éclairer une question de la manière la plus complète possible.

Comment cette voix scientifique peut-elle se faire entendre aujourd’hui, alors que les réseaux sociaux apparaissent de plus en plus comme le théâtre d’affrontements entre climato-sceptiques et militants proclimat ?

Les établissements scientifiques doivent se mobiliser de façon intransigeante contre la montée d’obscurantismes, qui nient une réalité scientifique en mélangeant opinions et faits. Aujourd’hui, les internautes écoutent davantage leurs voisins de réseau que les scientifiques, ce qui appauvrit le débat. Les réseaux sociaux peuvent être un levier de connaissances, mais il est délicat de les utiliser pour communiquer une pensée complexe au risque d’être caricaturé.

Quant à l’engagement militant des jeunes par exemple, cela apporte une belle note d’espoir. Mais il faut veiller à ne pas basculer dans un discours simplificateur. Il faut notamment toujours envisager la contrepartie de chaque décision : si on arrête les pailles en plastique pour préférer celles en bambou par exemple, on règle le problème du plastique, mais on aggrave celui de la déforestation. Il n’y a pas de solution toute faite, il faut arriver à traiter la complexité. Et pour cela, on doit solliciter plusieurs points de vue.


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