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Lifestyle - Liban Pop

Les révolutions de Jad Shwery

Dans son nouveau tube, l’artiste libanais assure qu’il ne quittera pas le pays de sitôt. Pour « L’Orient-Le Jour », il revient sur son parcours.

Jad Shwery, un showguy rebelle. Photo DR

C’est simple, Jad Shwery est bourré de talent ! Indéniablement, cet auteur-compositeur-interprète et réalisateur incarne à travers son art la jeunesse libanaise soucieuse de se faire entendre. Et, pour lui, tous les moyens sont bons à condition que ce soit beau, au visuel comme en musique. Son dernier single, Mech Ay Kalam, dans lequel il assure qu’il n’oubliera pas son pays, le confirme. Écrit et composé avec Anthony du groupe Adonis, le titre mêle rap, mélodie douce et un refrain entêtant. On peut aussi reconnaître des notes de la sonate Clair de Lune de Beethoven. Le chanteur lui, rappelle à son pays chéri que la route est longue car rien ne pourra les séparer, eux qui se connaissent si bien. « Anthony et moi avions écrit cette chanson avant la révolution, précise-t-il. Nous pensions tous les deux partir à cause de la crise et des problèmes. Ma carrière allait bon train mais c’est la vie à Beyrouth qui était difficile, à plusieurs niveaux. C’est dans cette optique que cette chanson a vu le jour. Elle parle du départ, en général, que ce soit dans une relation amoureuse ou un pays. Parce qu’on est jeune, qu’on veut réussir. Parce qu’on ne se sent pas bien. »

« Mich Rah Fell »

Dans le clip qu’il a lui-même réalisé, Jad Shwery dresse le portrait de jeunes qui se préparent à partir définitivement, certains abandonnant également et au passage une histoire d’amour. Mais l’appel de la révolution les en dissuade finalement. « Après le 17 octobre, nous avons adapté la chanson à l’actualité, ajoute-t-il, modifiant ainsi un peu la perspective du clip et insistant sur le message à véhiculer. » « Je ne partirai pas. La révolution m’a fait ressentir que je n’avais plus envie de voyager. J’avais un clip à tourner en Espagne et pour la première fois, cela me gênait. C’est à mes yeux le message essentiel que l’on pouvait partager, surtout après les propos du président Michel Aoun qui disait que les Libanais pouvaient émigrer s’ils le voulaient. Ces propos ont provoqué en moi de nombreuses réactions. »

Un message que le chanteur vit pleinement puisqu’il a déjà envisagé d’émigrer à différentes périodes de sa vie. « J’ai vécu cinq ans à Paris pour mes études universitaires, explique-t-il. Entre 2013 et 2018, j’ai passé beaucoup de temps à Londres car j’essayais d’y ouvrir un business. J’étais à cheval entre les deux pays et même si de nombreuses choses ne me plaisaient pas à Beyrouth, ma carrière m’y ramenait toujours. C’est seulement quand la révolution a commencé que j’ai vu qu’il était possible de faire sa vie ici. Quelque chose de grand, de beau se passait. Quelque chose auquel on ne s’attendait pas mais qu’on souhaitait vivement. » Et d’ajouter : « J’ai toujours appelé à la laïcité, à la séparation de la religion et de l’État, au mariage civil, au respect des droits des femmes et des minorités. Je ne croyais pas qu’il était possible, pour nous les Libanais, de nous unir au-delà des confessions et des partis. Même si certains ne permettent pas à la révolution de marquer des points rapidement, elle a déjà fait beaucoup en unissant le peuple et en lui donnant de l’espoir. »




Un « showguy » rebelle

La rébellion, le chanteur à la nuque tatouée l’a dans le sang. C’est en tout cas une véritable révolution qu’il a causée dans le milieu artistique à ses débuts en 2004. Tout juste sorti vainqueur du télé-crochet Studio el-Fan dans la catégorie de la réalisation, après des études en cinéma à l’ALBA et à la Sorbonne, il produit son premier single A’oullak Eh, qui rencontre un grand succès du Caire à Beyrouth. Le rap, le breakdance et les paroles en dialecte égyptien surprennent et lui attirent succès et critiques. Il signe alors un contrat avec la boîte EMI avant que le groupe Melody ne le récupère pour produire son premier album. Suivent alors des tubes à succès tels Oulli Ezzay, Banadilak, des duos comme Warrini et Agaza, ainsi qu’une chanson en dialecte libanais, Kassaretly el-Siyara. Pour lui, la pop flirte avec une fusion de tous les genres, avec des inspirations tout aussi occidentales qu’égyptiennes. Malgré de modestes capacités vocales, le gamin réussit. Il dérange et casse les codes.

« Oui, j’ai toujours eu ce côté rebelle, assure-t-il. Si j’ai toujours voulu pénétrer le monde de l’Entertainment, c’est parce que je crois qu’à travers la pop, on peut créer un vrai changement. Je ne me suis jamais demandé pourquoi je faisais ce métier. J’avais envie d’être un showguy qui avait quelque chose à dire et qui remettait tout en question. J’ai grandi en écoutant des artistes comme Madonna, Elton John, Michael Jackson, George Michael et Freddy Mercury. À travers leur musique, leur personnalité et leur carrière, ces artistes ont eu un impact social réel. »

Aucun regret

Si elle lui permet de s’éclater en tant qu’artiste et en tant que réalisateur, la période du groupe musical Melody qui dure jusqu’en 2013 reste perçue par beaucoup comme un moment d’excès, voire de décadence artistique dans le monde arabe. De nouvelles chanteuses apparaissant dans des chansons légères, et des clips très osés, la plupart signés Jad Shwery. Ne craignant rien et n’hésitant pas à plonger la sulfureuse Maria dans un bain de lait et de céréales, ou de la transformer en Lolita allumeuse au lycée, il contribue à changer significativement le paysage artistique en osant, quitte à être critiqué. « J’ai toujours présenté une certaine substance dans la musique ou dans le visuel, indique-t-il, même si mes premiers clips avaient cet aspect libertin, avec une représentation nouvelle de la femme et de la sexualité. Tout le monde était dans l’expérimentation. Cette vague, certains l’ont considérée comme un art cheap et on m’a collé cette étiquette. Mais comme beaucoup d’artistes occidentaux dans les années 80, les artistes qui ont montré un talent durable ont survécu. J’en fais partie. »

Pourtant, Jad Shwery accepte le fait que les gens ne l’aient pas compris au départ. « Surtout que j’ai collaboré avec des personnes qui n’ont pas su survivre à cette vague ou qui n’avaient pas pour objectif de faire réellement carrière dans la musique, explique-t-il. Mais je reste un véritable musicien. L’ère Melody était une mode et le public était choqué, mais je ne perçois pas cette période de manière négative. Beaucoup de ces idées ressemblaient au jeune homme rebelle que j’étais. Si je ne refais pas certaines choses aujourd’hui, j’en étais convaincu à l’époque, donc pas de regrets. Par ailleurs, cette phase était une transition nécessaire. Elle a aidé les artistes déjà établis à ne plus avoir peur d’essayer de nouvelles choses. Parfois, il faut forcer les choses pour briser les tabous. Aujourd’hui, ces idées ne choquent plus et n’ont donc plus de raisons d’exister. La société a évolué. »

Depuis, Jad Shwery a gagné en renom en tant que réalisateur, en collaborant avec de grands noms qui ont su déceler son talent. Il est surtout fier d’avoir tourné avec Wadih es-Safi et Georges Wassouf, et des stars totalement à l’opposé comme Yara, Maya Diab et Nawal el-Zoghbi, dans le fameux clip Gharibi Hal Denyi. « J’aime les défis, assure-t-il. Comme travailler avec des artistes dont la musique ne me semble pas attirante au premier abord. Ou des artistes en début de carrière et avec qui je contribue à créer une identité, tout comme je l’ai fait avec Nassif Zeytoun, ou comme je le fais actuellement avec Lola Jaffan et Yazan. » Directeur de production au sein de la plateforme musicale Anghami depuis 2018, Jad Shwery en profite pour diriger de nouveaux talents, mais aussi produire de nouvelles chansons et clips à des artistes comme Nancy Ajram, Georges Wassouf, Carole Samaha, Douzi, Samira Said et Cyrine Abdelnour qui vient de sortir le titre Leila, qu’il a filmé pour elle en Espagne. Au cours de l’année, il compte également dévoiler les titres de son nouvel album, mais ne nous en dit pas plus pour l’instant. Une révolution se prépare toujours dans le plus grand secret !


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