Rechercher
Rechercher

Environnement - Environnement

Énigmatiques échouages de méduses sur la plage de Ramlet el-Baïda

Depuis quelques jours, de nombreuses méduses sont venues mourir, déposées par les vagues, sur le sable de l’unique plage publique beyrouthine. En plein mois de janvier, le phénomène ne manque pas d’interpeller promeneurs, scientifiques et associations, alors que les méduses sont connues pour se multiplier au début de l’été.


Effat Idriss Chatila et Nazih Rayyes inspectent la plage de Ramlet el-Baïda. Photos Maëlane Loaec.

Alors que la marée remonte sur la plage de Ramlet el-Baïda, les vagues soulèvent d’étranges poches blanchâtres, autour desquelles les premiers promeneurs matinaux s’arrêtent, piqués par la curiosité. Le long de la grève, qui s’étire sur près de deux kilomètres, on trouve ici et là des méduses échouées, renversées sur le sable ou flottant encore dans quelques centimètres d’eau. La plupart d’entre elles sont déjà mortes lorsqu’elles sont rejetées par le courant sur l’unique plage publique beyrouthine. « Je n’en avais jamais vu d’aussi près », commente Hassan, 22 ans, qui est venu profiter d’une éclaircie pour une promenade avec quelques amis. « On ne sait pas pourquoi elles viennent mourir ici, et ça nous inquiète. » Depuis quelques jours en effet, ces échouages se multiplient à Ramlet el-Baïda, alors que la saison n’est habituellement pas celle de la prolifération des méduses – et le phénomène laisse les gestionnaires de la plage perplexes, sans pour autant les inquiéter.

L’un d’eux, Nazih Rayyes, qui officie dans l’association Opération Grand Bleu, prend quelques photos des larges disques blancs et translucides. « Je n’en ai jamais vu de semblables, certaines mesurent plus de 60 centimètres de diamètre et ont des triangles gris sur le chapeau. » Avec Effat Idriss Chatila, présidente de l’association, ils multiplient les hypothèses pour essayer de comprendre le phénomène. « Elles se laissent porter par le courant, alors probablement les tempêtes de ces dernières semaines les ont jetées sur le rivage », lance la militante. Aidés d’un troisième bénévole, les deux associés, dont la mission est de protéger et faire connaître la biodiversité de Ramlet el-Baïda, tentent de remettre à l’eau un spécimen particulièrement imposant. Avec beaucoup de précautions toutefois : « C’est important que les gens sachent que, même si les méduses sont mortes, les cellules urticantes fonctionnent encore. Il faut éviter de les toucher, et si on est obligé, seulement par le chapeau », avertit Effat Idriss Chatila.


Une présence inhabituelle

Les constatations de Nazih et Effat semblent confirmées par les données scientifiques. Michel Bariche, professeur depuis dix-sept ans à l’American University of Beirut et spécialiste des espèces marines invasives, note un changement net dans le rythme de vie de ces animaux. « Il y a une dizaine d’années, on observait une prolifération des Rhopilema nomadica, une espèce invasive originaire de la mer Rouge, au début de l’été. Là, c’est surtout la période qui est inhabituelle. » Le chercheur pointe deux hypothèses qui permettraient d’expliquer l’apparition sur les côtes, en plein mois de janvier, de cette espèce au rythme annuel stable. « Peut-être s’agit-il d’une autre espèce issue d’une migration ou d’une adaptation des Rhopilema nomadica à un bouleversement de leurs conditions de vie. Dans tous les cas, ça n’a pas grand-chose à voir avec la baisse des populations de prédateurs comme la tortue ou le mérou, puisque ces méduses invasives n’ont par définition aucun prédateur. » Il se refuse toutefois à tirer des conclusions hâtives et appelle à davantage de vigilance lors des prochains hivers, afin d’identifier définitivement ces organismes. « On ne peut pas encore dire pourquoi on les observe en cette saison, mais ce qui est sûr, c’est que les méduses sont très sensibles aux paramètres du milieu naturel, comme la salinité de l’eau ou la température. Le réchauffement climatique modifie ces données et décale ainsi les rythmes de plusieurs espèces de l’écosystème, dépendantes les unes des autres. »

Michel Bariche relativise également l’importance de l’échouage sur les côtes, qui est normal en petites quantités pour ces animaux planctoniques, c’est-à-dire drainés par les courants marins. Il alerte toutefois sur l’action préoccupante des espèces invasives. Migrant d’elles-mêmes vers de nouveaux milieux sous l’influence d’une transformation de leurs eaux d’origine, ou introduites par l’action humaine, celles-ci déstabilisent durablement des écosystèmes marins déjà fragiles. Selon lui, le problème de la prolifération des méduses est mondial : il est en effet lié au réchauffement des eaux et à la surpêche, qui élimine leurs prédateurs. « On n’en connaît pas encore bien les conséquences, mais elles se révéleront certainement dans les prochaines années, notamment sur les populations de poissons et de crustacés, dont les méduses mangent les œufs et les larves. »


Un travail nécessaire d’observation et de sensibilisation

Pour mieux mesurer le phénomène et chercher d’éventuelles solutions pour parer à ce problème, la priorité est donc à la recherche et à l’information. « En tant qu’association, nous avons la responsabilité de surveiller ce qui se passe sur cette plage et d’avertir les scientifiques », explique Effat Idriss Chatila. Avec Nazih, elle documente cet échouage avec de nombreuses vidéos et photos qu’ils transmettent à des chercheurs, par exemple ceux du Centre national de recherche scientifique. Michel Bariche souligne toutefois la difficulté de ces recherches pour mesurer notamment les conséquences du changement climatique sur le cycle des espèces marines : les observations sont bien plus délicates à réaliser sous l’eau que sur terre et requièrent des moyens importants qui manquent toujours aujourd’hui.

Selon les membres d’Opération Grand Bleu, ces phénomènes intéressent les promeneurs. Effat Idriss Chatila déplore toutefois le manque de communication de l’ensemble des stations balnéaires libanaises autour de la vie marine auprès de la population. Avant la destruction en juin dernier de ses locaux construits sur la plage, l’association proposait des panneaux explicatifs qui renseignaient les curieux sur les conditions de baignade chaque jour (marées, températures, quantité de sable...), mais offraient aussi des informations liées à la préservation du lieu, en expliquant par exemple les risques de pollution auxquels la plage était exposée. Depuis, Nazih n’a pas abandonné cette mission de prévention : il publie régulièrement photos et vidéos sur son profil Facebook pour informer les internautes, notamment sur ce récent échouage de méduses. « Les gens se montrent très intéressés car c’est un domaine qui leur est inconnu », explique-t-il. L’association œuvre ainsi à ce que les promeneurs se réapproprient la plage, investie par des groupes criminels pendant la guerre. « On a perdu la mémoire de ce lieu, abonde Effat Idriss Chatila. Mais les gens sont curieux et la biodiversité marine est un sujet qui intéresse. »

Alors que la marée remonte sur la plage de Ramlet el-Baïda, les vagues soulèvent d’étranges poches blanchâtres, autour desquelles les premiers promeneurs matinaux s’arrêtent, piqués par la curiosité. Le long de la grève, qui s’étire sur près de deux kilomètres, on trouve ici et là des méduses échouées, renversées sur le sable ou flottant encore dans quelques centimètres...
commentaires (0)

Commentaires (0)

Retour en haut