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Monde - Commentaire

Chirac-Macron : forces et limites d’une comparaison

Le président français et son homologue palestinien à Ramallah, hier. AFP / Ludovic MARIN

Peut-être qu’il l’a provoqué. Peut-être même qu’il a forcé son accent en anglais pour que la mémoire sonore colle au visuel. Peut-être, enfin, qu’il le voulait absolument ce moment, ce moment chiraquien qui est resté dans toutes les mémoires et qui a fait de l’ancien président français l’une des personnalités occidentales les plus populaires du monde arabe. Mais, quelque part, tout cela n’est pas le plus important. Le « I don’t like what you did in front of me » adressé hier par Emmanuel Macron à un policier israélien dans la vielle ville de Jérusalem fait clairement écho au « Do you want me to go back to my plane ? » de Jacques Chirac dans les mêmes lieux il y a de cela 24 ans. Il n’y a pas la même spontanéité ni la même électricité. Mais il y a une volonté évidente du président français de s’inscrire dans l’héritage de Chirac. Au-delà du coup de communication pour séduire les populations arabes et une partie de l’électorat français, c’est ce que dit cette séquence de la continuité entre la diplomatie des deux hommes qui semble le plus intéressant.

La comparaison a ses limites, en raison de la différence de tempéraments, de leurs backgrounds politiques et, dans le cas présent, de leur attachement respectif à la cause arabe. Alors que Jacques Chirac était sincèrement préoccupé par cette question, Emmanuel Macron n’en a pas, pour le moment, donné l’impression. Le « en même temps » macronien qui se traduit, le même jour, par une déclaration associant l’antisionisme à de l’antisémitisme, reprenant de ce fait la rhétorique du pouvoir israélien, puis par une séquence dans la vieille ville qui a vocation à conquérir les cœurs palestiniens peut-il ainsi se revendiquer de l’héritage chiraquien? Sans aller aussi loin, l’ex-président français est à la fois celui qui a reconnu la responsabilité de l’État français dans la rafle du Vél d’Hiv et celui qui entretenait des relations très amicales avec Yasser Arafat, honni par les Israéliens. La lutte contre l’antisémitisme et le conflit israélo-palestinien ont beau être deux sujets différents, ils sont, malheureusement, le plus souvent entremêlés sur la scène française où les sensibilités sur ces questions sont très fortes en raison de l’histoire et de la présence sur le sol hexagonal des plus grandes communautés juives et musulmanes d’Europe.

Au-delà de ces différences, il y a une continuité assumée par le pouvoir actuel entre les diplomaties Chirac et Macron, comme l’explique le politologue Frédéric Charillon dans un très bon article publié par le site The Conversation le 3 septembre 2019 et intitulé « Les accents chiraquiens de la diplomatie d’Emmanuel Macron ».

Sur la forme, le style est différent mais les deux présidents adoptent une logique où les relations personnelles sont déterminantes dans la conduite d’une politique extérieure. Ils incarnent la diplomatie française et profitent de leurs liens privilégiés avec d’autres dirigeants pour faire avancer les intérêts de leur pays.

Mais c’est sur la vision chiraquienne du monde que l’héritage est le plus visible et le plus revendiqué. Emmanuel Macron est certes plus libéral que l’ancien président français, mais il partage sa volonté de faire de la « realpolitik », de parler à tous les acteurs, et son constat des limites de la puissance occidentale dans un monde multipolaire. Cela se traduit notamment par une diplomatie active pour améliorer les relations avec la Russie ou pour porter la voix d’une Europe pas nécessairement alignée sur les États-Unis. Une approche séduisante, en apparence, mais qui montre rapidement ses limites à une époque où la Russie est plus vindicative qu’elle ne l’était durant les mandats Chirac et où l’Europe est, au moins, toujours aussi désunie.

Au Moyen-Orient, Jacques Chirac c’est avant tout le non à l’intervention américaine en Irak en 2003. Mais c’est aussi une volonté de jouer les médiateurs entre les différentes puissances régionales, d’offrir une voie alternative à celle de Washington pour tenter de résoudre les conflits. Emmanuel Macron prolonge cette tradition lorsqu’il tente de concilier les positions américaine et iranienne sur la crise du nucléaire iranien ou lorsqu’il critique la décision américaine de reconnaître Jérusalem comme la capitale d’Israël. Il ne manque ni de volontarisme ni de cohérence, mais se heurte dans les deux cas à la résistance des acteurs et au manque de moyens de Paris dans une région où les puissances régionales jouent un rôle de plus en plus accru.

Et puis il y a les limites du chiraquisme dans le monde arabe actuel, celui d’après les révolutions populaires. Jacques Chirac était aimé par les peuples de la région, mais était dans le même temps l’ami des autocrates qui la dirigeaient. Cette position semble difficilement tenable aujourd’hui. Limite aussi du non-interventionnisme occidental, à l’aune du drame syrien et de ses centaines de milliers de morts. Par opportunisme ou par conviction personnelle, Emmanuel Macron a tendance à qualifier de « néoconservatisme » toute politique impliquant une intervention militaire occidentale visant à empêcher des crimes perpétués par un régime contre son propre peuple. Le président français est par exemple très critique de l’intervention de 2011 en Libye, estimant qu’elle est en partie responsable de la situation actuelle. Difficile de le contredire. Mais difficile aussi de ne pas envisager que la situation aurait pu être encore pire, l’exemple syrien le démontre, si Mouammar Kadhafi était encore au pouvoir. Entre les limites de l’interventionnisme occidental et les conséquences de sa non-intervention, il y a sans doute un équilibre qui peut être trouvé. Une façon, forcément imparfaite, de répondre à des crises aussi complexes sans renoncer à la « responsabilité de protéger ». Une façon de ne pas renier l’héritage chiraquien sans pour autant jeter le bébé avec l’eau du bain.


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