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Politique - Décryptage

Gouvernement : divergences minimes dans un grand dialogue de sourds

Au cours des derniers jours, il est clairement apparu qu’il y a désormais au Liban deux mondes qui se côtoient sans se croiser : d’une part celui de la rue qui glisse de plus en plus vers des scènes de violence, et de l’autre celui de la classe politique de plus en plus empêtrée dans ses contradictions et ses intérêts.

Samedi et dimanche, les scènes de violence dans les rues, autour du siège du Parlement notamment, étaient sur tous les petits écrans, mais elles n’ont pas suffi à pousser les parties concernées à former rapidement un gouvernement, en dépit des risques de dérapage et de glissement vers une confrontation plus large et plus grave dans la rue.

Vue de loin, la situation paraît surréaliste, mais plus on s’approche et plus on prend conscience de l’ampleur du fossé qui sépare les différents partenaires impliqués dans la formation du gouvernement.

Pour le chef de l’État Michel Aoun par exemple, il est impératif de former un gouvernement crédible capable de procéder aux réformes nécessaires et de prendre des mesures concrètes. En effet, en dépit de ce qu’il considère comme de grandes réalisations – guerre du jurd et fin de la menace terroriste qui planait sur le Liban entre 2013 et 2016 ; adoption d’une loi sur le budget après plus de dix ans de dépenses inconsidérées et désordonnées de la part de l’État ; nominations judiciaires essentielles pour que la justice puisse avancer dans la lutte contre la corruption, avec notamment la désignation de Souheil Abboud à la tête du Conseil supérieur de la magistrature –, le camp présidentiel estime que les deux gouvernements présidés par Saad Hariri ont perdu beaucoup de temps dans des zizanies internes. C’est pourquoi ce camp estime qu’il ne peut pas se permettre d’avaliser la formation d’un gouvernement qui ne serait pas à la hauteur et qui aurait le même style que le précédent. Ce qui ne pourrait qu’aggraver la grogne populaire et ajouterait un nouveau problème à ceux qui existent déjà.



(Lire aussi : Le tournant, l'édito de Michel TOUMA)



Face à cette logique, il y a celle du camp du Premier ministre désigné qui estime avoir été nommé pour pouvoir agir librement et former un gouvernement différent des précédents. Hassane Diab préfère ainsi choisir lui-même les ministres pour former une équipe qui lui ressemble. Il tient d’ailleurs à rencontrer tous les ministrables dans une sorte d’entretien d’embauche, avant de prendre ses décisions, et il ne considère pas qu’il doit consulter les parties politiques qui l’ont désigné puisque c’est finalement lui qui assume les plus grandes responsabilités. Cette attitude s’est toutefois heurtée au manque de coopération des deux formations chiites qui ont annoncé, par la voix du président de la Chambre, leur intention de ne donner les noms des quatre ministres chiites qu’après le choix de tous les autres. M. Diab s’est incliné et s’est alors concentré sur les ministrables sunnites, bien sûr, et chrétiens, provoquant ainsi l’irritation de ses partenaires chrétiens, le Courant patriotique libre en tête.

Hélas, le président de la Chambre Nabih Berry, non plus, n’est pas très satisfait. Il a bien tenté à plusieurs reprises de chercher à arrondir les angles avec le Premier ministre désigné, notamment après les objections de certains alliés au sein du 8 Mars (les Marada, l’émir Talal Arslane et le PSNS notamment), mais il s’est heurté à l’obstination de Diab qui continue d’affirmer que c’est à lui de choisir la plupart des ministres avec lesquels il devra collaborer.

Tout en comprenant les positions des uns et des autres, le Hezbollah, lui, veut que le gouvernement soit formé le plus tôt possible. Le Hezbollah considère en effet que la situation régionale est actuellement très complexe, et que s’il est possible de maintenir le Liban à l’écart des développements régionaux, il faudrait aussi lui donner une immunité économique et financière interne qui lui permettrait de tenir et apaiserait à la fois la communauté internationale et la grogne populaire. Pour le Hezbollah, le Liban ne peut plus se permettre de perdre encore plus de temps, chaque camp guettant un changement dans la position de l’autre. D’autant qu’il n’y a pas de scénario constitutionnel possible pour retirer la désignation du Premier ministre et que M. Diab a affirmé à plusieurs reprises qu’il n’a pas l’intention de se récuser.



(Lire aussi : La formation du cabinet Diab entravée par une crise de confiance au sein du 8 Mars)



Face à ces considérations, le Hezbollah n’a d’autre choix que de reprendre ses tentatives de médiation pour rapprocher les points de vue et aboutir à la formation du gouvernement. C’est dans ce contexte qu’il a demandé au chef des Marada de renoncer à donner une conférence de presse samedi et qu’il a organisé un déjeuner entre Sleimane Frangié et Hassane Diab en présence des deux émissaires chiites Ali Hassan Khalil et Hussein Khalil. L’idée était de pousser Frangié à participer au gouvernement avec un seul ministre, mais éventuellement deux portefeuilles. Toutefois, le problème de M. Frangié n’est pas seulement avec le Premier ministre désigné, il est aussi avec le CPL et son chef Gebran Bassil qu’il soupçonne de vouloir imposer son autorité sur le gouvernement en gestation.

Pourtant, si les noms des futurs ministres qui circulent dans les médias sont vrais, cela signifierait que le CPL s’est conformé à la position de son chef en ne choisissant aucun partisan. Il s’est contenté de proposer trois noms d’experts et de donner son accord pour les noms présentés par M. Diab. Gebran Bassil avait d’ailleurs annoncé lors de la conférence de presse tenue mardi dernier que le programme du nouveau gouvernement est plus important, à ses yeux, que les noms des ministres.

Si toutes ces positions sont vérifiées, la formation du gouvernement ne devrait plus être entravée. Pourtant, des sources politiques qui suivent le dossier parlent d’une question de confiance entre le Premier ministre désigné et ceux qui l’ont choisi. Ces derniers ne comprennent pas en effet pourquoi il tient tellement à un gouvernement de 18 membres alors qu’ils lui ont demandé à plusieurs reprises de passer à 20 ou même 22, voire 24 ministres, ce qui assurerait une meilleure représentation de toutes les communautés au sein du gouvernement qui a déjà une mission très difficile. Mais jusqu’à présent M. Diab a fait la sourde oreille à ces propositions. Ce dialogue de sourds serait-il un avant-goût des relations au sein du gouvernement ? En tout état de cause, la question qui se pose est la suivante : si en aussi petit comité, les parties concernées ne parviennent pas à s’entendre, comment pourraient-elles mener un dialogue avec le mouvement de protestation ?



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commentaires (15)

C'est triste de voir que chacun tire de son côté et il s'enfou du Liban , il faut comme en Suisse des cantons , mais il faut dire qu'ils sont civilisés et pas égoïstes

Eleni Caridopoulou

17 h 27, le 21 janvier 2020

Tous les commentaires

Commentaires (15)

  • C'est triste de voir que chacun tire de son côté et il s'enfou du Liban , il faut comme en Suisse des cantons , mais il faut dire qu'ils sont civilisés et pas égoïstes

    Eleni Caridopoulou

    17 h 27, le 21 janvier 2020

  • Une cuisine de galets (tabkhet bahs) dans un bunker à vingt mille lieues sous la terre.

    Un Libanais

    15 h 45, le 21 janvier 2020

  • Cey article nous ouvre les yeux, encore une fois sur des politiciens qui ne donne pas ishrit badsal pour le liban. On doit leur retirer leurs nationalité libanaise et les renvoyer du pays vers d'autres cieux où ils seront traiter comme ils le méritent : des grandes gueules menteurs, roublards et indignes de toutes positions de responsabilité même pas capables de diriger un kiosque de journaux. Kelloun yaané Kelloun!

    Wlek Sanferlou

    13 h 43, le 21 janvier 2020

  • c'est a pleurer, le pays coule et on s'inquiete de la representation des communautes ou des desideratas de tel ou tel leader de 3eme ordre (Assaad hardane ?? vraiment ????) Mais nommez 20 druzes si c'est ce qu'il faut pour nous sortir de ce cauchemear, 20 sunnites, 20 martiens si necessaire !! Mais pour cela il aurait fallu un president fort pour trancher...

    Lebinlon

    13 h 10, le 21 janvier 2020

  • Je lis Mme Haddad pour l’interlude comique que son billet fournit. Ce monsieur Diab est vraiment malcommode. C’est vraiment lui qui retarde tout. Le CPL et le président, mus par leur acharnement pour le changement et la lutte contre la corruption (comme démontré par leur passé récent), sont prêts à tous les sacrifices mais ne veulent quand même pas que Monsieur Diab choisisse les ministres chrétiens. Sinon, eux ils n’offrent que des noms d’indépendants et ne comprennent donc pas le jeu de ce monsieur. Vous êtes vraiment drôle. Non Madame. Personne ne veut le gouvernement, ni Marada, ni CPL, ni Hezbollah, ni Iran, ni Syrie. Pourquoi? Parce qu’il sera le gouvernement du désastre total, celui qui ramassera les morceaux de l’économie effondrée et devra faire face aux pressions de la communauté internationale. On lambine, on fait passer le temps en espérant un signe quelconque de la France, des USA, un petit hochement de la tête des Arabes qui voudront bien injecter des milliards. Mais en vain. On comprend avec amertume que l’étau se resserre et que les braves de la Moumanaa (le gendrissime en tête) ne convainquent pas. Ils n’ont pas l’étoffe requise. C’est triste pour vous mais il faut se rendre à l’évidence. On a beau vouloir jouer dans la cour des grands, quand on est trop inexpérimenté, on vous le fait savoir rapidement.

    Michael

    12 h 08, le 21 janvier 2020

  • "...voire 24 ministres..." en glissant lentement vers les 30 ministres du gouvernement précédent, car on verra d'autres prétendants-aux-ministères sortir du bois ! Ainsi on retombe dans le même système aberrant qui n'a rien à faire avec la démocratie chez nous, où l'on ne sait pratiquer qu'une chose: se remplir les poches à l'aide de "ministères "juteux". Irène Saïd

    Irene Said

    12 h 02, le 21 janvier 2020

  • Votre estimée journaliste est totalement déconnectée de la réalité car elle ne voit les faits que de son œil partisan et donc aveuglée par ses certitudes. Mais elle demeure amusante à lire car écrire autant de contre vérités ne peut être que rigolo

    Lecteur excédé par la censure

    09 h 30, le 21 janvier 2020

  • DIVERGENCES ENORMES CAR CE GOUVERNEMENT DONT ILS DISCUTTENT ET SE BATTENT POUR SE PARTAGER SES MINISTERES EST UN GOUVERNEMENT ILLEGAL POUR LE PEUPLE ET CONDAMNE A NAITRE MORT. PEINE VAINE. ILS NE POURRONT JAMAIS L,IMPOSER ET S,ILS ARRIVENT A LE FAIRE IL SERA FICHU EN UN RIEN DE TEMPS. IL MANQUE A NOS ABRUTIS L,INTELLIGENCE ET LA COMPETENCE.

    LA LIBRE EXPRESSION

    09 h 09, le 21 janvier 2020

  • Tout à fait d'accord - et comment pourrait-il en être autrement, tellement est forte l'évidence - sur l'existence d'un dialogue de sourds entre le peuple qui crie sa faim de justice, mais aussi, tout simplement, dde pain et "la classe politique de plus en plus empêtrée dans ses contradictions et ses intérêts". Par contre,j'avoue avoir du mal à découvrir, même avec un microscope, les réalisations de ce mandat. Notamment, malgré "adoption d’une loi sur le budget après plus de dix ans", les "dépenses inconsidérées et désordonnées de la part de l’État" ont continué de plus belle! De plus certaines affirmations laissent pantois: "ce camp (celui du CPL) estime qu’il ne peut pas se permettre d’avaliser la formation d’un gouvernement (...) qui aurait le même style que le précédent". Alors que depuis la démission de Hariri, la formation du gouvernement bute sur les prétentions de Bassil (entre autres) de pouvoir nommer tant de ministres et tel ou tel poste. Et ce, dans un gouvernement pourtant qualifié "indépendant"!

    Yves Prevost

    08 h 00, le 21 janvier 2020

  • "... Ces derniers ne comprennent pas en effet pourquoi il tient tellement à un gouvernement de 18 membres alors qu’ils lui ont demandé à plusieurs reprises de passer à 20 ou même 22, voire 24 ministres, ce qui assurerait une meilleure représentation de toutes les communautés au sein du gouvernement ..." D’abord disons que nous n’avons pas les moyen de nous offrir plus de 18 ministres, et encore. la Suisse fonctionne très bien avec 7, alors... Ensuite les communautés sont très bien représentées au parlement. Et enfin, on s’en fiche complètement des communautés au gouvernement, puis qu’il est sensé être composé de spécialistes indépendants. Indépendants... relisez ce mot plusieurs fois, et laissez-le imprégner doucement vos neurones... ça y est? Vous voyez l’erreur? Non? Hmmm. Cherchez encore....

    Gros Gnon

    06 h 58, le 21 janvier 2020

  • C'est bien clair .

    Chucri Abboud

    04 h 34, le 21 janvier 2020

  • Je suis probablement dyslexique mais je lis: " Gouvernement : grandes divergences de sourds dans un grand dialogue de minimes"... Où sont les grands et les forts d'antan de cette patrie!?

    Wlek Sanferlou

    03 h 49, le 21 janvier 2020

  • le CPL s’est conformé à la position de son chef en ne choisissant aucun partisan. Il s’est contenté de proposer trois noms d’experts VOUS VIVEZ MADAME SUR UNE AUTRE PLANETE IL A EXIGE D'AVOIR L'ENERGIE ET MIS A SA PLACE L'EX EGO DE BOUSTANY . IL EXIGE LE TIER DE BLOGAGE IL N'A PAS PROPOSE , IL A EXIGER 3 NOMS ET PLUS EN FAIT deux formations chiites qui ont annoncé, par la voix du président de la Chambre, leur intention de ne donner les noms des quatre ministres chiites qu’après le choix de tous les autres. CAD HEZBALLAH ET AMAL NOMME LES MINSTRES CHIITES PUIS VOUS DIREZ QUE SES REVOLUTIONAIRES SONT DES RECHIGNEURS POUR NE PAS ACCEPTER CE BEAU GOUVERNEMENT DE SPECIALISTES LIBRE DE TOUTE TENDANCE POLITIQUE POUR CONTINUER A PROTESTER SI VOUS , JOURNALISTE DE PREMIER ORDRE DANS UN JOURNAL FRANCAIS AU LIBAN PRENAIT LA DEFENSE DE BASSIL OU AUTRE POLITICIENS DU LIBAN SANS COMPRENDRE ET SOUTENIR LE PEUPLE C'EST QUE LE LIBAN EST VRAIMENT PERDU A JAMAIS C'EST MALHEUREUSEMENT LA VERITE AUJOURDH'UI VU CE QUI SE PASSE

    LA VERITE

    02 h 34, le 21 janvier 2020

  • Votre dernière question, Mme Haddad, est soit d’une naïveté extrême ou que, vous-même êtes déconnectée de la réalité de cette révolte populaire! Pensez-vous vraiment que s’il y a un prochain gouvernement Diab, tel que concocté honteusement, il sera spontanément accepté par la rue? Et même s’il sera imposé par la force, mais quel dialogue va-t-il entreprendre avec le mouvement de protestation? Réponse simple: encore un dialogue de sourds, venant d’une équipe qui n’aura rien de technocrates indépendants et qui ne convaincra personne de la communauté internationale pour les aider à redresser la situation économique, surtout avec le tandem chiite aux commandes! Non, la situation ne fera qu’empirer et Dieu seul sait où cette bande d’irresponsables va encore mener le pays!

    Saliba Nouhad

    02 h 03, le 21 janvier 2020

  • Monsieur Diab un peu de courage, il faut renoncer et bien expliquer à tout le monde qui bloque et qui s’est oppose à la mouture initiale de 18 ministres plus ou moins indépendants, Si vous vous soumettez aujourd’hui vous finirez comme Hariri, sans la confiance du peuple et celle de nos partenaires internationaux rien ne sera fait pour entraver la descente aux abimes et vous en partagerez la responsabilité avec les 4 mousquetaires Berri, Aoun, Nasrallah et Bassil

    Liban Libre

    00 h 56, le 21 janvier 2020

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