Plus d’un mois après sa nomination pour former le nouveau gouvernement, et alors que le mouvement de contestation est passé à la vitesse supérieure face à la classe dirigeante, le Premier ministre désigné, Hassane Diab, n’est toujours pas parvenu à former une nouvelle équipe ministérielle, pourtant supposée monochrome et composée de figures acquises au 8 Mars. C’est donc une crise de confiance qui semble secouer ce camp, compliquant la tâche à M. Diab.
Depuis sa nomination, le 19 décembre dernier, Hassane Diab a affiché son attachement à une formule restreinte de 18 ministres indépendants, affirmant vouloir répondre aux demandes du mouvement de contestation. Mais il s’est rapidement heurté aux desiderata de ses parrains. C’est dans ce cadre qu’il conviendrait d’inscrire la lutte pour les quotes-parts à laquelle se sont livrés les protagonistes concernés par le processus gouvernemental. « Les alliés du Hezbollah se comportent d’une manière irresponsable, accordant la priorité à une lutte principalement axée sur la logique de partage du gâteau, à l’heure où le pays a besoin d’une nouvelle équipe ministérielle dans les plus brefs délais », déclare à L’Orient-Le Jour Fayçal Abdel Sater, journaliste proche des milieux du parti chiite.
Sans mâcher ses mots, M. Abdel Sater estime qu’« une crise de confiance secoue aujourd’hui le camp du 8 Mars, d’où le retard mis pour former le cabinet ».
Il inscrit notamment dans ce cadre le bras de fer opposant le chef du Courant patriotique libre, Gebran Bassil, au leader des Marada, Sleiman Frangié, dont les rapports sont pratiquement gelés depuis la présidentielle de 2016. « Les deux hommes se sont livrés à un règlement de comptes présidentiel prématuré, l’un voulant couper la route du palais de Baabda à l’autre. D’où l’insistance de M. Frangié à obtenir deux ministres au sein de l’équipe Diab », dit-il.
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Le tiers de blocage
Sur ce tableau viennent se greffer les accusations lancées contre le chef du CPL d’œuvrer pour obtenir le tiers de blocage (sept ministres dans une formule de 18). Une bataille qu’aussi bien les milieux du Hezbollah que ceux du président de la Chambre, Nabih Berry, jugent « inopportune », dans la mesure où l’heure, selon le binôme chiite, est à la mise en place d’un cabinet le plus rapidement possible. Et de rappeler que le cabinet en gestation sera monochrome. Il n’y a donc aucun besoin d’accorder le tiers de blocage à une formation politique.
Le CPL réfute naturellement toutes ces accusations, rappelant que M. Bassil lui-même avait déclaré à plusieurs reprises qu’il est prêt à rester en dehors du cabinet si cela peut accélérer sa genèse. Une source au sein du groupe parlementaire du Liban fort souligne que le problème majeur n’est pas chez le courant aouniste, mais chez le Premier ministre désigné qui « refuse de former une équipe de 20 ministres au lieu de 18 afin de satisfaire toutes les demandes et franchir tous les obstacles ».
Hassane Diab, lui, poursuit ses efforts pour former son gouvernement restreint de 18. Il s’est ainsi entretenu, hier, avec Sleiman Frangié autour d’un déjeuner. Étaient présents le ministre sortant des Finances, Ali Hassan Khalil, bras droit de Nabih Berry, et Hussein Khalil, conseiller du secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah. Une rencontre qui est intervenue à la veille d’une conférence de presse que le leader des Marada devrait tenir ce matin pour se prononcer au sujet des tractations gouvernementales, après l’avoir ajournée samedi dernier. Ayant réussi à conserver le juteux portefeuille des Travaux publics, M. Frangié plaide pour un second ministère, apprend-on de source politique. On confie aussi que le Premier ministre, en dépit de son attachement à une formule de 18, s’est dit favorable à une mouture de 20, si cela serait à même de sortir le pays de l’impasse actuelle.
Les mêmes milieux confient aussi que le chef des Marada a refusé que le second siège ministériel qu’il convoite aille à une personnalité grecque-catholique, plaidant pour un siège grec-orthodoxe.
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Bien au-delà du futile partage du gâteau, cette proposition visait d’une part à permettre à Hassane Diab de franchir l’obstacle lié à la représentation des grecs-catholiques, et d’autre part à mettre fin à la polémique suscitée autour du nom d’Amal Haddad (grecque-orthodoxe), ancienne bâtonnière de Beyrouth. À l’heure où certains milieux politiques évoquaient sa possible nomination à la vice-présidence du Conseil, notre correspondante Hoda Chedid indiquait qu’elle pourrait être remplacée par Petra Khoury.
De source informée, on apprend que Damien Kattar, auquel devrait échoir le portefeuille du Travail, réclamé par M. Frangié, pourrait en échange être nommé à l’Économie, portefeuille que Gebran Bassil réclame pour Ayman Haddad... !
De leur côté, les huit députés grecs-catholiques se sont entretenus hier avec le patriarche grec-catholique, Youssef Absi. À l’issue de la réunion, les participants à la rencontre ont appelé à « une juste représentation » de leur communauté au sein du prochain cabinet. « Conformément à la Constitution, il est nécessaire de respecter une équité dans la représentation communautaire au sein du gouvernement et de trouver une formule qui établisse un point d’équilibre entre toutes les communautés », a déclaré le député Eddy Maalouf (CPL), donnant lecture du communiqué. Mais selon des sources politiques informées, il serait actuellement question d’accorder le second ministre grec-catholique à Nabih Berry. Une façon de priver Gebran Bassil de sept ministres chrétiens.
Joumblatt à la Maison du Centre
À l’heure où le camp du 8 Mars semble fragilisé par les conflits d’intérêts entre ses composantes, le chef du Parti socialiste progressiste Walid Joumblatt s’est rendu à la Maison du Centre, hier, pour y rencontrer le Premier ministre sortant, Saad Hariri. Si les rapports entre Moukhtara et la Maison du Centre sont en dents de scie depuis des mois, M. Joumblatt a tenu à rappeler que « le pays est à quelques jours du 14 février » (date de l’assassinat de Rafic Hariri, ancien chef de gouvernement). Et d’ajouter : « Durant les crises, il est bon de penser à froid, et de revenir au passé, au temps où nous nous rencontrions dans cette maison. » Des propos interprétés comme un appel à souder les rangs du 14 Mars. Notons enfin que Saad Hariri avait critiqué, dans une série de tweets, le blocage du processus gouvernemental, incitant à la formation d’une nouvelle équipe dans les plus brefs délais.
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commentaires (14)
On doit jamais faire confiance aux Iraniens, encore moins à leurs mercenaires locaux...
Jack Gardner
13 h 08, le 21 janvier 2020