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Culture - Théâtre

Comment reconstruire sa vie quand tout part en vrille

Quand les planches se mettent au service du drame de vivre et du rétablissement de la dignité humaine, cela donne une pièce comme « Harir » (soie), jouée, sous l’égide de Action for Hope, par des réfugiées syriennes au Liban et mise en scène par Sara Zein.

Dans « Harir », des femmes content ces histoires d’un autre temps, mais les anecdotes et les conditions de la femme, face au machisme, sont les mêmes aujourd’hui. Photo Marianne Kortbani

Tandis que la plupart des artères de Beyrouth étaient bloquées par les manifestants et que la place des Martyrs était envahie par une population en colère contre l’état de dégradation sociale et politique, se donnait vendredi soir au studio Zoukak, à la jonction de la Quarantaine, la pièce Harir (Soie) mise en scène par Sara Zein sous l’égide de Action for Hope (action pour l’espoir), résultat d’un atelier de travail théâtral avec des réfugiées syriennes au Liban… Dans une joyeuse bousculade, une grande affluence de jeunes a investi les lieux. Le public, indifférent à tout sens du confort, s’est assis à même le sol pour écouter ces diseuses d’un temps révolu…

L’histoire remonte à 1870, à ce moment où les lignes de démarcation n’étaient pas encore clairement établies. Des limites d’ach-Cham au Mont-Liban, où le travail de la soie dans les magnaneries faisait florès, venaient ces femmes, laborieuses ouvrières, pour tisser les fils de la soie…

Alors, on se déplaçait sans crainte, loin de tout exode ou toute fuite de la guerre… Aujourd’hui, ces Syriennes sont dans les camps de réfugiés. Elles content ces histoires d’un autre temps, mais les anecdotes et les conditions de la femme, face au machisme, sont les mêmes…

La pièce, avec une poignée d’une quinzaine de femmes de tout âge et tout acabit, habillées de manteaux sombres, aux têtes couvertes de foulards pour la plupart comme ces personnages d’antan de Hauran, ont pris d’assaut l’aire de la scène. Avec quelques notes vestimentaires anachroniques car il n’y avait en ces temps d’autrefois ni pull à strass ni leggings. Pour tout décor, quelques poufs, des banquettes en feutrine, de petits tapis et quelques instruments de musique orientale (ouds et tambourins)…

Au-devant de la scène, assise sur sa natte avec une cafetière et des tasses, une ouvrière chantonne, psalmodie, prie et se confie en bribes incohérentes. Vite elle est rejointe par d’autres femmes se séparant de ce chœur silencieux et compact qui regarde en fond de scène. Les langues se délient pour chercher un chemin qu’on ne retrouve plus, s’approvisionner en une eau qui manque, retrouver un mari disparu, conter ses malheurs d’épouse devant une conjugalité polygame, lire dans les lignes de la main et présager le bon et le moins bon de l’avenir…

D’Oum Hassan à Hyam, les femmes jacassent et se donnent aux commérages. Deux épouses qui ont pour conjoint le même homme, une mère irritée par le comportement de ses filles frivoles, des maris absents, violents ou volages, tout cela entre rires et larmes, entre témoignage et espoir de s’en sortir, entre humour et gravité, entre frontières ouvertes ou fermées, entre interrogations d’une destinée imprécise.


En toute pudeur

Le texte de ces histoires, nourri des détails les plus prosaïques et élémentaires du quotidien, dans un arabe populaire à la fois simple et savoureux, a été brodé par l’ensemble des comédiennes apprenties. Rien de particulier ou d’éblouissant littérairement parlant, mais le tout restitué dans une grande sobriété et efficacité de diction et de gestuelle. Jusqu’à ce chant live et ces cadences à la fois nostalgiques et incantatoires, ainsi que cette ébauche d’invitation à la danse, avec des mouvements d’une charmante timidité d’un corps qu’on expose en toute pudeur.

Une pièce comme un modeste témoignage du désarroi de vivre en cette région instable et livrée au chaos et à la violence. Avec le sens de l’adaptation aux événements qui chavirent des existences qui se croient à l’abri du malheur et de l’adversité.

Avec tact, une certaine finesse et sans avoir peur de la pauvreté et du dénuement, et encore moins du labeur, dans tout son effacement de fourmi, un touchant moment (50 minutes) de théâtre au plus près de l’intime des préoccupations sociales féminines. Avec le sourire pour garder toujours l’espoir…


Fiche technique

Mise en scène : Sara Zein

Actrices : Ala’ el-Sayed, Darine el-Banna, Faten Nakechbandi, Hiba el-Sekari, Hiam Abou Rajab, Jihan Hamidy, Khouloud Zahra, Katifa Boukcharif, Maka Zarkiil, Najat Elbseiry, Samar Issa, Chamsa el-Kurdi, Soulaf Moussa.

Musiciennes : Hiba Dahous, Raghad Ibrahim, Safa’ Mekdah.

Scénographie et éclairage : Karam Abou Ayache.

Tandis que la plupart des artères de Beyrouth étaient bloquées par les manifestants et que la place des Martyrs était envahie par une population en colère contre l’état de dégradation sociale et politique, se donnait vendredi soir au studio Zoukak, à la jonction de la Quarantaine, la pièce Harir (Soie) mise en scène par Sara Zein sous l’égide de Action for Hope (action pour...

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