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Liban - Rétrospective 2019 / Droits de l’homme

Droits de l'homme : Au Liban, la parole se libère, à mesure que les violations augmentent

Slogan phare de la contestation : l’égalité entre les genres au Liban n’est plus une utopie, mais un objectif à portée de main.

À Ersal, en juillet dernier, les maisonnettes en dur des réfugiés syriens ne sont plus qu’amas de gravats. Photo A.-M.H.

Plus le Liban s’enfonce dans la crise politique, économique et financière, moins les droits de l’homme y sont respectés. Arrestations en hausse de citoyens critiques du pouvoir, convocations de journalistes et de blogueurs par le bureau de lutte contre la cybercriminalité, justice soumise aux pressions politiques, suicide d’employées de maison maltraitées, discriminations à l’égard des réfugiés ou des personnes à besoins spécifiques, pauvreté grimpante, enfants déscolarisés... C’est dire combien la situation des droits humains s’est dégradée en 2019, alors que parallèlement la parole s’est libérée, portée par une société civile déterminée, décomplexée et désormais agressive. Cette société civile qui n’a pas hésité à défier le pouvoir à maintes reprises, lorsqu’elle estimait que les atteintes aux libertés publiques devenaient étouffantes, que la justice était trop politisée, que la classe politique débordait d’arrogance. Jusqu’à ce fameux 17 octobre où la population s’est soulevée, envahissant les places publiques, lançant les débats, réclamant non seulement le départ de la caste politique corrompue et la formation d’un gouvernement d’indépendants, mais aussi le respect des droits de la personne, des citoyens et citoyennes, des réfugiés palestiniens et syriens, de la main-d’œuvre migrante…

L’interdiction en août du concert de Mashrou’ Leila

Le recul le plus marquant se situe au niveau de la liberté d’expression, de l’indépendance judiciaire et de la lutte contre les discriminations. L’ONG Alef-Act for Human Rights l’avait déjà constaté en avril. Ce recul s’accompagne de l’absence de volonté politique d’améliorer la législation, de faire appliquer les lois, de respecter les obligations internationales du pays et d’initier le changement. Parmi les exemples les plus frappants, l’interdiction en août dernier du concert de Mashrou’ Leila, qui avait été accompagnée d’une brève arrestation de deux de ses membres, probablement à cause de l’homosexualité déclarée du chanteur du groupe de rock alternatif libanais. La décision de la juge Ghada Aoun d’engager des poursuites contre l’ancien Premier ministre et député Nagib Mikati, pour enrichissement illicite, en pleine révolte populaire, soulève aussi de nombreuses questions. De même que la non-arrestation de Hassan Ahmad Hamiyé, l’assassin d’une jeune femme de 20 ans, Éliane Safatli, libéré après seulement deux ans et demi de prison, condamné pourtant à 12 ans de détention par la Cour de cassation. Difficile enfin d’oublier les destructions par l’armée libanaise des abris en dur des réfugiés syriens à Ersal et dans la Békaa, en juillet dernier, et sur ordre du Conseil supérieur de la défense, sous prétexte d’empêcher leur implantation. Les autorités annonçaient parallèlement l’adoption d’une politique de retour, mais les experts sur la question jugeaient les conditions non réunies.

Face à ces régressions, la communauté homosexuelle salue, elle, une légère avancée. Si l’article 534 du code pénal criminalise les relations charnelles dites « contre nature », des juges ont refusé de faire appliquer cet article à sept cas entre 2009 et 2019. Mais la communauté LGBTQ est toujours interdite de parler ouvertement. Elle organise ses conférences à huis clos, est toujours victime d’humiliations, de harcèlement, de licenciements et d’arrestations.


Le PAN, encore une stratégie en l’air ?
Aucune avancée en revanche pour les femmes, malgré l’adoption du Premier plan national du Liban (PAN) conformément à la résolution 1325 du Conseil de sécurité de l’ONU sur les femmes, actrices de la paix et de la sécurité. Adopté un mois à peine avant le soulèvement populaire, le PAN, qui devrait augmenter la participation de la Libanaise à la prise de décision, prévenir la violence sexuelle et les conflits armés, amender les lois discriminatoires envers les femmes, attend d’être appliqué dans un pays en crise. C’est alors qu’on pourra parler d’avancée, vu le nombre de stratégies nationales lancées à cor et à cris au fil des ans par les gouvernements successifs, sans avoir jamais été réalisées. D’où cet immobilisme ambiant dans la longue liste des violations des droits des femmes, au sein de leur famille, de leur vie professionnelle ou de leur participation à la vie politique. La mesure administrative qui leur a été consentie leur permettant de faire émettre une fiche d’état civil à leur enfant n’y change pas grand-chose. Pas plus que la nomination de la ministre Raya el-Hassan à l’Intérieur, en début d’année, dans un gouvernement qui compte quatre femmes. Malgré sa volonté affichée « d’ouvrir la porte au dialogue pour faire reconnaître le mariage civil facultatif au Liban », et de « laisser pour legs, l’introduction des quotas féminins », la ministre a fait chou blanc. C’est dire la force de l’influence patriarcale et religieuse, qui oppose une résistance ferme à l’égalité des genres. Preuve en est le texte qui devait accorder aux enfants de mères libanaises détenteurs d’un permis de séjour de courtoisie l’autorisation de travailler a été mis au placard, malgré un débat au sein de la classe politique sur la nécessité d’accorder des droits civils et sociaux aux enfants étrangers de mère libanaise.


Dans les prisons, mauvais traitements et sanctions punitives
Sur un autre plan, on ne peut que saluer la volonté officielle d’activer le mécanisme national de prévention contre la torture. Mais là aussi, après la prestation de serment de la Commission nationale de prévention contre la torture devant le chef de l’État en juillet dernier, les résultats se font attendre. Lors de la tournée du bâtonnier de Beyrouth Melhem Khalaf dans les prisons, le 22 décembre, des détenus s’étaient plaints à L’Orient-Le Jour de mauvais traitements et de sanctions punitives. Ils évoquaient avec colère les cellules d’isolement. La réforme des prisons attend toujours de voir le jour.

La crise aiguë que traverse le pays promet d’aggraver encore plus une situation particulièrement délicate. Les plus vulnérables risquent d’en payer le prix fort, d’être privés de soins, d’éducation, de protection. Mais au-delà de cette crainte justifiée, la contestation populaire a vu l’émergence de militants de nouvelle génération qui ne craignent pas de briser les tabous et de secouer les mentalités. C’est donc au niveau des revendications que l’on peut aujourd’hui parler d’avancée. Des revendications fermes, avec une vision claire. L’année 2019 se termine donc sur une note d’espoir. L’espoir de chaque personne, libanaise ou étrangère, qui souffre de voir ses droits bafoués au pays du Cèdre. L’espoir des femmes du Liban qui se sont imposé sur les places, avec le soutien de leurs compatriotes masculins. Slogan phare de la contestation populaire, l’égalité entre les genres n’est plus une utopie, mais un objectif à portée de main.



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