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Moyen Orient et Monde - Rétrospective 2019

L’Est syrien, de la fin du califat au vrai-faux départ des Américains

Après avoir participé à la bataille contre l’EI, les Kurdes ont dû renoncer à leur rêve de former le Rojava.

Les populations du Nord-Est syrien fuyant l’offensive turque dans cette région, en octobre 2019. Photo d’archives AFP

Si le regard d’une personne passionnée de géopolitique avait dû se poser sur une seule région du monde en 2019, cela aurait certainement été l’Est syrien. Sans intérêt stratégique majeur à l’échelle planétaire, cette région a pourtant connu deux événements de premier plan en une seule année : la fin du califat de l’État islamique en mars, et l’offensive turque contre les Kurdes syriens après le vrai-faux départ des Américains en octobre. Les grandes puissances ont repris la main et ont rappelé que malgré leurs limites, c’est bel et bien elles qui faisaient encore la pluie et le beau temps face aux milices proto-étatiques.

Plus que jamais, les destins des milices kurdes des YPG (branche syrienne du PKK) et de l’EI ont été liés. Les Kurdes ont été les fers de lance de la bataille menée par les Occidentaux contre l’EI en Syrie. Mais une fois cette bataille achevée, avant même qu’elle ne s’achève pour être tout à fait honnête, la question de la recomposition de la région faisait planer une nouvelle menace, plus dangereuse encore, au-dessus de leur tête. La présence de l’EI avait cela d’utile qu’elle concentrait une grande partie de l’hostilité de l’ensemble des acteurs, qui ont voulu se débarrasser du monstre jihadiste avant de régler leurs différends.

Comme souvent, ce sont les États-Unis qui ont donné le ton. De la reconquête des territoires aux mains de l’EI, mais aussi de la bataille lancée sur sa dépouille. C’est d’abord en fonction de la présence et de la détermination de l’Oncle Sam que les autres acteurs agissent et se battent ou s’entendent pour occuper le vide.

Retour au début de l’histoire. C’est dans la province de Deir ez-Zor, à la lisière de l’Irak, que le « califat » s’éteint. Après une montée en puissance fulgurante en 2014 et la conquête de vastes territoires en Syrie et en Irak, l’EI a vu son califat autoproclamé se réduire comme peau de chagrin. En janvier 2019, plus de 25 000 personnes fuient les combats qui font rage entre la force arabo-kurde des FDS (Forces démocratiques syriennes) et des jihadistes qui savent qu’ils n’ont plus rien à perdre. Ralenties par le mauvais temps, les forces kurdes subissent de nombreuses contre-attaques meurtrières de la part de leur ennemi. Les frappes aériennes de la coalition internationale dirigée par Washington leur permettent toutefois de s’emparer de plusieurs villages et d’acculer l’EI. À ce moment-là, l’alliance entre les Américains et les forces kurdes n’est déjà plus au beau fixe. Les FDS ont été prises de court lors de l’annonce du président Donald Trump, le 19 décembre, d’un retrait des quelque 2 000 militaires américains déployés en Syrie pour les soutenir. Un départ attendu avec appétit par les différents protagonistes : Damas, Moscou, Téhéran et Ankara. Cependant, la grande course pour la conquête de l’Est attendra. Le président américain revient sur ses propos et les Kurdes se concentrent sur la bataille contre l’EI, jusqu’à son dernier souffle à Baghouz. L’organisation jihadiste la plus puissante de l’histoire, qui a recruté des dizaines de milliers de combattants aux quatre coins du monde, mis la main sur un territoire grand comme la Grande-Bretagne et mené des attentats sur plusieurs continents, meurt d’abord dans un petit village insignifiant. Elle meurt ensuite dans les prisons où sont entassés les jihadistes et leurs familles, ceux qui n’ont pas combattu jusqu’à la mort. Elle meurt mais n’est toujours pas enterrée, puisqu’elle profite du chaos ambiant pour renaître de ses cendres en Syrie et en Irak, bien aidée, il faut le dire, par un terreau politique toujours aussi fertile et l’absence de volonté politique d’y remédier.


Partage de la région
Tandis que l’EI est loin d’avoir été définitivement vaincu, Donald Trump se félicite de sa victoire contre l’organisation jihadiste et sonne la fin de la partie. Pressé de se retirer par Recep Tayyip Erdogan, avec qui il entretient de bonnes relations, le président américain annonce le 7 octobre le retrait des forces américaines stationnées dans cette région. Rien de moins qu’une trahison envers ses alliés kurdes, livrés à Ankara et à ses supplétifs, des rebelles syriens avides de revanche. Rien de moins qu’un message envoyé à l’ensemble de la scène internationale, alliés comme ennemis : une alliance avec les États-Unis ne vaut plus grand-chose.

Message reçu cinq sur cinq. Le 9 octobre, le reïs turc lance l’opération « Source de paix » dont l’objectif est de permettre la création d’une « zone de sécurité » destinée à séparer la frontière turque des positions kurdes et accueillir des réfugiés. Résultat : des centaines de milliers de déplacés, des centaines de morts.

Les Occidentaux n’ont d’autre réaction que l’indignation. Les Russes, eux, se frottent déjà les mains. Non seulement parce que les Américains s’en vont, non seulement parce qu’ils vont pouvoir se partager la région avec leur partenaire turc, mais surtout parce que l’opération leur permet de récupérer des pans entiers de territoires sans avoir à tirer une seule balle. Acculés, les Kurdes n’ont d’autre choix que de se livrer au régime et d’enterrer leur rêve de Rojava. Les nouveaux maîtres de la région redessinent la carte, faisant fi de l’opinion des populations locales. Mais eux aussi ont sans doute célébré leur victoire trop vite. Au sein de l’administration américaine, des voix utilisent l’argument de la protection des puits de pétrole de l’Est syrien pour convaincre Donald Trump de rester sur place, de quoi alimenter toutes les théories conspirationnistes. Plusieurs centaines de soldats américains se baladent encore dans l’Est syrien. Les Kurdes ont été les dindons de la farce. Mais la recomposition de l’Est n’est clairement pas encore terminée.



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