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Moyen Orient et Monde - Contestation

Dans le commerce comme en politique, le « made in Iran » n’est plus au goût des Irakiens

« Il faut boycotter tous les biens étrangers pour soutenir notre production nationale », plaide Hatem Karim, manifestant de 24 ans.


De jeunes manifestants irakiens feuillettent des livres dans un stand près de l'université de Kufa. Haidar Hamdani/AFP

Pour contrer l’influence de l’Iran chez eux, les Irakiens frappent là où ils savent qu’ils peuvent faire mal à leur voisin sous sanctions : ils appellent à boycotter ses importations pour le priver de revenus mais aussi, espèrent-ils, relancer leur industrie nationale.

Sur fond de révolte inédite dénonçant l’absence de services et d’infrastructures mais aussi l’influence grandissante de l’Iran en Irak, les campements des manifestants prennent des allures de marchés à ciel ouvert avec des stands proposant uniquement du « made in Irak » aux badauds en quête d’achats patriotiques. Car dans l’économie nationale, basée sur la rente pétrolière, le secteur privé est quasi inexistant, l’industrie à genoux, les importations sont reines et la balance commerciale fortement déséquilibrée.

Deuxième exportateur vers l’Irak, après la Turquie, l’Iran inonde ainsi chaque année le marché de produits, allant des voitures aux yaourts, en passant par les tomates, pour environ neuf milliards de dollars. Les exportations de Bagdad vers la République islamique, elles, atteignent à peine 10 % de ce montant.

« Il faut boycotter tous les biens étrangers pour soutenir notre production nationale », plaide Hatem Karim, manifestant de 24 ans.

Dans un pays où un jeune sur quatre est au chômage, de nombreuses usines, fermées durant l’embargo des années 1990 ou au fil des guerres qui se sont succédé depuis en Irak, n’ont toujours pas rouvert.


(Lire aussi : Le grand ayatollah Sistani réclame des élections pour sortir de la crise en Irak)



Laissez-les pourrir
Alors aujourd’hui, dit-il, avec le boycott, les Irakiens pourraient faire d’une pierre deux coups. « Cela nous permettra de créer des emplois pour des Irakiens et de faire en sorte que notre argent reste dans le pays », explique-t-il. Sous le slogan « Laissez-les pourrir », les militants appellent à délaisser les fruits, produits laitiers et autres boissons sucrées iraniennes qui envahissent cuisines et placards des maisons irakiennes.

Sur les réseaux sociaux, ils ont lancé des groupes Facebook, tourné des vidéos dignes de publicités sorties des meilleurs studios pour les boissons gazeuses fabriquées localement – délaissées depuis l’invasion américaine qui a amené en 2003 dans ses caisses tous les produits venus d’ailleurs qui avaient disparu avec une décennie d’embargo international. « On veut une renaissance à tous les niveaux, même le commerce », s’enthousiasme une manifestante.

Dans la ville sainte chiite de Kerbala, à une centaine de kilomètres au sud de Bagdad, Bassem Zakri surveille les yaourts et autres fromages blancs qui sortent des chaînes de son usine. Sur chaque pot, trois mots ressortent : « Fabriqué en Irak. » Et c’est grâce à ce logo, assure M. Zakri, que « la production a été multipliée par cinq depuis le début des manifestations » le 1er octobre, pour atteindre « 40 tonnes par jour ». Mais les usines irakiennes n’y suffiront pas, prévient l’économiste Ahmad Tabaqchali, de l’Institute of Regional and International Studies de Souleimaniyeh.


(Lire aussi : À Bagdad, le campement autogéré de Tahrir est devenu un « mini-État »)


Quasiment tout est importé
« Soit elles sont petites, soit elles ne dégagent pas de profits » car il n’y a « pas de secteur privé pour couvrir les besoins principaux » des 40 millions d’Irakiens. Résultat, « quasiment tout est importé », explique le spécialiste.

Et si le boycott des produits iraniens devenait massif, le principal bénéficiaire ne serait pas l’industrie irakienne, assure-t-il. Mais les autres voisins, turc en tête, puis saoudien et jordanien. Le royaume jordanien a récemment signé avec Bagdad des accords d’exemption de taxes d’exportation sur certains produits.

Les producteurs locaux réclament à l’État d’augmenter drastiquement les taxes douanières pour les protéger, car leurs prix ne peuvent pas s’aligner sur ceux de l’Iran dont la monnaie ne cesse d’être dévaluée, disent-ils. Mais, assure un client d’un supermarché du centre de Bagdad, des efforts ont déjà été faits. « Avant, les produits irakiens étaient toujours les plus chers, maintenant les prix de certains ont été divisés par deux », affirme-t-il.

Le boycott n’a pas encore atteint sa vitesse de croisière, mais la parade semble déjà avoir été trouvée par certaines entreprises iraniennes, si l’on en croit un militant sur les réseaux sociaux. Dans une vidéo, il scanne le code-barre d’un pot de yaourt siglé « Abou Ghreib » – le nom de la plus grande entreprise laitière de Bagdad. Faux, manifestement. Car sur son écran apparaît la mention... « Fabriqué en Iran » !



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