Rechercher
Rechercher

Économie - Finance

Pour Kulluna Irada, la circulaire sur les intérêts ne profite qu’au secteur bancaire

L’ONG libanaise est catégorique : la BDL fait porter aux seuls déposants « tout le fardeau » de la recapitalisation des banques.

Des clients au guichet d’une banque. Photo P.H.B.

Publiée le 4 décembre, la circulaire n° 536 à travers laquelle la Banque du Liban a notamment permis aux banques de payer en livres libanaises la moitié des intérêts des dépôts en devises de leurs clients continue de faire parler d’elle. Déjà sanctionnée par les principales agences de notation américaines (voir par ailleurs), le texte a également été critiqué par Kulluna Irada, l’organisation civile qui fait de la réforme du pays son principal cheval de bataille.

Dans une note publiée le 20 décembre, mais qui n’était pas encore accessible sur son site durant le week-end, l’ONG a souligné notamment le caractère « inéquitable » de la circulaire vis-à-vis des déposants. Elle dénonce également une mesure qui vise à « gagner du temps » et ne bénéficie qu’au secteur bancaire, alors que la crise que traverse le pays s’amplifie de jour en jour et que les dirigeants qui sont contestés par la rue depuis le 17 octobre n’ont toujours pas réussi à former un gouvernement.

Impôt régressif

Adoptée le 4 décembre, la circulaire n° 536 impose plusieurs mesures qui doivent s’appliquer pendant six mois. Elle plafonne d’abord les nouveaux dépôts à des taux inférieurs à ceux du marché (5 % pour ceux en devises et 8,5 % pour ceux en livres). Elle suggère également de façon très implicite aux banques d’ajuster les taux des crédits à la baisse de ceux des dépôts, sans toutefois les y contraindre. Elle autorise ensuite aux banques de régler en livres la moitié des intérêts sur les dépôts en devises souscrits par leurs clients avant la publication du texte. Elle permet enfin à la BDL de payer elle-même en livres 50 % des intérêts qu’elle doit aux banques sur les dépôts en devises et les certificats de dépôts en dollars que celles-ci détiennent. Ces mesures, peu commentées par la classe politique, ont été adopté dans le sillage d’une réunion à Baabda consacrée à la situation financière dans les jours qui ont précédé la publication de la circulaire.

Pour Kulluna Irada, le premier problème du texte en termes d’équité est qu’il contraint les déposants à renoncer, même temporairement, à la moitié des rémunérations en devises que les banques leur doivent, ce qui correspond à un « haircut », mais sur les intérêts versés. L’ONG fustige en outre aussi bien le fait que la mesure s’applique de manière indiscriminée aux personnes « qui ont le plus bénéficié du système financier » ces dernières années qu’aux petits épargnants, comparant la mesure à un « impôt régressif » imposé par le secteur bancaire. Elle reproche également à la BDL de vouloir faire porter aux seuls déposants « tout le fardeau » de la recapitalisation des banques qu’elle a réclamée en novembre (10 % avant le 31 décembre, puis 10 % de plus au premier semestre 2020), tout en ménageant les actionnaires des établissements concernés.

Kulluna Irada souligne de plus un non-dit de la circulaire : si les banques vont devoir se contenter d’encaisser en livres 50 % des intérêts que la BDL leur doit sur leurs dépôts et leurs certificats de dépôts en devises, les rémunérations qu’elles perçoivent aussi bien sur les titres de dette en devises émis par l’État libanais (eurobonds) que sur les prêts en dollars contractés par leur clients ne vont a priori pas être affectés.

Le bilan d’abord

En dehors de la question de l’équité du texte, l’ONG émet plusieurs réserves concernant son efficacité, même à court terme. Si elle reconnaît par exemple que la circulaire va permettre à la BDL de diminuer de moitié les intérêts en devises dus aux banques, à savoir 3 milliards de dollars au lieu de 6 milliards, elle juge néanmoins que ce bénéfice ne pèse pas très lourd par rapport aux 46 milliards de dollars d’engagements en devises que la Banque centrale a vis-à-vis des banques du pays (selon les chiffres à fin septembre 2019).

Kulluna Irada note en outre que si la circulaire offre effectivement aux banques un moyen de se recapitaliser et de réduire leurs engagements en devises, ce répit sera néanmoins de courte durée vu la fragilité actuelle du secteur en pleine crise de confiance. Elle rappelle que celui-ci doit en outre jongler avec les conséquences de la baisse des prix de l’immobilier sur leurs actifs ou encore la hausse du nombre de créances douteuses liées à la crise économique latente depuis des années et qui s’est brutalement accélérée ces derniers mois, le tout en maintenant leurs fonds propres à des niveaux conformes aux accords de Bâle 3.

L’ONG déplore en outre qu’aucune mesure n’a été prise en parallèle de la circulaire pour « restructurer le secteur financier ». Elle considère de plus que la baisse des intérêts sur les dépôts créditeurs va davantage bénéficier aux banques qu’au secteur privé qui, pris à la gorge par la crise économique, doit également subir depuis la fin de l’été d’importantes restrictions bancaires : limites sur les transferts à l’étranger ou sur l’accès à la liquidité en dollars. Une situation qui a déjà contraint de nombreuses sociétés à réduire les salaires de leurs employés, voire à en licencier une partie, quand elles n’ont pas déjà mis la clef sous la porte. « À la lumière de la situation sur les plans économique et social, la BDL aurait au moins dû demander aux banques de provisoirement rééchelonner le paiement sur les titres de dette existants en attendant qu’un nouveau gouvernement soit formé et qu’un plan de gestion de crise équitable et complet soit mis en place », jugent enfin les auteurs de la note.

Une critique franche de la part de l’ONG qui avait déjà reproché à la Banque centrale de privilégier des mesures visant à protéger son bilan, dans une première note consacrée à la situation financière du pays publiée il y a quelques semaines.


Lire aussi

Le secteur industriel remonté contre les restrictions bancaires

Taux d’intérêt : ce que prévoit la nouvelle circulaire de la BDL

Publiée le 4 décembre, la circulaire n° 536 à travers laquelle la Banque du Liban a notamment permis aux banques de payer en livres libanaises la moitié des intérêts des dépôts en devises de leurs clients continue de faire parler d’elle. Déjà sanctionnée par les principales agences de notation américaines (voir par ailleurs), le texte a également été critiqué par...

commentaires (3)

Qui va demander des comptes à Riad Salamé et aux responsables à la BDL? La tactique douteuse de transformer progressivement, et sans restriction, la dette publique intitulée en livres, en devises , n'a-t-elle pas a amené à la situation catastrophique actuelle? Bravo à tous.

Esber

19 h 17, le 23 décembre 2019

Tous les commentaires

Commentaires (3)

  • Qui va demander des comptes à Riad Salamé et aux responsables à la BDL? La tactique douteuse de transformer progressivement, et sans restriction, la dette publique intitulée en livres, en devises , n'a-t-elle pas a amené à la situation catastrophique actuelle? Bravo à tous.

    Esber

    19 h 17, le 23 décembre 2019

  • Une petite question : est ce que les intérêts débiteurs des comptes en $ sont eux aussi divisés en 2 entre LL et USD ? Réponse : NON. Donc les banques sont gagnantes 2 fois. La circulaire BdL 536 me semble à la limite de la légalité mais son application aux déposants privés qui ont signé un contrat commercial avec une institution privée qu’est leur banque me paraît totalement illégale. De plus, ce n’est pas aux déposants de payer les erreurs (pour rester politiquement correct) des gouvernants, de la BdL et du système bancaire. Mais comme nous sommes dans un pays où les droits des citoyens sont constamment bafoués, la BdL et les banques nous demandent de payer et de nous taire, mais jusqu’à quand ?

    Lecteur excédé par la censure

    09 h 55, le 23 décembre 2019

  • UNE COMBINE QUI NE DEVRAIT POINT PASSER. DONNER LA MOITIE DES INTERETS EN L,L, POUR LES DEPOTS CONTRACTES EN DOLLARS EST AVANT TOUT UNE INFRACTION AU CONTRAT SIGNE ET LE REND NUL ET NON VALIDE ET LES DEPOSANTS ONT LE DROIT DE RECLAMER LA RESTITUTION TOTALE ET IMMEDIATE DE LEURS MONTANTS DEPOSES CHEZ LES BANQUES QUELLES QUE SOIENT LEURS ECHEANCES. LES DEPOSANTS DEVRAIENT S,UNIR ET NOMMER DES AVOCATS.

    LA LIBRE EXPRESSION

    00 h 43, le 23 décembre 2019

Retour en haut