L’ex-ministre de l’Éducation et vice-président des Programmes régionaux externes (REP) de l’Université américaine de Beyrouth (AUB), Hassane Diab, a été désigné hier pour former le prochain gouvernement, à l’issue des consultations parlementaires contraignantes au palais de Baabda, cinquante jours après la démission du gouvernement de Saad Hariri. Si la rue a violemment réagi à cette désignation et immédiatement fouillé dans le passé de M. Diab pour en faire ressortir ce qui pourrait le disqualifier, aucune réaction internationale immédiate n’a suivi cette désignation, faite à la veille de l’arrivée à Beyrouth de David Hale, sous-secrétaire d’État US pour les Affaires du Proche-Orient. Cet ingénieur de 60 ans, peu connu du grand public, a été désigné par 69 députés issus des rangs du Hezbollah, du mouvement Amal et du Courant patriotique libre, ainsi que de groupes alliés, dont seulement six sunnites sur un total de 27. Il convient de signaler que 39 députés n’ont désigné personne, dont le courant du Futur, les Forces libanaises, le groupe de Nagib Mikati et Tammam Salam, tandis que 13 autres nommaient Nawaf Salam, notamment les députés Kataëb, ceux de la Rencontre démocratique de Walid Joumblatt et Michel Moawad.
Ainsi, M. Diab bénéficie d’une couverture sunnite toute relative, largement insuffisante pour les ténors de cette communauté, et inférieure au tiers du nombre des 27 députés la représentant au Parlement, condition posée par M. Mikati comme nécessaire pour que la désignation soit « conforme au pacte ».
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Pas de retour à la situation d’avant le 17 octobre
Dans sa première déclaration publique à l’issue de sa désignation, M. Diab s’est présenté comme une personnalité « indépendante » et a donné de fortes assurances au soulèvement populaire, précisant qu’il ne sera pas exclu des consultations et qu’il n’y aurait pas de retour à la situation d’avant le 17 octobre. « De par ma position d’indépendant, je vous parle en toute franchise et transparence, a-t-il dit notamment. Ces derniers 64 jours, j’ai entendu vos voix exprimant douleur et colère. J’ai senti que votre intifada me représente ainsi que toute personne qui veut un véritable État. Vos voix doivent demeurer une sirène d’alarme. » « Les Libanais ne permettront pas un retour à l’avant-17 octobre (date du début du mouvement de contestation) », a ajouté M. Diab, appelant les protestataires à « participer à l’opération de sauvetage du pays ». Interrogé par les journalistes, M. Diab a affirmé, sans préciser la nature de son équipe, qu’il est « indépendant » et que « tout le monde sera dans le gouvernement ». « Je suis un technocrate, et les technocrates auront la priorité. »
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Candidature « toute faite »
Ces propos n’ont pas empêché M. Salam de considérer sa candidature comme ayant été « toute faite » et que la désignation n’était qu’une grande mise en scène. L’ancien Premier ministre, croit-on savoir, faisait allusion à une réunion de trois heures tenue par Hassane Diab au palais de Baabda dans la nuit de mercredi à jeudi, et qui avait été précédée d’une première réunion.
Quoi qu’il en soit, il est clair que le principe de « la conformité au pacte national » invoqué par le chef de l’État et son camp, ainsi que par le Hezbollah, semble avoir été allègrement bafoué dans la désignation de M. Diab. Ce principe voudrait que la personnalité la plus représentative de la communauté sunnite soit à la tête du gouvernement. D’ailleurs, c’est dans cet esprit que Saad Hariri avait refusé d’être désigné sans l’accord d’au moins un des deux groupes parlementaires chrétiens de poids, en référence au CPL et aux Forces libanaises. Interpellé à sa sortie de Baabda sur cette question, Hassane Diab a invoqué « la conformité à la Constitution » plutôt que la conformité au pacte. Il a par ailleurs assuré que son gouvernement, perçu comme étant celui du 8 Mars, « ne sera pas un gouvernement de confrontation ».
Il reste que le soulèvement populaire et la rue sunnite semblent avoir mal réagi à sa désignation (voir par ailleurs). Toutefois, en soirée, un communiqué du bureau de presse de M. Hariri enjoignait à ses partisans de renoncer à recourir à la rue et de préserver « un calme responsable ».
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Correction possible ?
Le nouveau Premier ministre désigné parviendra-t-il à corriger le déficit de légitimité sunnite qui le handicape au départ ? Il est bien trop tôt pour le dire. Ce qui est certain, c’est qu’il compte mener les consultations préliminaires à la formation du cabinet le plus rapidement possible. C’est ainsi qu’il entamera dès demain la visite protocolaire aux anciens chefs de gouvernement, avant de recevoir à partir de 11 heures les groupes politiques au Parlement. On ignore sous quelle forme les principaux courants du soulèvement populaire seront consultés.
Quel genre de gouvernement formera le Premier ministre désigné ? Si l’on s’en tient au Hezbollah, ce sera un gouvernement techno-politique où les politiciens seront aux commandes des portefeuilles dits régaliens (Défense, Intérieur, Finances et Affaires étrangères), tous les autres allant à des personnalités compétentes dans les domaines qu’ils prendront en charge. Une formule de 24 ministres, dont 6 « politiques », aurait la faveur de la plupart des parties prenantes. Pour le CPL, l’idéal serait la formation d’un gouvernement de technocrates qui seraient nommés par les diverses forces politiques. Mais le risque est trop grand qu’un tel gouvernement d’affidés n’inspire pas confiance à la communauté internationale.
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Un gouvernement de salut économique
Il est possible de se faire une première idée de ce que pourrait être le prochain gouvernement en rappelant que dans son dernier discours, Hassan Nasrallah avait insisté sur la nécessité de former un gouvernement d’unité où toutes les forces politiques du pays auraient leur mot à dire. Pour le chef du Hezbollah, l’engagement de Saad Hariri semblait essentiel. Acceptera-t-il un cabinet dont le chef ne jouit pas de l’investiture sunnite ? Acceptera-t-il de participer à un gouvernement où les grands courants de la communauté sunnite, à commencer par le courant du Futur, ne sont pas représentés, fût-ce par des figures apparentées ?
La réponse à cette question est moins simple qu’on le croit, surtout si la situation du pays continue de se dégrader au point qu’une intervention du FMI et de la Banque mondiale devient indispensables, ce qui exige, bon gré mal gré, une quasi-unanimité de la part des forces politiques.
Il paraît évident en effet que la tâche qui attend le gouvernement ne sera pas facile, et que le prochain cabinet sera d’abord un gouvernement de salut économique. Certains ajoutent : un gouvernement de transition. Par ailleurs, les ministres qui le composent devront être peu marqués politiquement et réputés pour leur compétence et leur intégrité.
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Comme vous dites peu politicien et plus compétant , in Allah rad
18 h 12, le 20 décembre 2019