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Culture - RENCONTRE

Alawiya Sobh : Nous sommes condamnés à l’espoir...

L’écrivaine libanaise, qui a reçu le Prix Sultan al-Ouais à Dubaï pour l’ensemble de son œuvre, a déjà une franche coudée d’avance sur la révolte...

Alawiya Sobh, Shéhérazade du roman arabe. Photo DR

Dans un café de Beyrouth, entre cigarettes allumées et feuillets épars noircis, elle ne veut certainement pas émigrer ni aller ailleurs. Alawiya Sobh peaufine son dernier roman. Toujours dans son souffle d’insubordination, de justice sociale et de libération.

Voilà une femme au poing levé qui a déjà défrayé les chroniques du monde arabe par son audace d’écriture et sa vision contestataire d’une vie où le machisme aveugle, pesamment soutenu par un système social et politique bancal et archaïque, est rageusement épinglé. Parfaitement dans le ton de la colère de ces jours qui attendent la paix, l’apaisement et la lumière…

Elle a reçu en grande pompe pour l’ensemble de son œuvre le Prix Sultan al-Ouais à Dubaï. Quatre romans vociférant sur l’état de la femme dans une société obscurantiste qui ne veut rien céder aux autres, notamment au sexe dit faible…

La voix grave et rauque, le regard constamment aux aguets, le geste vif, à 64 ans, Alawiya Sobh n’a rien perdu de son punch et de sa débordante vitalité pour ajuster le tir de son fusil contre tout ce qui entrave la liberté, la délivrance, l’épanouissement. Sa dénonciation, véhémente, truculente, féroce, est sans fard ni compromis. Elle n’use pas de ce langage convenu et encore moins de cette littérature conventionnelle ou sage. Ce n’est pas pour rien que la presse étrangère (notamment française et allemande) l’a comparée à la sulfureuse écrivaine autrichienne Elfriede Jelinek, auteure du non moins sulfureux et dérangeant livre La pianiste.

Originaire d’une famille du Sud, du village nommé Kfardounine à côté de Bint Jbeil, elle est née à Achrafieh, mais par la suite s’est déplacée vers Sabtiyé et actuellement réside à Hamra d’où pratiquement elle ne sort plus. Elle a vécu les horreurs et la débâcle de la guerre civile dont les séquelles et les empreintes, lourdement présentes et traumatisantes, ne sont pas près de s’effacer de son esprit et de son corps…

Comment est venue cette diplômée de littérature arabe et anglaise de l’Université libanaise à l’écriture ? Sa réponse fuse : « Écrire, c’est mon destin. Depuis toute petite, j’avais besoin du papier pour écrire. C’est plutôt l’écriture qui m’a choisie car c’est la seule expression qui atteste de mon existence. Je meurs quand je n’écris pas. »

À dix-huit ans, tout comme Françoise Sagan, amoureuse ivre de l’écriture mais aux préoccupations foncièrement orientales tant l’écheveau social est complexe et grippé, elle publie son premier recueil de nouvelles en 1968 sous le titre Naoum al-ayyam (Le sommeil des jours). Et puis c’est le réveil éruptif pour une activité culturelle journalistique entre al-Nida’, an-Nahar et Snob al-hasna’. Pour émerger, après d’une dizaine d’années de labeur dans la solitude, avec un roman fracassant de 400 pages – initialement en 2 000 pages ! – Mariam al-hikaya (traduit en français par Le passé décomposé et paru chez Gallimard). Un véritable coup de tonnerre dans le monde arabe pudibond, à travers plusieurs personnages de filles d’Ève révélant une identité féminine crue, bouleversante mais si réelle. L’échec d’une génération vaincue par la guerre civile et la modernité. Alawiya Sobh, qui n’écrit pas dans un style de dissertation conformiste et encore moins en usant d’une langue idéologique, emploie, dans un texte vibrant, la langue de la vie. À travers cette narration chorale et à multiples effets de miroirs, elle a brisé les tabous sexuels, politiques, religieux et sociaux… Et de déclarer : « J ’écris pour découvrir la violence enracinée dans l’univers rural, le rif, contre la femme et l’homme simple. » Dans le même sillage de contestation et de rébellion sans frein, suivent deux autres ouvrages : Dunia (La vie- Prix Sultan Qabous en 2008), roman traitant de la violence conjugale, surtout pour une femme devenue esclave, une mère sans désir, sans corps…


Et le dernier-né de ses livres

Ismouhou Gharam (Son nom est amour, traduit en anglais par It’s Called Love) a été considéré unique car il use d’un langage fondamentalement et exclusivement féminin. L’écrivaine accuse l’homme arabe d’ignorance du corps de la femme car il considère ce corps comme sa propriété et non comme l’autre… Le langage de l’homme pour l’érotisme, ce qui a prévalu jusqu’à présent dans les lettres, relève davantage du fantasme que du réel.

Férue des livres des Mille et Une Nuits, de Naguib Mahfouz, de Dostoïevski, de Garcia Marquez et de Shakespeare, Alawiya Sobh, qui a figuré sur la liste du Booker Prize entre Orhan Pamuk et Ismail Kadaré, est parfaitement à l’écoute de la rue et de ce qui la secoue… Pour affronter les démons d’un pays, la parole est un accessoire et un instrument de libération. Quid des événements par rapport à une femme qui tente de briser tout ce qui est carcéral ?

Et voilà les mots de Alawiya Sobh qui sonde les grondements sourds qui ébranlent les fondements d’une ville, d’un pays, comme les coups de boutoir devant une muraille entêtée : « Sans doute je suis dans des moments poétiques avec le Hirak qui n’est jamais arrivé encore à la vraie indépendance du pays. On doit absolument avoir un système civil. Ma génération a échoué dans le modernisme et la guerre civile. Maintenant, le combat s’est enclenché pour cette génération : je souhaite qu’elle ne soit pas vaincue. Et elle ne le sera pas ! Chez les jeunes, il y a un rêve, celui de construire une patrie, une nation. Malgré tout ce que les confessions essayent pour faire avorter ce rêve. Il y a un cri immense pour la liberté. Se libérer des confessions. Car on ne peut dissocier le confessionnalisme de la corruption. C’est une jeunesse merveilleuse. Elle est pour la liberté et en dehors de tout confessionnalisme. Je souhaite que ce rêve se concrétise. J’aime conclure avec cette phrase de Saadallah Wannous : « Nous sommes condamnés à l’espoir… »

Dans un café de Beyrouth, entre cigarettes allumées et feuillets épars noircis, elle ne veut certainement pas émigrer ni aller ailleurs. Alawiya Sobh peaufine son dernier roman. Toujours dans son souffle d’insubordination, de justice sociale et de libération.Voilà une femme au poing levé qui a déjà défrayé les chroniques du monde arabe par son audace d’écriture et sa vision...

commentaires (3)

AVEC LA PRESENCE DES MILICES IL N,Y A MEME PLUS D,ESPOIR. LE PAYS SOMBRE DANS L,INCONNU.

LA LIBRE EXPRESSION

10 h 49, le 17 décembre 2019

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Commentaires (3)

  • AVEC LA PRESENCE DES MILICES IL N,Y A MEME PLUS D,ESPOIR. LE PAYS SOMBRE DANS L,INCONNU.

    LA LIBRE EXPRESSION

    10 h 49, le 17 décembre 2019

  • Mais pour revenir à l’article : ...""Se libérer des confessions. Car on ne peut dissocier le confessionnalisme de la corruption. C’est une jeunesse merveilleuse. Elle est pour la liberté et en dehors de tout confessionnalisme. Je souhaite que ce rêve se concrétise. J’aime conclure avec cette phrase de Saadallah Wannous : « Nous sommes condamnés à l’espoir.. » ""... L’auteure a évolué entre temps sa perception du fait religieux ? Il est question de confession, j’ai bien lu ... confession, et non pas de religion. Et l’espoir, quel est sa source ? Dans le religieux ? En deux mots, comment échapper à la religion dans un monde aux racines religieuses. Trop religieux pour être révolté ...et se sentir concerné par le sort des damnés de la terre…. Merci pour cette interview. Ça nous change un petit moment du discours ambiant des ""révolutionnaires"" de la place el Bourj.......

    L'ARCHIPEL LIBANAIS

    01 h 57, le 17 décembre 2019

  • ""Maryam ou le passé décomposé"" est un des rares livres d’un auteur Arabe que je n’ai pas jeté après l’avoir lu ! On est bouleversé par le personnage d’Alawiya l’écrivaine dans le roman, qui commence par une citation de l’évangile suivie par une note de désespoir : ""Pour moi, tout est fini. J’ai désespéré..."" C’est l’occasion de le reprendre pour feuilleter les pages que j’ai écorné. Tiens, la page 196, nous en dit un peu plus …

    L'ARCHIPEL LIBANAIS

    01 h 55, le 17 décembre 2019

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