La première réunion internationale consacrée au Liban depuis le déclenchement du soulèvement le 17 octobre dernier a adressé hier, depuis Paris, un message clair : le Liban n’est pas abandonné, mais il doit former dans les plus courts délais un gouvernement « efficace et crédible » capable de mener à bien les réformes nécessaires pour continuer de jouir de l’appui de la communauté internationale.
Réuni au Quai d’Orsay, le Groupe international de soutien au Liban a estimé qu’il était « urgent de mettre en place un nouveau gouvernement aussi vite que possible ». « Le Liban est sans gouvernement depuis plus de six semaines à la suite de la démission de Saad Hariri le 29 octobre, peut-on lire dans le texte publié à l’issue de la réunion. Le groupe considère que la préservation de la stabilité, de l’unité, de la sécurité, de l’indépendance politique et de l’intégrité territoriale du Liban nécessite la formation urgente d’un gouvernement efficace et crédible, capable de répondre aux aspirations de tous les Libanais et qui aura la capacité et la crédibilité de mener à bien les réformes économiques et pourra dissocier le pays des tensions et crises régionales. »
« Le seul critère doit être celui de l’efficacité de ce gouvernement au service des réformes attendues par la population », a déclaré le ministre français des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian lors de la clôture de la réunion. « Seule cette voie permettra à l’ensemble des participants autour de cette table et au-delà de se mobiliser pour apporter au Liban tout le soutien dont il a besoin », a-t-il ajouté.
« Les responsables politiques doivent mettre de côté leurs intérêts propres et avoir à l’esprit l’intérêt général de tous les Libanais », a encore martelé Jean-Yves Le Drian. « Les Libanais sont mobilisés depuis plusieurs semaines pour demander des réformes. Ils doivent être entendus. La situation économique du pays l’exige », a martelé le ministre français, soulignant que « le secteur financier libanais est largement paralysé, avec de lourdes conséquences pour tous les Libanais. Des conséquences notamment pour les entreprises du pays, dont nombre d’entre elles ont commencé à réduire leurs activités et les salaires de leurs employés ».
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Réformes structurelles
La réunion était coprésidée par la France et les Nations unies, et rassemblait des représentants de la Chine, d’Égypte, d’Allemagne, d’Italie, de France, du Koweït, des Émirats arabes unis, de Russie, du Royaume-Uni et des États-Unis, de même que de plusieurs institutions internationales, dont la Banque mondiale et le Fonds monétaire international (FMI). Les États-Unis étaient représentés par leur secrétaire d’État adjoint pour le Moyen-Orient, David Schenker. L’Arabie saoudite, donnée initialement présente, n’était finalement pas autour de la table.
Le groupe a appelé le Liban à adopter immédiatement un budget 2020 fiable et exhorté les autorités libanaises à « prendre des mesures décisives pour rétablir la stabilité et le caractère durable du modèle de financement du secteur financier pour lutter contre la corruption et l’évasion fiscale (...) et mettre en œuvre le plan de réforme de l’électricité ». « À plus long terme, dans les six premiers mois suivant la formation du gouvernement, des mesures structurelles ambitieuses pour assurer un modèle économique durable devraient être mises en place », a ajouté le GIS, qui a cependant assuré que « les conclusions de la Conférence CEDRE sont toujours valides ».
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En avril 2018, la Conférence
CEDRE des donateurs demandait déjà qu’en contrepartie de promesses de prêts et de dons à hauteur de 11,6 milliards de dollars, Beyrouth procède à des réformes structurelles et à des coupes budgétaires. « Rien ne s’est passé depuis côté libanais et rien du côté financement », relève-t-on à Paris.
La délégation libanaise était dirigée par le directeur général du ministère des Affaires étrangères Hani Chmaytelli, et comprenait le directeur général du ministère des Finances, Alain Bifani, la conseillère pour les affaires économiques du Premier ministre démissionnaire Saad Hariri, Hazar Caracalla, et le directeur exécutif au sein de la Banque du Liban, Raja Abou Asli.
M. Chmaytelli a déclaré à L’OLJ que la communauté internationale avait adressé un « message capital » au Liban en renouvelant « son engament à soutenir le Liban en ces circonstances délicates. C’est un message qui a été renouvelé d’une manière positive et d’une manière constructive », a-t-il estimé à l’issue de la réunion au Quai d’Orsay. « C’est un message clair qui démontre encore une fois l’attachement de la communauté internationale à la stabilité, au développement et à la prospérité du Liban », a-t-il ajouté.
Interrogé sur l’appel, formulé dans le communiqué final, pour que soient menées des réformes au Liban, il a répondu : « Engager des réformes n’est pas un diktat de la communauté internationale, c’est une nécessité libanaise interne (...) » Interrogé sur la possibilité sur une éventuelle disposition de la communauté internationale à fournir des aides au Liban au cas où un gouvernement ne serait pas formé, il a répondu : « La formation du gouvernement est une condition sine qua non, mais il s’agit d’une exigence commune à la communauté internationale et au Liban. »
Pour sa part, une source diplomatique occidentale a indiqué à L’OLJ qu’il y avait « un front uni de l’Union européenne, du Royaume-Uni, des États-Unis et de la France pour dire que toute aide sera conditionnée et qu’il n’y aura pas de chèque en blanc ». « Les discussions ont surtout porté sur un programme potentiel du FMI, qui demeure l’une des principales conditions des acteurs-clés du GIS avant le déblocage de toute aide, a ajouté cette source. La délégation libanaise a répondu que toute décision par rapport à un programme du FMI nécessitera un dialogue avec les autorités, sans préciser lesquelles. »
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« Qu’ils gardent l’argent chez eux »
Alors que la réunion se tenait à Paris, des manifestants se sont rassemblés hier en matinée devant l’ambassade de France à Beyrouth, demandant au président Emmanuel Macron de geler toute aide financière aux dirigeants libanais qu’ils qualifient de corrompus, afin de faire pression pour la formation d’un gouvernement d’experts indépendants.
Après avoir chanté l’hymne national en chœur, une représentante de la société civile, Lina Hamdan, a lu une lettre adressée au président Macron, signée des « Révolutionnaires du Liban », avant qu’une délégation la remette à l’ambassade de France. « Aujourd’hui, vos efforts louables serviront à aider une classe dirigeante corrompue à maintenir son emprise sur le pays pour s’enrichir davantage par le détournement des fonds publics et la dilapidation des richesses actuelles et prévues », peut-on lire dans le texte. « Contestant la légitimité des représentants du Liban auprès de la communauté internationale, nous sollicitons votre soutien pour geler toute aide financière à ce gouvernement démissionnaire qui devrait d’abord nommer un Premier ministre honnête et former un gouvernement d’experts indépendants et compétents pour rétablir la confiance », ajoute le communiqué.
Une seconde lettre a été également lue au nom des artistes libanais par l’actrice Anjou Rihan, demandant de même au président français de ne pas envoyer d’aides « au pouvoir corrompu » pour qu’elles ne finissent pas « dans les poches » des dirigeants.
« Nous manifestons pour que la France réalise que le peuple libanais revendique haut et fort ses droits les plus élémentaires », a affirmé à L’OLJ une manifestante, Marie-Thérèse Tabet. « Nous demandons le strict minimum, le droit de vivre », a-t-elle ajouté, appelant la France à « ne pas donner d’argent à ces barons de la guerre qui continuent de nous gouverner et refusent aujourd’hui de céder leur place ».
Marwan Ballout, spécialiste en gestion internationale, brandissait une pancarte adressée au président Macron, sur laquelle il avait écrit : « Nous, Libanais, ne voulons pas d’argent de la conférence CEDRE maintenant. » « Si l’argent de la CEDRE est envoyé au Liban, il va disparaître », a-t-il affirmé à L’OLJ. « Nous avons confiance en le président français, qu’ils gardent cet argent chez eux jusqu’à la formation d’un gouvernement intègre de technocrates », a-t-il ajouté, demandant également à Paris de « geler les comptes de tous les responsables libanais qui se sont succédé chez vous depuis 1992, pour nous aider à récupérer les fonds volés ».
« On ne veut plus de cette classe politique criminelle ! »
Les Libanais de Paris ont pour leur part manifesté, avec le même message, dans l’après-midi devant le Quai d’Orsay où se tenait la réunion du GIS. « Je suis venue pour dire à la communauté internationale qu’on ne veut pas qu’elle aide cette classe corrompue au pouvoir. Nous n’avons aucune confiance en elle. Tout argent frais que les politiciens recevront finira dans leurs poches », a affirmé Gloria, une étudiante libanaise de 22 ans installée en France depuis deux ans. « On veut que la communauté internationale fasse pression pour un gouvernement de technocrates représentatifs du peuple. Le président est plus âgé que ma grand-mère, qui serait plus apte à gouverner que lui ! » a-t-elle ajouté.
Les manifestants ont chanté l’hymne national libanais et scandé les slogans de la révolte. « Merci à la communauté internationale de nous soutenir, mais ne donnez pas d’argent à la classe corrompue ! On ne veut plus de cette classe politique criminelle ! » s’écriait, pour sa part, Rim Anid, une psychologue de 43 ans installée en France depuis quatre ans et qui participe à toutes les manifestations organisées à Paris pour soutenir le mouvement au Liban.
« Moi, je suis là pour dire trois choses : non à l’ingérence étrangère, non au financement du gouvernement corrompu, non au retour de Saad Hariri », expliquait pour sa part Diala, qui a quitté le Liban il y a 17 ans « à cause de la classe politique corrompue ».
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commentaires (8)
« Les responsables politiques doivent mettre de côté leurs intérêts propres et avoir à l’esprit l’intérêt Général de tous les Libanais »...non mais quelle idée bizzarement simplote, l'intérêt général de tpit les libanais!!! Hahaha...le drian ne sait il pas que tois les libanais, suetout ceux dans la rue, n'ont que l'intérêt du Général mais aussi et surtout du fakih! Ils sont prêt à detruire le pays pour les beaux yeux de khameneiii! Walaw
Wlek Sanferlou
21 h 10, le 12 décembre 2019