Trois offres ont été finalement recueillies : outre ZR Energy DMCC, appartenant aux frères Teddy et Raymond Rahmé, et dont l’offre financière a été jugée la plus compétitive, deux autres sociétés, Lebneft FZE et Oman Trading International LTD, ont également déposé leurs offres hier matin. ZR Energy DMCC et Lebneft FZE avaient déjà fait le déplacement la semaine dernière en vue de remettre leurs dossiers, mais la ministre Boustani avait finalement décidé de reporter d’une semaine de délai d’ouverture des plis afin de donner l’opportunité « à d’autres sociétés de déposer leurs candidatures et de permettre une plus grande concurrence qui assurerait de meilleurs tarifs pour l’État ». « L’État fait désormais son entrée sur le marché de l’essence, en acquérant 10 % des parts de ce marché », a déclaré la ministre. Car la quantité qui sera importée par ZR Energy permettra d’assurer « environ 10 % de la demande locale », ce qui viendra ainsi concurrencer la douzaine d’importateurs privés qui se partagent jusqu’à aujourd’hui le marché.
Cet appel d’offres découle en effet d’un long bras de fer qui oppose depuis des mois la ministre de l’Énergie aux importateurs privés, ainsi qu’aux distributeurs de carburants et aux propriétaires de stations-service.
Depuis le début de la crise de liquidités en dollars et la création d’un taux de change parallèle auprès des bureaux de change, fin août, l’ensemble des acteurs de cette chaîne font pression sur les autorités afin qu’elles trouvent une solution leur permettant de ne pas assumer le coût de change supplémentaire. Les importateurs refusent le mécanisme mis en place en octobre par la circulaire n° 530 de la BDL qui leur permet de débloquer 85 % du montant de leur commande en dollars, à condition de (1) déposer un mois à l’avance 100 % de ce montant en livres à la BDL, (2) d’apporter 15 % du montant en dollars (qu’ils doivent donc acheter sur le marché parallèle à un prix supérieur au cours officiel de plus de 25 %), et (3) de payer à la BDL une commission de 0,5 % pour chaque lettre de crédit.
Les professionnels du secteur qui ne souhaitent pas assumer le surcoût provoqué par la crise du change pour les 15 % restants du montant, s’étaient heurtés au refus de Mme Boustani d’augmenter le prix des 20 litres d’essence d’environ 700 livres (0,50 dollar au taux officiel), ce qui les a conduits à lancer à plusieurs reprises des grèves ouvertes des stations-service.
Pour fixer le prix de l’essence à la vente publié de manière hebdomadaire, le ministère de l’Énergie calcule la moyenne des prix internationaux sur les quatre dernières semaines, à laquelle il ajoute une marge de 5 % pour les importateurs, le coût du transport maritime, le coût du transport interne, la part des stations d’essence, et la TVA. « Le problème est que le ministère se base toujours sur un taux de change de 1 507,5 livres pour un dollar. Si on avait pris en compte la variation du taux de change sur les 15 % du montant que nous devons apporter en dollars, cela aurait entraîné une hausse des prix à la pompe d’environ 600 à 700 livres pour un bidon », a expliqué une source au sein de l’Association des importateurs de pétrole au Liban (APIC). « C’est face aux menaces de pénurie exercées par les professionnels du secteur, et de par notre volonté de ne pas faire assumer aux citoyens ce surcoût, que nous avons décidé de lancer cet appel d’offres », a affirmé à L’Orient-Le Jour le conseiller de Mme Boustani, Dany Samaha.
Bien que ZR Energy bénéficie des mêmes conditions édictées par la circulaire n° 530, et que son contrat avec l’État soit exclusivement en livres, les importateurs accusent à présent la ministre Boustani de faire assumer à l’État, et donc au contribuable, de manière indirecte la variation du taux de change. « L’État va acheter en livres de l’essence auprès d’un commerçant (ZR Energy) qui n’a pas de coûts opérationnels, mais à un prix qui couvre en fait la variation du taux de change. Au lieu d’augmenter le prix à la pompe, elle masque les pertes dans les dépenses publiques, et les fait donc assumer au contribuable », a dénoncé la source proche de l’APIC précitée. Celle-ci souligne que les importateurs, eux, assument les risques de financement, les variations des prix du brut et les risques de transport et de stockage, « alors que ZR Energy a décroché 10 % du marché, sans avoir eu à investir dans les installations, ni recruter de personnel, puisque l’État mettra à leur disposition les réservoirs de stockage de Tripoli et Zahrani pour stocker la quantité importé », poursuit-elle.
Dans la soirée, la ministre de l’Énergie a publié un communiqué dans lequel elle détaille notamment la structure des prix qui s’applique aux importateurs privés et celle résultant de l’appel d’offres remporté hier par ZR Energy. En se basant sur le prix de l’essence de la semaine dernière, il y apparaît que l’offre de ZR Energy est de 20 dollars inférieure au prix pratiqué par les importateurs privés pour une tonne d’essence.
À la question de savoir en quoi ZR serait gagnante en prenant ce marché et si ses coûts opérationnels sont véritablement inférieurs à ceux supportés par les importateurs privés, Dany Samaha estime que ce sont des arbitrages qui concernent uniquement ZR Energy, avant de confirmer que celle-ci bénéficiera des réservoirs de stockage de de Tripoli et Zahrani. « Ce qui nous importe en tant qu’État, c’est de pouvoir assurer de l’essence aux citoyens aux mêmes prix, quitte à ce que cela requiert une charge supplémentaire. Mais nous n’assumons aucune perte », ajoute M. Samaha. Quant à ZR Energy, elle avait indiqué la semaine dernière à L’Orient-Le Jour que cet appel d’offres n’était pas « forcément une bonne opportunité commerciale » pour la société, mais que c’était « une manière de rendre service à la Direction des installations pétrolières avec laquelle (elle) a d’autres contrats, dont un pour l’importation de diesel ».
Derrière ZR Energy, les frères Teddy et Raymond Rahmé
La société ZR Energy est détenue par Teddy et Raymond Rahmé, deux frères originaires de Bécharré, qui investissent à tour de bras depuis quelque années au Liban, et qui ont fait couler beaucoup d’encre au pays du Cèdre comme à l’étranger. Leur société, ZR Holding, est notamment entrée au capital de Byblos Bank et Bankmed, et a racheté Faqra Club Holding. Selon nos informations, les deux frères seraient également impliqués dans le projet de construction de la deuxième centrale de Deir Ammar. Ce contrat BOT, dont ni les termes ni les bénéficiaires n’ont encore été rendus publics, a été attribué en septembre par le Conseil des ministres sans appel d’offres, ce qui avait soulevé alors de nombreuses questions. D’autant que la réputation des frères Rahmé n’est pas irréprochable. Le nom de Raymond Rahmé est en effet cité dans deux affaires de corruption en Irak. La première concerne un contrat de réhabilitation de l’équipement militaire, conclue entre le ministère irakien de la Défense et un entrepreneur américain, qui s’est terminée de manière tragique par l’assassinat de ce dernier en 2004. Son nom a également figuré dans le procès intenté par l’opérateur français Orange et la société koweïtienne Agility contre l’opérateur irakien Korek, dans lequel Raymond Rahmé est associé à l’homme d’affaires kurde Siwan Barzani, pour mauvaise gestion et opérations frauduleuses.
Pour mémoire
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commentaires (7)
Mme Boustani SVP Quitter ce CPL des que possible
Jack Gardner
14 h 08, le 10 décembre 2019