Quelques centaines d'écoliers ont manifesté jeudi au Liban pour dénoncer l'usage d'un manuel scolaire amputé d'un pan entier de l'histoire du pays, au 36e jour d'un mouvement de contestation inédit contre le pouvoir.
Devant le ministère de l'Education à Beyrouth, quelque 400 élèves se sont rassemblés en matinée, brandissant des drapeaux libanais ainsi que des exemplaires du manuel qualifié d'"archaïque", a constaté un correspondant de l'AFP. Dans une démarche symbolique, un exemplaire a été brûlé.
"Nous voulons que nos programmes soient modernisés, ils sont très vieux", a expliqué à l'AFP Ali Kobeissy, 17 ans. "Le manuel d'histoire doit être jeté à la poubelle", a renchéri Jana Jezzine, 16 ans.
Au Liban, les livres d'histoire s'arrêtent au retrait des troupes françaises en 1946, au terme d'un mandat de 23 ans. La guerre interlibanaise (1975-1990) ainsi que les nombreux évènements ayant jalonné la période post-guerre, y compris le retrait des troupes israéliennes et syriennes, en 2000 et 2005, n'y sont pas évoqués, en l'absence de consensus sur leur narration.
La rédaction d'un nouveau manuel d'histoire est ainsi considérée comme la pierre angulaire d'un travail de mémoire et de réconciliation inaccompli près de 30 ans après la fin de la guerre civile. Faute de cela, l'histoire contemporaine, apprise le plus souvent de la bouche des parents, reste déclinée en plusieurs versions -confessionnelles-, dans ce petit pays qui compte 18 communautés religieuses. Plusieurs initiatives lancées ces dernières années par la société civile sont restées lettre morte.
"Je ne connais rien à (l'histoire de) la guerre civile, j'ai appris de mes parents et de mes amis que les gens se faisaient arrêter (à des barrages) sur la base de leur carte d'identité", déplore Aya Haidar, 18 ans, en allusion aux exécutions de civils par des miliciens selon leur appartenance religieuse, mentionnée alors sur la pièce d'identité. "Il est très important que nous apprenions l'histoire contemporaine", ajoute-telle.
La demande est d'écrire "un nouveau manuel d'histoire couvrant toute la période depuis 1975", insiste Omar Hamwé, 19 ans.
Depuis le 17 octobre, des centaines de milliers de Libanais de tous bords sont dans les rues pour réclamer le départ d'une classe politique jugée incompétente et corrompue, et ouvrir ainsi la voie à un nouveau Liban. Le mois dernier, étudiants et collégiens ont rejoint le mouvement et offert durant plusieurs jours un nouveau souffle à la contestation, s'imposant comme le fer de lance de la "révolution" libanaise.
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commentaires (5)
L'existence de lectures différentes de notre histoire selon les confessions ne devrait pas empêcher la rédaction d'un manuel. Il existe d'ailleurs aussi, comme partout, des différences de lecture selon l'appartenance politique. La solution de Xavier Baron dans son excellente "histoire du Liban" me parait acceptable : il décrit les différents points de vue entourant les épisodes les plus controversés. Du reste, même au sujet des massacres de 1860, les opinions divergent, nous explique-t-il. Je serais curieux de savoir comment s'y est pris le manuel que les élèves veulent jeter à la poubelle. Les aurait-il occultés aussi ? Il ne sert à rien de nier qu'en fonction de nos origines nous pouvons voir les choses différemment dans certains cas. L'important est de comprendre que le point de vue de l'autre peut s'expliquer et qu'il est respectable aussi, au lieu de penser qu'il a tort dans la mesure où il ne dit pas la même chose que nous.
Nassif Pierre
07 h 45, le 22 novembre 2019